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18/07/2024 | FRANCE | N°21VE02088

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 6ème chambre, 18 juillet 2024, 21VE02088


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SAS Hanes France a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler, d'une part, la décision du 21 février 2018 par laquelle la ministre du travail a confirmé sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé à l'encontre de la décision du 3 août 2017 de l'inspectrice du travail de la 2ème section de l'unité de contrôle n° 6 des Hauts-de-Seine par laquelle cette autorité a confirmé sa décision implicite de ne pas accorder l'autorisation de li

cencier M. B... pour motif économique, d'autre part, la décision de l'inspectrice du travai...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Hanes France a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler, d'une part, la décision du 21 février 2018 par laquelle la ministre du travail a confirmé sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé à l'encontre de la décision du 3 août 2017 de l'inspectrice du travail de la 2ème section de l'unité de contrôle n° 6 des Hauts-de-Seine par laquelle cette autorité a confirmé sa décision implicite de ne pas accorder l'autorisation de licencier M. B... pour motif économique, d'autre part, la décision de l'inspectrice du travail du 3 août 2017.

Par un jugement n° 1803817 du 11 mai 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée 8 juillet 2021, la SAS Hanes France, représentée par Me Seuvic-Conroy et Me Deschaud, avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 21 février 2018 de la ministre du travail et la décision de l'inspectrice du travail du 3 août 2017.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le courrier du 3 août 2017 ne constituait pas une décision expresse de rejet ;

- cette décision est insuffisamment motivée ; elle ne comporte aucune appréciation concernant le motif économique ou les efforts de reclassement effectués par elle ;

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu qu'elle avait méconnu son obligation de reclassement ; elle a recensé l'ensemble des emplois équivalents pour les proposer à M. B... ;

- le poste d'animateur régional du réseau retail n'est pas un emploi équivalent au poste d'animateur négociateur ;

- le poste d'animateur du réseau retail requiert de solides aptitudes relationnelles et une expérience managériale de longue durée ainsi qu'une vision stratégique et aurait nécessité une formation allant au-delà de la formation d'adaptation définie par la jurisprudence ;

- la ministre a commis une erreur d'appréciation en refusant le licenciement pour motif économique de M. B....

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2021, M. B..., représenté par Me Hollande et Me Candat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SAS Hanes France une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que la lettre de l'inspecteur du travail du 3 août 2017 ne constitue pas une décision explicite de rejet et que la société Hanes France n'a pas respecté son obligation de reclassement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête pour les mêmes motifs que ceux exposés en première instance.

Par une ordonnance en date du 17 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pilven,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,

- et les observations de Me Coppano, pour la société Hanes France, et de Me Candat, pour M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a été recruté le 20 octobre 1994 en qualité de représentant de commerce exclusif par la société Dim SA, devenue Hanes France SAS après plusieurs rachats. Cette société appartient à la société Hanes Europe Innerwear (HEI), qui fait elle-même partie du groupe de taille mondiale Hanes Brand Inc. (HBI). M. B... occupait en 2017 les fonctions de négociateur spécialisé dans le circuit grande distribution dans la région de Saint-Etienne. Il était également, à titre syndical, membre titulaire du Comité central d'entreprise et du Comité d'établissement de Rueil-Malmaison de Hanes France SAS, représentant du personnel au comité d'hygiène et de sécurité des conditions de travail de l'établissement de Rueil-Malmaison de Hanes France et membre du Comité d'entreprise européen de Hanes Europe Innerwear (HEI).

2. Un projet de réorganisation de la société Hanes France, impliquant la suppression de 226 postes (hors postes vacants), la création de 74 postes et la modification de 143 contrats de travail pour motif économique, dont celui de M. B..., a conduit à réorganiser la force de vente et à fusionner différents réseaux commerciaux en un réseau multicanal. Le 16 septembre 2015, la société Hanes France a conclu avec les organisations syndicales représentatives un accord collectif majoritaire portant sur un plan de sauvegarde de l'emploi. Cet accord a été validé par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) d'Ile-de-France par une décision du 8 octobre 2015. M. B... a, quant à lui, refusé la proposition de modification de son contrat de travail pour motif économique qui lui a été adressée le 21 décembre 2015 ainsi que l'ensemble des propositions de reclassement qui lui ont été faites par la société Hanes France.

3. M. B... a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 12 avril 2017. Le 18 mai 2017, le comité d'établissement de Rueil-Malmaison a donné un avis défavorable à son licenciement pour motif économique. Par un courrier du 30 mai 2017, la société Hanes France a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. B... pour motif économique. Par une décision implicite née le 31 juillet 2017, l'inspecteur du travail de la 2ème section de l'unité de contrôle n° 6 des Hauts-de-Seine a rejeté cette demande. Par un courrier reçu le 15 septembre 2017, la société Hanes France a formé un recours hiérarchique contre cette décision qui a été implicitement rejeté par la ministre du travail. La société Hanes France relève appel du jugement n° 1803817 du 11 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa requête tendant à l'annulation des décisions du 3 août 2017 de l'inspectrice du travail et du 21 février 2018 de la ministre du travail.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes des articles R. 2421-5 et R. 2421-12 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée. (...) ". Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".

