Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 16 septembre 2020 par laquelle l'inspectrice du travail de la quatrième section de la deuxième unité de contrôle de l'Oise a autorisé la société Saga Décor à procéder à son licenciement pour faute.
Par un jugement n° 2003678 du 20 octobre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 décembre 2022, Mme A..., représentée par Me Renault, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 16 septembre 2020 autorisant son licenciement ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
- elle n'a commis aucune faute dès lors que les attestations sur l'honneur qu'elle a produites ne sont pas mensongères et qu'elle était éligible au dispositif " arrêt pour garde d'enfant " ;
- les faits ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement ;
- son licenciement est en lien avec son mandat de représentante syndicale et permet à son employeur d'éviter de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 10 février et 2 mars 2023, la société Saga Décor, représentée par Me Reyes, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge de Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
La requête a été communiquée à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, qui n'a pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 25 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 26 juin 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le décret n° 2020-73 du 31 janvier 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur ;
- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public ;
- les observations de Me Renault, représentant Mme A..., et de Me Reyes, représentant la société Saga Décor.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a été recrutée le 1er octobre 1996 par la société Saga Décor dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée pour exercer les fonctions de " conductrice décor ". Elle a été élue membre titulaire du collège ouvriers-employés du comité social et économique (CSE) aux élections du 29 octobre 2019. Le 15 juillet 2020, la société Saga Décor a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de licencier Mme A.... Par une décision du 16 septembre 2020, l'inspectrice du travail a autorisé la société Saga Décor à procéder à ce licenciement. Mme A... fait appel du jugement du 20 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
2. En premier lieu, en l'absence de tout élément nouveau en appel susceptible de remettre en cause l'appréciation portée par les premiers juges, il y a lieu, par adoption des motifs retenus aux points 2 et 3 du jugement attaqué, d'écarter le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision du 16 septembre 2020 de l'inspectrice du travail.
3. En deuxième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
4. Aux termes de l'article 1er du décret n° 2020-73 du 31 janvier 2020, dans sa version applicable aux arrêts de travail en litige : " En application de l'article L. 16-10-1 du code de la sécurité sociale, afin de limiter la propagation de l'épidémie de 2019-n-Cov, les assurés qui font l'objet d'une mesure d'isolement, d'éviction ou de maintien à domicile ainsi que ceux qui sont parents d'un enfant de moins de seize ans faisant lui-même l'objet d'une telle mesure et qui se trouvent, pour l'un de ces motifs, dans l'impossibilité de continuer à travailler peuvent bénéficier, au titre de cet arrêt de travail, des indemnités journalières prévues aux articles L. 321-1, L. 622-1 du même code et L. 732-4 et L. 742-3 du code rural et de la pêche maritime dans les conditions suivantes : (...) / (...). Pour les assurés qui sont parents d'un enfant de moins de seize ans faisant lui-même l'objet d'une mesure d'isolement, d'éviction et de maintien à domicile, les indemnités journalières peuvent être versées pendant toute la durée de fermeture de l'établissement accueillant cet enfant ".
5. Il ressort des pièces du dossier que pour autoriser le licenciement de Mme A..., l'inspectrice du travail a retenu que la requérante avait adopté un comportement fautif en attestant sur l'honneur, à quatre reprises, ne pas disposer d'une solution de garde pour ses deux enfants de moins de seize ans, afin de bénéficier d'un arrêt de travail du 17 mars au 30 avril 2020, dans les conditions dérogatoires prévues par les dispositions citées au point précédent, dans le contexte d'épidémie de Covid-2019, alors que son conjoint était durant la même période en activité partielle, présent au domicile familial et donc à même d'assurer cette garde. Pour justifier de la régularité des attestations litigieuses, Mme A... soutient que son conjoint, unique salarié d'une entreprise spécialisée dans le nettoyage de chantiers de travaux publics, se tenait durant la période d'urgence sanitaire à la disposition de son employeur avec l'obligation de se rendre sur son lieu de travail habituel dans un délai de trente minutes. Toutefois, alors qu'elle ne conteste pas avoir omis d'informer la société Saga Décor de la situation de son conjoint, les obligations pesant sur celui-ci, notamment le délai très bref imposé pour une reprise d'activité, ne ressortent que d'attestations établies par l'employeur de l'intéressé en septembre 2020, au cours de l'enquête contradictoire, et n'apparaissent pas compatibles avec l'exigence d'exécution loyale du contrat de travail qui s'impose à l'employeur du conjoint. Au demeurant, il n'est pas même allégué que ce dernier aurait été rappelé une seule fois sur son lieu de travail au cours de la période de confinement imposée par la pandémie, afin de procéder au nettoyage d'un chantier ou d'une voie publique, alors que Mme A... a attesté à plusieurs reprises pendant la même période n'avoir aucune solution de garde pour ses enfants. De même, l'allégation de la requérante selon laquelle elle n'aurait été informée du placement en activité partielle de son conjoint en raison de la remise tardive des bulletins de paie, laquelle ne ressort que de l'attestation du 7 septembre 2020 de l'employeur de son conjoint, n'est pas établie. Enfin, si Mme A... conteste la possibilité de quitter son lieu de travail pour regagner son domicile afin d'assurer la garde de ses enfants, dans l'hypothèse d'une reprise d'activité soudaine de son conjoint, il ressort des pièces du dossier que son employeur avait mis en place un dispositif d'appel d'urgence qui lui aurait permis d'être informée en temps utile de l'indisponibilité de son conjoint et de quitter son poste de façon anticipée en cas d'urgence. Dans ces conditions, Mme A... n'établit pas avoir été dans l'impossibilité de continuer à travailler du 17 mars au 30 avril 2020 et a donc produit auprès de son employeur plusieurs attestations mensongères aux fins de bénéficier d'un arrêt de travail dérogatoire.
6. En dernier lieu, Mme A... soutient que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, dès lors qu'elle n'a aucun antécédent disciplinaire en vingt-quatre ans de carrière dans l'entreprise qui n'a subi aucun préjudice en raison de son absence. Toutefois, il ressort des procès-verbaux des réunions des 6 avril et 15 juin 2020 du comité social et économique que les congés pour gardes d'enfant ont contribué à une hausse très importante du taux d'absentéisme et à une diminution de la production de l'entreprise. En outre, eu égard à la durée de l'arrêt de travail dont elle a bénéficié, la circonstance qu'elle n'ait fait l'objet durant ses vingt-quatre années de présence au sein de l'entreprise d'aucune sanction disciplinaire ne suffit pas à retirer son caractère de gravité aux attestations mensongères qu'elle a établies à plusieurs reprises. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que le licenciement de la requérante ait un lien avec son mandat syndical, dès lors notamment que deux autres salariés, non titulaires de fonctions représentatives, ont fait l'objet d'un licenciement pour motif disciplinaire pour avoir également bénéficié du même arrêt de travail dérogatoire sans satisfaire à la condition d'être dans l'impossibilité de continuer à travailler. Par suite, Mme A... a adopté un comportement contraire à l'obligation de loyauté à laquelle elle était tenue en application de l'article L. 1222-1 du code du travail d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par Mme A... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme demandée par la société Saga Décor sur le même fondement.
DÉCIDE:
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Saga Décor présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à la société Saga Décor et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience publique du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre ;
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur :
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 octobre 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
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N° 22DA02581