Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme H... D..., M. G... C..., Mme F... C... et M. E... C... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers à leur verser des indemnités d'un montant total de 256 760,27 euros, avec intérêts et capitalisation, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait d'une prise en charge fautive de leur compagnon et père, M. A... C..., décédé le 16 septembre 2014.
Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de
la Charente-Maritime, agissant pour le compte de la CPAM de la Vienne, a demandé au tribunal de condamner le CHU de Poitiers à lui verser la somme de 854,08 euros en remboursement de ses débours.
Par un jugement n° 1900079 du 4 décembre 2020, le tribunal a condamné le CHU de Poitiers à verser les sommes de 6 412,50 euros à la succession de M. C..., de 14 154,20 euros à Mme D..., de 4 950 euros à M. G... C... et de 5 400 euros chacun à Mme F... C... et M. E... C..., avec intérêts et capitalisation, et a rejeté la demande de la CPAM de la Charente-Maritime.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 12 janvier 2021 sous le n° 21BX00137 et un mémoire enregistré le 9 mai 2022, la CPAM de la Charente-Maritime, représentée par la SELARL Bardet et Associés, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement en ce qu'il a " limité sa demande " ;
2°) de condamner le CHU de Poitiers à lui verser la somme de 23 169,54 euros
avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, et de faire application de
l'article 1343-2 du code civil ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Poitiers les sommes de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal, qui a indemnisé Mme D... et les consorts C... sur la base d'un taux de perte de chance de 45 % d'échapper au dommage en lien avec la faute commise par le CHU de Poitiers lors de l'hospitalisation de M. C... du 16 au 17 juin 2014, a rejeté sa demande relative à cette hospitalisation ;
- la faute retenue par l'expert est à l'origine de l'hospitalisation de M. C... du 31 août au 1er septembre 2014 pour un coût de 22 803,20 euros, et elle a également versé 366,34 euros d'indemnités journalières au titre de cette période ; elle est ainsi fondée à demander la condamnation du CHU de Poitiers à lui verser la somme de 23 169,54 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 mai 2022, le CHU de Poitiers, représenté par le cabinet Le Prado - Gilbert, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- ce n'est pas le tribunal mais la CPAM de la Charente-Maritime qui a limité la demande de remboursement aux frais d'hospitalisation du 16 au 17 juin 2014, et cette demande a été rejetée au motif que cette hospitalisation était imputable au malaise de M. C... ; la somme de 23 169,54 euros demandée en appel correspond à des frais d'hospitalisation
du 1er au 16 septembre 2014 et à des indemnités journalières pour la même période ; la caisse, qui n'a pas demandé le remboursement de ces débours en première instance, n'est pas recevable à le faire pour la première fois en appel ;
- à titre subsidiaire, la CPAM de la Charente-Maritime ne justifie pas de la réalité des dépenses dont elle demande le remboursement et ne tient pas compte du taux de perte de chance de 45 %.
II. Par une requête enregistrée le 4 février 2021 sous le n° 21BX00429 et un mémoire enregistré le 31 mai 2022, Mme H... D..., M. G... C..., Mme F... C... et M. E... C..., représentés par la SCP Denizeau, Gaborit, Takhdemit, demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 1900079
du 4 décembre 2020 en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs demandes ;
2°) de condamner le CHU de Poitiers à leur verser les sommes de 30 240 euros au titre des préjudices subis par M. A... C..., et de verser les sommes de 108 888 euros à Mme D..., de 50 000 euros à Mme F... C... et de 40 000 euros chacun à M. G... C... et M. E... C..., avec intérêts à compter de la date de leur réclamation préalable et capitalisation ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Poitiers les dépens incluant les frais d'expertise, ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité pour faute du CHU de Poitiers à raison de l'absence d'investigation complémentaire avant le retour au domicile le 17 juin 2014, alors qu'une anomalie du dosage de la troponine devait faire évoquer un processus embolique ;
- le taux de perte de chance de 45 % retenu par le tribunal est insuffisant et doit être porté à 50 % dès lors que l'expert a répondu à leur dire qu'un niveau médian de perte de chance doit être retenu puisqu'il est impossible de déterminer scientifiquement un chiffrage plus affiné ;
En ce qui concerne les préjudices de M. A... C... :
- le déficit fonctionnel temporaire total du 1er au 16 septembre 2014 doit être indemnisé sur la base de 30 euros par jour, soit 240 euros après application du taux de perte de chance
de 50 % ;
- la somme allouée au titre des souffrances endurées de 6 sur 7 doit être portée
de 15 000 euros à 25 000 euros après application du taux de 50 %, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de la durée des souffrances ;