5. Par une décision en date du 3 août 2017, l'inspecteur du travail de la 2ème section de l'unité de contrôle n° 6 des Hauts-de-Seine, après avoir expliqué les motifs du rejet de la demande présentée par la société Hanes France concernant la demande de licenciement économique de M. B..., a indiqué qu'il n'entendait pas retirer la décision implicite de rejet née le 31 juillet 2017. Ainsi, une telle décision prise spontanément par l'inspecteur du travail sans être saisi d'une demande de communication des motifs de sa décision implicite de rejet et au regard du contenu de ce courrier, a eu pour effet de faire naître une nouvelle décision et doit être regardée comme s'étant substituée à la décision implicite née le 31 juillet 2017 du silence gardé par l'inspecteur du travail pendant plus de deux mois sur la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société Hanes France.

6. L'inspecteur du travail a retenu, pour refuser le licenciement, l'absence de recherche sérieuse de reclassement de M. B... en motivant de manière suffisante sa décision sur ce point et en visant l'article L. 1233-4 code du travail, portant sur les obligations d'adaptation et de reclassement en cas de licenciement pour motif économique. Dès lors, la circonstance qu'il n'ait pas visé d'autres dispositions du code du travail ni motivé sa décision sur d'autres points, notamment sur la réalité de la cause économique ou sur la suppression du poste, n'empêchait pas l'employeur de connaître avec suffisamment de précisions le motif de droit sur lequel reposait le refus qui lui était opposé. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision attaquée autorisant le licenciement de M. B... serait insuffisamment motivée doit être écarté.

7. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. ". Si l'employeur a pour obligation d'assurer l'adaptation des salariés à l'évolution de leur emploi, au besoin en leur assurant une formation complémentaire, il ne peut lui être imposé d'assurer une formation initiale qui leur fait défaut ni de leur faire délivrer une qualification nouvelle leur permettant d'accéder à un poste disponible de catégorie supérieure.

8. La société requérante soutient que l'inspecteur du travail ne pouvait retenir, pour opposer un refus à la demande de licenciement, qu'un poste d'animateur régional n'aurait pas été proposé à M. B..., au motif que ce poste était d'une nature différente de celui d'animateur négociateur, qu'il occupait au sein de la société, et que ce poste d'animateur régional supposait des compétences non détenues par l'intéressé nécessitant une formation complémentaire excédant les obligations d'adaptations à la charge de l'employeur.

9. La société Hanes soutient notamment que M. B..., positionné sur le secteur des hypermarchés, ne possédait pas les compétences budgétaires, informatiques ou de gestion du personnel requises pour le marché de retail et que les deux types de postes étaient différents en termes de rémunération et de classement indiciaire pour les cadres. Toutefois, les fonctions de négociateur nécessitent la gestion d'un budget délégué et le suivi d'un chiffre d'affaires d'une entreprise, ainsi que l'animation des délégués de maintenance, la maîtrise de certains logiciels, le choix d'un emplacement et d'une catégorie de produit. Enfin si la société Hanes met en avant la nécessité d'une expérience de huit ans dans un marché de retail pour accéder au poste d'animateur régional, elle n'établit pas qu'avec une formation adaptée n'excédant pas son obligation légale d'adaptation, d'une durée d'un mois prévue par le plan de sauvegarde de l'emploi, M. B... n'aurait pu occuper ces nouvelles fonctions. En outre , la société Hanes soutient que les postes vacants avaient vocation à couvrir la zone géographique de la Picardie et de l'Ile-de-France alors que M. B... avait refusé, dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi, un emploi de négociateur situé à plus de 400 km de son domicile. Toutefois, le refus par un salarié d'une modification de son contrat de travail ne dispense pas l'employeur de lui proposer, dans le cadre de son reclassement et à la suite de ce premier refus, des postes présentant des caractéristiques similaires à la modification proposée. Or, il ne ressort pas des pièces produites que M. B... ait, dans le cadre du reclassement, exprimé clairement son refus d'accepter un poste éloigné de son domicile.

10. Il résulte de tout ce qui précède qu'en ne proposant pas le poste d'animateur régional à M. B... dans le cadre de son reclassement, la société Hanes n'a pas satisfait à son obligation légale de reclassement. Elle n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 3 août 2017.

11. Par ailleurs, par décision du 21 février 2018, la ministre du travail, sans annuler celle de l'inspecteur du travail, a retenu un autre motif de refus de l'autorisation sollicitée, de sorte que cette décision ne s'étant pas substituée à celle de l'inspecteur du travail, les moyens tirés de ses vices propres, liés à sa motivation et à un motif de fond, ne peuvent qu'être écartés comme inopérants. La société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande d'annulation de la décision de la ministre du travail du 21 février 2018.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la société Hanes au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Hanes la somme de 1 500 euros à verser à M. B... au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Hanes France est rejetée.

Article 2 : La SAS Hanes France versera une somme de 1 500 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Hanes France, à M. A... B... et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Pilven, président-assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2024.

Le rapporteur,

J-E PILVENLe président,

P.-L. ALBERTINILa greffière,

S. DIABOUGA

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 21VE02088 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE02088
Date de la décision : 18/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-03-02-02 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Modalités de délivrance ou de refus de l'autorisation. - Modalités d'instruction de la demande. - Motivation.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Jean-Edmond PILVEN
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : CABINET CAPSTAN - PYTHEAS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-18;21ve02088 ?
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