Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... Guitteaud a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner l'Etat à lui verser la somme de 730 000 euros, en réparation des préjudices résultant de la perte de chance de bénéficier des traitements et indemnités liés à ses fonctions, la somme de 150 000 euros au titre du préjudice moral résultant des agissements de harcèlement moral dont il a été victime, la somme de 100 000 euros au titre du préjudice résultant de la sanction déguisée dont il a fait l'objet et la somme de 5 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence, ces sommes devant être majorées des intérêts moratoires capitalisés.
Par un jugement n° 1600504 du 13 novembre 2018, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 février 2019 au greffe du tribunal administratif de Bordeaux, lequel l'a transmise à la cour par ordonnance du 29 mars 2019, M. Guitteaud, représenté par Me Auteville, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 13 novembre 2018 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 635 000 euros, en réparation des préjudices résultant de la perte de chance de bénéficier des traitements et indemnités liés à ses fonctions, la somme de 185 500 euros au titre du préjudice moral résultant des agissements de harcèlement moral dont il a été victime et la somme de 5 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence, ces sommes devant être majorées des intérêts moratoires capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il a subi des agissements de harcèlement moral, suite à sa réintégration au rectorat de la Martinique ;
- il a été victime d'une sanction disciplinaire déguisée consistant en son affectation sur un emploi ne correspondant pas à son niveau de responsabilité par un arrêté du 29 septembre 2015 ;
- son préjudice économique doit être évalué à 635 000 euros en raison de la perte d'une chance sérieuse d'évoluer vers des emplois supérieurs ;
- son préjudice moral doit être évalué à la somme de 185 500 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2020, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 83-1033 du 3 décembre 1983 ;
- le décret n° 2011-1317 du 17 octobre 2011 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fabienne Zuccarello,
- et les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. Guitteaud, conseiller d'administration scolaire et universitaire, devenu attaché d'administration de l'Etat, a été affecté, en position de détachement, auprès du préfet de la Martinique du 15 février 2011 au 1er septembre 2014, pour exercer les fonctions de chargé de mission, directeur de la plate-forme d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines Antilles-Guyane, avant d'être réintégré dans son administration d'origine, le rectorat de la Martinique. Estimant être victime de harcèlement moral depuis sa réintégration, avoir subi une sanction déguisée et avoir été ralenti dans sa carrière, M. Guitteaud a saisi le tribunal administratif de la Martinique d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de ces agissements. Il relève appel du jugement du 13 novembre 2018 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la responsabilité :
En ce qui concerne le harcèlement moral :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".
3. D'une part, il appartient à un agent public, qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
5. M. Guitteaud fait valoir qu'il a été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie depuis son retour de détachement le 1er septembre 2014. Il précise qu'aucune mission ne lui a été confiée pendant sept mois, et que par la suite, si un poste de chargé de mission en matière d'apprentissage auprès de la déléguée académique lui a été confié, d'une part, ce poste ne correspondait pas à son grade et, d'autre part, il a subi des humiliations et des comportements inadaptés émanant des services du rectorat.
6. Toutefois, il résulte de l'instruction que s'agissant du premier poste de responsable des missions de restructuration et de modernisation occupé par M. Guitteaud, si ce poste n'était pas défini ni affecté des attributs de son grade, il reste que les services du rectorat ont dû accueillir à brève échéance M. Guitteaud en raison du refus du préfet de la Martinique de renouveler son détachement. Aussi, compte tenu du grade de M. Guitteaud, de la taille modeste du rectorat de la Martinique et alors que son retour n'avait pu être anticipé, la circonstance qu'un poste d'encadrement supérieur n'ait pu lui être immédiatement confié, ne saurait révéler des agissements de harcèlement moral. S'agissant du second emploi confié à M. Guitteaud, il ne résulte pas des éléments qu'il produits que les incidents évoqués par M. Guitteaud, tenant notamment à des problèmes de communication ou de transmission d'informations, aient dépassé les limites des tensions inhérentes à toute activité professionnelle, au demeurant compte tenu du niveau de responsabilité du requérant, nécessairement rompu à l'exercice de l'autorité et de l'encadrement.
7. Par suite, M. Guitteaud ne peut être regardé comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
En ce qui concerne la sanction déguisée :
8. Pour établir qu'il a fait l'objet d'une sanction déguisée M. Guitteaud fait valoir que le poste de correspondant académique de l'apprentissage qui lui a été confié ne représentait pas un véritable emploi de son niveau de responsabilité. Il ajoute qu'il n'a pas obtenu de compte rendu d'entretien professionnel pour les années 2014 et 2015 et que les éléments qui lui étaient favorables ont été supprimés de son dossier administratif.
9. Cependant, il résulte de l'instruction que le poste de correspondant académique puis de chargé de mission pour l'apprentissage confié au requérant était assorti d'une fiche de poste pour un agent du grade de M. Guitteaud, et que l'apprentissage relevait d'une politique de l'éducation prioritaire. Aussi, le requérant disposait de réelles missions et des moyens pour les exercer. En outre, il ne peut être reproché aux services du rectorat de ne pas avoir procédé à son entretien professionnel de l'année 2014 dès lors que l'intéressé était alors en détachement auprès du préfet de la Martinique, autorité chargée de son évaluation. Si M. Guitteaud soutient ne pas avoir obtenu le compte rendu de son entretien professionnel pour l'année 2015, il n'allègue pas en avoir demandé la communication à son administration. Enfin, la seule circonstance que le dossier administratif de M. Guitteaud était dépourvu de plusieurs pièces et mal tenu ne révèle ni une intention malveillante ni une volonté de sanctionner l'intéressé.
10. Ainsi qu'il a été dit aux points 7 et 9, M. Guitteaud ne peut être regardé comme ayant été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral ni de sanction déguisée ni de tous autres faits de nature à ouvrir droit au bénéfice d'une indemnité. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande indemnitaire sur ces fondements.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. Guitteaud demande au titre des frais liés à l'instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. Guitteaud est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... Guitteaud et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Délibéré après l'audience du 16 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 octobre 2021.
La rapporteure,
Fabienne Zuccarello La présidente,
Marianne Hardy
La greffière,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX01166