- contrairement à ce qu'a retenu l'expert, un préjudice esthétique important a existé, dès lors qu'une intubation invasive altère nécessairement l'apparence du patient ; il convient de l'indemniser à hauteur de 5 000 euros après application du taux de 50 % ;
En ce qui concerne les préjudices de Mme D... :
- alors même que M. C... était toujours marié, Mme D... vivait en concubinage stable avec lui depuis 2009, ainsi qu'il en est justifié par les pièces produites ;
- il est demandé, après application du taux de 50 %, 10 000 euros au titre du préjudice d'attente, d'incertitude ou d'angoisse, 10 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement
et 20 000 euros au titre du préjudice d'affection ;
- les circonstances que M. C... déclarait ses revenus séparément et était fiscalement domicilié à la même adresse que son épouse, alors que cette dernière ne présente aucune demande indemnitaire, sont sans incidence sur l'existence du préjudice économique
de Mme D... ; le revenu du foyer s'élevait à 42 560 euros en 2013, et il y a lieu de retenir une part d'autoconsommation de 25 % de M. C... ; le préjudice économique de Mme D... doit ainsi être fixé à 4 808 euros par an, dont 20 400 euros du 16 septembre 2014
au 31 décembre 2018 et 117 377,70 euros pour la période postérieure au 1er janvier 2019, compte tenu du coefficient de capitalisation pour un homme qui aurait été âgé de 62 ans à cette date,
soit au total 68 888,85 euros après application du taux de 50 % ; le fait que ses revenus étaient supérieurs à ceux de M. C... est sans incidence sur l'existence de son préjudice économique ; elle ne remplit pas les conditions d'attribution d'une pension de réversion et atteste sur l'honneur qu'aucun contrat d'assurance privé n'a été souscrit à son bénéfice, ce qui est corroboré par ses relevés bancaires ;
En ce qui concerne les préjudices des enfants de M. C... :
- après application du taux de 50 %, il est demandé 40 000 euros chacun pour M. G... C... et M. E... C..., dont 10 000 euros au titre du préjudice d'attente, d'anxiété ou d'angoisse, 10 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement et 20 000 euros au titre du préjudice d'affection ;
- Mme F... C..., infirmière, a pratiqué une réanimation cardiaque avant l'arrivée du SAMU et a présenté un syndrome dépressif après le décès de son père ; après application du taux de 50 %, il est demandé 50 000 euros, dont 20 000 euros au titre du préjudice d'attente, d'anxiété ou d'angoisse, 10 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement et 20 000 euros au titre du préjudice d'affection.
Par des mémoires en défense enregistrés les 29 avril et 14 juin 2022, le CHU de Poitiers, représenté par le cabinet Le Prado - Gilbert, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement en ce qu'il l'a condamné à verser à Mme D... une somme de 6 064,20 euros au titre d'un préjudice économique.
Il fait valoir que :
- l'expert ayant évalué la perte de chance à 40 à 50 %, c'est à bon droit que les premiers juges l'ont fixée à 45 % ;
- les sommes allouées par le tribunal au titre des préjudices de M. C... sont suffisantes, et c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande relative au préjudice esthétique ;
- l'existence d'une communauté de vie stable et continue entre M. C... et Mme D... n'est établie ni par la production d'attestations qui ne respectent pas le formalisme requis pour les attestations produites en justice, ni par cinq photographies non légendées ; au surplus, il ne peut être exclu que l'épouse de M. C..., dont il n'était pas divorcé et avec laquelle il continuait à déposer des déclarations de revenus communes, puisse prétendre à la réparation du préjudice économique causé par le décès de son époux ; il est ainsi fondé à demander la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamné à verser la somme de 6 064,20 euros à Mme D... en réparation d'un préjudice économique ; à titre subsidiaire, Mme D... n'a pas justifié qu'elle n'aurait perçu aucun capital au titre d'une assurance décès souscrite à son bénéfice, et en toute hypothèse, elle n'a subi aucun préjudice économique car son revenu après le décès est supérieur au revenu disponible antérieur compte tenu d'une part d'autoconsommation de M. C... devant être fixée à 40 % des revenus du couple ;
- le préjudice d'attente, d'angoisse ou d'anxiété fait double emploi avec le préjudice d'affection et avec le préjudice d'accompagnement, et les sommes allouées à Mme D... et aux enfants de M. C... au titre de leur préjudice moral sont suffisantes ;
- les sommes allouées à titre provisionnel par l'ordonnance du juge des référés
du 24 mai 2019, confirmée en appel par une ordonnance du 6 mars 2020, doivent venir en déduction des indemnités accordées dans l'instance au principal, comme indiqué à l'article 3 du jugement ;
- la demande de remboursement par la CPAM de la Charente-Maritime, qui correspond à des frais d'hospitalisation et à des indemnités journalières du 1er au 16 septembre 2014, est nouvelle en appel, et par suite irrecevable ; à titre subsidiaire, la caisse ne justifie pas de la réalité des dépenses dont elle demande le remboursement et omet de tenir compte du taux de perte de chance de 45 %.
