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12/01/2021 | FRANCE | N°20VE00234

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 12 janvier 2021, 20VE00234


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Rational Services Limited a demandé au tribunal administratif de Montreuil de faire droit à sa demande de remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée déductible de 1 230 353 euros au titre de la période du 1er avril au 31 juillet 2013.

Par un jugement n° 1404793 du 1er mars 2016, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16VE01800 du 31 mai 2018, la cour a rejeté l'appel formé par la société Amaya Services Limited, venant aux dro

its de la société Rational Services Limited, contre ce jugement.

Par une décision n° 4226...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Rational Services Limited a demandé au tribunal administratif de Montreuil de faire droit à sa demande de remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée déductible de 1 230 353 euros au titre de la période du 1er avril au 31 juillet 2013.

Par un jugement n° 1404793 du 1er mars 2016, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16VE01800 du 31 mai 2018, la cour a rejeté l'appel formé par la société Amaya Services Limited, venant aux droits de la société Rational Services Limited, contre ce jugement.

Par une décision n° 422641 du 27 décembre 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la société Amaya Services Limited, a annulé cet arrêt, et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Versailles.

Seconde procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 15 juin 2016, 14 novembre 2016, 15 avril 2020 et 10 juillet 2020, la société Amaya Services Limited, représentée par Me Cygler, avocat, demande à la cour :

1° d'annuler le jugement attaqué ;

2° de prononcer en sa faveur le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 1 230 353 euros demandé ;

3° de mettre à la charge de l'État la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

La société Amaya Services Limited soutient que :

- la société Rational Services Limited avait qualité pour présenter la demande de remboursement de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en qualité de représentant du groupement auquel elle appartenait ;

- sa demande de remboursement présentée le 12 août 2013 n'était pas tardive, dès lors, d'une part, que le délai prévu par l'article 15 de la directive 2008/9 du 12 février 2008 ne lui est pas opposable faute de transposition en droit interne de ces dispositions par les autorités françaises, d'autre part, que l'émission de factures rectificatives par son fournisseur français constitue un événement au sens du c) de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ;

- l'impossibilité de présenter une demande de remboursement après l'envoi de factures rectificatives serait contraire aux principes d'équivalence et d'effectivité, tels qu'ils ont été interprétés par la Cour de justice des Communautés européennes dans la décision Ecotrade Spa aff. C95/07 et C-96/07 du 8 mai 2008, eu égard à la possibilité de présenter une telle demande dans ce cas de figure reconnue aux assujettis établis en France par l'interprétation administrative de la loi fiscale publiée au BOI-TVA-DED-40-20 n°80 ;

- la seule circonstance qu'elle n'a pas répondu à l'ensemble des demandes d'informations complémentaires adressées dans le cadre de l'instruction de sa demande préalable par le service en vertu de l'article 242-0 W de l'annexe II au code général des impôts ne permet pas de regarder cette demande comme irrecevable ;

- elle est fondée à demander la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée litigieuse dès lors notamment que l'activité qu'elle exerce, laquelle consiste à fournir des services marketing pour la promotion du site de poker en ligne " PokerStars " et non à exploiter un jeu d'argent ou de hasard, ouvrirait droit à déduction si elle était exercée en France.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2006/112/ CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- l'arrêt du 22 mai 2008 de la Cour de justice de l'Union européenne " Ampliscientifica Srl et Amplifin SpA " (aff. C-162/70) ;

- le code général des impôts ;

- les décrets n° 2020-1404 et n° 2020-1405 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique,