Par un mémoire enregistré le 9 mai 2022, la CPAM de la Charente-Maritime, représentée par la SELARL Bardet et Associés, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement en ce qu'il a " limité sa demande " ;
2°) de condamner le CHU de Poitiers à lui verser la somme de 23 169,54 euros
avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, et de faire application de
l'article 1343-2 du code civil ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Poitiers les sommes de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ses écritures sont identiques à celles présentées dans l'instance n° 21BX00137.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Goldnadel, représentant le CHU de Poitiers.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., âgé de 57 ans, a présenté dans la nuit du 15 au 16 juin 2014 des ronflements très importants avec pauses respiratoires, puis, après avoir été réveillé par sa compagne, des difficultés d'élocution et des acouphènes. Il a été adressé par le SAMU
au CHU de Poitiers et a été hospitalisé du 16 au 17 juin dans le service de neurologie de cet établissement, où un accident ischémique transitoire a été diagnostiqué. Un enregistrement polysomnographique réalisé le 16 juillet 2014 a mis en évidence un syndrome d'apnée hypopnée sévère. Dans la nuit du 31 août au 1er septembre, M. C... a été retrouvé dans un état inquiétant, avec des pauses respiratoires puis un arrêt cardio-respiratoire. Sa fille infirmière, alors présente, a pratiqué une réanimation en attendant l'arrivée du SAMU, lequel est parvenu à obtenir la récupération d'un rythme sinusal après des périodes de " no flow " de 6 à 10 minutes et
de " low flow " d'environ 25 minutes. Malgré sa prise en charge au CHU de Poitiers où il a été transféré, M. C... est décédé le 16 septembre 2014 d'une encéphalopathie post-anoxique.
2. Mme D..., M. G... C..., Mme F... C... et M. E... C..., compagne et enfants de M. C..., ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers d'une demande d'expertise, à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du 25 octobre 2016. L'expert a estimé que le tableau neurologique présenté le 16 juin 2014 et les examens réalisés lors de l'hospitalisation du 16 au 17 juin, avec une élévation temporaire de la troponine bien
au-delà des normes et une évolutivité atypique de l'électrocardiogramme chez un patient asymptomatique, évoquaient avec une haute probabilité un processus embolique bifocal, en rapport avec un remaniement myocardique d'une part, et une ischémie cérébrale d'autre part. Il a conclu que dans ce contexte, l'absence de bilan spécifique à la recherche d'un thrombus intracavitaire était fautive et avait fait perdre une chance de 40 à 50 % d'éviter l'infarctus survenu deux mois et demi plus tard.
3. Après avoir présenté une réclamation préalable restée sans réponse, Mme D... et les consorts C... ont saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande de condamnation du CHU de Poitiers à verser les sommes de 30 240 euros à la succession de M. C...,
de 96 520,27 euros à Mme D..., de 40 000 euros chacun à M. G... C... et
M. E... C..., et de 50 000 euros à Mme F... C.... La CPAM de la Charente-Maritime, agissant pour le compte de la CPAM de la Vienne, est intervenue pour demander
le remboursement de la somme de 854,08 euros au titre des frais d'hospitalisation
du 16 au 17 juin 2014. Par un jugement du 4 décembre 2020, le tribunal a condamné le CHU de Poitiers à verser les sommes de 6 412,50 euros à la succession de M. C..., de 14 154,20 euros à Mme D... et de 4 950 euros à M. G... C..., et de 5 400 euros chacun à Mme F... C... et M. E... C..., avec intérêts à compter du 20 septembre 2018 et capitalisation à compter
du 20 septembre 2019, a mis les frais d'expertise à la charge du CHU de Poitiers, et a rejeté le surplus des demandes. La CPAM de la Charente-Maritime d'une part, Mme D... et les consorts C... d'autre part, relèvent appel de ce jugement. Par son appel incident, le CHU de Poitiers demande à la cour de le réformer en ce qu'il l'a condamné à verser à Mme D... une somme de 6 064,20 euros au titre d'un préjudice économique.
Sur la jonction :
4. Les requêtes enregistrées sous les nos 21BX00137 et 21BX00429 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la responsabilité du CHU de Poitiers :
5. Le CHU de Poitiers ne conteste ni sa responsabilité pour faute, retenue par le tribunal à raison de l'absence d'investigation à la recherche d'un thrombus lors de l'hospitalisation
des 16 et 17 juin 2014, ni le taux de perte de chance fixé à 45 % par les premiers juges en se fondant sur l'évaluation de l'expert, selon lequel la perte de chance d'échapper à l'infarctus grâce à la mise en place d'un traitement anticoagulant était " très difficile à apprécier, sans doute pas inférieure à 40 %, sans doute pas supérieure à 50 % ". Contrairement à ce que soutiennent Mme D... et les consorts C..., l'expert ne peut être regardé comme s'étant prononcé en faveur d'un taux de 50 % dans la réponse à leur dire, alors qu'il a seulement réaffirmé qu'il était impossible de déterminer scientifiquement un chiffrage plus affiné et conclu qu'un niveau médian de perte de chance devait être retenu. Dans ces conditions, le taux de perte de chance de 45% doit être maintenu.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices de M. C... :
6. Il y a lieu d'évaluer le déficit fonctionnel temporaire total retenu par l'expert entre
le 1er et le 16 septembre 2014 à 320 euros sur la base de 20 euros par jour. Alors que l'infarctus du 1er septembre 2014 a été immédiatement suivi d'une période de coma anoxique sans réveil jusqu'au décès, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation des souffrances endurées, cotées à 6 sur 7 par l'expert pour deux semaines de réanimation, en les évaluant
à 15 000 euros. Contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, l'alitement, l'intubation
et la ventilation durant les deux semaines qui ont précédé le décès caractérisent un préjudice esthétique, qu'il y a lieu d'évaluer à 2 000 euros. Par suite, les préjudices de M. C... doivent être portés de 6 412,50 euros à 7 794 euros après application du taux de perte de chance de 45 %.
En ce qui concerne les préjudices de Mme D... :
7. Il y a lieu d'admettre, bien que les nombreuses attestations produites ne soient pas accompagnées de justificatifs d'identité de leurs auteurs, que M. C... entretenait une relation stable et durable avec Mme D..., avec une vie commune au domicile de cette dernière depuis le mois de février 2009. Toutefois, cette circonstance ne suffit pas à établir une mise en commun des revenus dès lors qu'il résulte de l'instruction que M. C..., qui n'était pas divorcé, continuait à déclarer ses revenus avec ceux de son épouse, ce foyer fiscal bénéficiant d'ailleurs
d'une demi-part supplémentaire au titre d'un enfant majeur dont il supportait la charge. Dans ces circonstances, l'existence d'un préjudice économique subi par Mme D... n'est pas établie. Au demeurant, à supposer cette mise en commun avérée, le tribunal a fait une appréciation insuffisante de la part d'autoconsommation des revenus par M. C... en la fixant à 35 % au lieu de 40 %, alors que le couple qu'il formait avec Mme D..., dont les revenus étaient supérieurs aux siens, n'avait pas d'enfant à charge. De plus, les premiers juges ont capitalisé une perte de revenus d'activité par application d'un coefficient de rente viagère, sans tenir compte du fait que M. C... aurait nécessairement vu baisser ses revenus à l'âge de la retraite, dont il était proche. Par suite, le CHU de Poitiers est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal, après application du taux de perte de chance, l'a condamné à verser une somme de 6 064,20 euros au titre d'un préjudice économique de Mme D....
8. Il résulte de l'instruction que les séquelles anoxiques de l'arrêt cardio-respiratoire sont restées incertaines jusqu'au 8 septembre 2014, date à laquelle l'équipe médicale a informé les proches de M. C... de l'évolution gravissime et probablement irréversible de son état neurologique. En évaluant à une somme globale de 3 000 euros la souffrance morale éprouvée par Mme D... du fait de l'incertitude sur les perspectives de survie de son compagnon et les troubles dans ses conditions d'existence durant 16 jours d'hospitalisation jusqu'au décès, le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation de ces préjudices.
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évaluer le préjudice d'affection
de Mme D... à 20 000 euros.
9. Il résulte de ce qui précède qu'après application du taux de perte de chance de 45 %, la somme que le CHU de Poitiers a été condamné à verser à Mme D... doit être ramenée
de 14 154,20 euros à 10 350 euros.
En ce qui concerne les préjudices des enfants de M. C... :
10. Les premiers juges ont tenu compte de la situation de Mme F... C..., particulièrement affectée par l'évolution de l'état de santé de son père qu'elle avait tenté de réanimer en attendant l'arrivée du SAMU, en évaluant ses préjudices d'angoisse et d'accompagnement à une somme globale de 4 000 euros, laquelle apparaît suffisante, de même que l'évaluation globale des mêmes préjudices à 3 000 euros pour chacun des deux autres enfants majeurs de M. C....
11. En fixant à 8 000 euros chacun le préjudice d'affection de Mme F... C... et de M. G... C... et à 9 000 euros celui de M. E... C..., âgé seulement de 21 ans lors du décès de son père, le tribunal n'a pas sous-évalué ces préjudices.
12. Il résulte de ce qui précède que Mme F... C..., M. G... C...,
et M. E... C... ne sont pas fondés à demander le rehaussement des sommes respectives
de 5 400 euros, 4 950 euros et 5 400 euros qui leur ont été allouées par le tribunal après application du taux de perte de chance de 45 %.
Sur la demande de la CPAM de la Charente-Maritime :
13. Une caisse primaire d'assurance-maladie ayant été mise à même de faire valoir ses droits devant le tribunal administratif mais ayant omis de demander en temps utile le remboursement des frais exposés antérieurement au jugement de ce tribunal n'est plus recevable à le demander devant le juge d'appel.
14. La CPAM de la Charente-Maritime, qui s'est bornée à demander en
première instance le remboursement de 854,08 euros correspondant aux frais d'hospitalisation du 16 au 17 juin 2014, en lien avec l'accident ischémique présenté par M. C... dans la nuit
du 15 au 16 juin 2014, et non avec la faute commise lors de cette hospitalisation, ne saurait reprocher aux premiers juges d'avoir " limité " sa demande. Comme le fait valoir le CHU de Poitiers, elle n'est pas recevable à solliciter pour la première fois en appel le remboursement des frais d'hospitalisation du 1er au 16 septembre 2014 et des indemnités journalières versées au titre de la période du 4 au 16 septembre 2014, alors qu'elle était en mesure de présenter cette demande devant le tribunal.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la somme que le CHU de Poitiers a été condamné à verser à la succession de M. C... doit être portée de 6 142,50 euros à 7 794 euros, que la somme que le CHU de Poitiers a été condamné à verser à Mme D... doit être ramenée de 14 154,20 euros à 10 350 euros, et que l'appel de la CPAM de la Charente-Maritime doit être rejeté.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
16. Les conclusions de Mme D... et des consorts C... tendant à ce que les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés soient mis à la charge du CHU de Poitiers sont sans objet dès lors qu'ainsi qu'il a été exposé au point 2, le jugement du 20 octobre 2020 les a mis à la charge de cet établissement.
17. Le rejet de l'appel de la CPAM de la Charente-Maritime entraîne, par voie
de conséquence, celui de ses conclusions tendant à l'application des dispositions de
l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale relatif à l'indemnité forfaitaire de gestion et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge du CHU de Poitiers au titre des frais exposés par Mme D... et les consorts C... à l'occasion du présent litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme que le CHU de Poitiers a été condamné à verser à la succession de M. C... est portée de 6 412,50 euros à 7 794 euros.
Article 2 : La somme que le CHU de Poitiers a été condamné à verser à Mme D... est ramenée de 14 154,20 euros à 10 350 euros.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 1900079 du 4 décembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... D..., représentante unique pour Mme D... et les consorts C..., à la caisse primaire d'assurance maladie
de la Charente-Maritime et au centre hospitalier universitaire de Poitiers.
Délibéré après l'audience du 10 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2023.
La rapporteure,
Anne B...
La présidente,
Catherine GiraultLe greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
Nos 21BX00137, 21BX00429