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Met, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Rational Services Limited, société de droit anglais résidente fiscale de l'Ile de Man, a demandé le 12 août 2013 le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 1 230 353 euros qu'elle a supportée en France au titre de la période du 1er avril au 31 juillet 2013. Par une décision du 27 janvier 2014, le service des impôts a rejeté sa demande au motif qu'elle n'avait pas fourni les renseignements permettant d'en apprécier du bien-fondé. La société Amaya Services Limited, nouvelle dénomination de la société Rational Services Limited, relève appel du jugement du 1er mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de remboursement de ce crédit de taxe sur la valeur ajoutée.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 11 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " Après consultation du comité consultatif de la taxe sur la valeur ajoutée (...), chaque Etat membre peut considérer comme un seul assujetti les personnes établies sur le territoire de ce même Etat membre qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liée entre elles sur les plans financiers, économique et de l'organisation ". Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt du 22 mai 2008 Ampliscientifica Srl et Amplifin SpA (aff. C-162/07), que le recours à ce régime implique que les sociétés membres d'un tel groupement cessent d'être considérées comme des assujettis distincts à la taxe sur la valeur ajoutée, pour être considérées comme un assujetti unique, seul attributaire d'un numéro individuel d'identification à cette taxe et, par suite, seul à pouvoir souscrire des déclarations de taxe sur la valeur ajoutée.

3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des certificats d'immatriculation au registre des sociétés de l'Ile de Man produits par la requérante, que la société Rational Services Limited, immatriculée sous le numéro 115375C lors de sa constitution le 24 janvier 2006 selon les règles prévues par une loi de 1931, a fait l'objet, le 6 janvier 2011, d'une nouvelle immatriculation selon le régime de droit des sociétés prévu par une loi de 2006, sous le numéro 006474V, puis qu'elle a changé sa dénomination sociale pour celle d'Amaya Services Limited le 11 septembre 2014. Il ressort, par ailleurs, d'une attestation de l'administration fiscale de l'Ile de Man qu'un " groupement TVA ", dont la représentante est cette même société Rational Services Limited, a été enregistré le 1er octobre 2010 sous le numéro GB 005 5222 42. Cette attestation précise que, à la date à laquelle elle a été établie le 22 avril 2016, le groupement avait conservé depuis sa constitution le même représentant fiscal, dont le changement de nom avait été notifié le 30 octobre 2014. Il ressort de ces éléments, non contredits par les informations ambigües issues de la base de données des numéros d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée "VIES", que la société Rational Services Limited était, à la date du 12 août 2013, le représentant fiscal du " groupement TVA " auquel elle appartenait. La société Amaya Services Limited est par suite fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande au motif que la société Rational Services Limited ne justifiait pas qu'elle avait qualité pour présenter la demande de remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée en litige.

4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Amaya Services Limited devant le tribunal administratif de Montreuil.

5. Aux termes de l'article 256-0 du code général des impôts, relatif à la définition du territoire communautaire pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée : " Pour l'application du présent chapitre : (...) l'Ile de Man est considérée comme une partie du territoire du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (...) ".

6. D'une part, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) / II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction (...). V. Ouvrent droit à déduction dans les mêmes conditions que s'ils étaient soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : (...) d) Les opérations non imposables en France réalisées par des assujettis dans la mesure où elles ouvriraient droit à déduction si leur lieu d'imposition se situait en France (...) ". L'article 242-0 N de l'annexe II au même code dispose : " Un assujetti non établi en France peut obtenir le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les biens qui lui ont été livrés ou les services qui lui ont été fournis en France par d'autres assujettis ou ayant grevé l'importation de biens en France, dans la mesure où ces biens et services sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes : / 1° les opérations dont le lieu d'imposition se situe hors de France mais qui ouvriraient droit à déduction si ce lieu d'imposition était situé en France ; (...) ". Aux termes du I de l'article 242-0 Q de la même annexe : " Pour bénéficier d'un remboursement, un assujetti non établi en France doit effectuer des opérations ouvrant droit à déduction dans l'Etat membre de l'Union européenne dans lequel il est établi ". Il résulte de ces dispositions qu'un assujetti établi dans l'Union européenne peut obtenir le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les biens qui lui ont été livrés ou les services qui lui ont été fournis en France lorsque ces biens et services ont été acquis pour les besoins d'opérations qui ouvrent droit à déduction dans l'Etat membre dans lequel il est établi et qui auraient été imposables si elles avaient eu lieu en France.

7. D'autre part, le i. du I de l'article 135 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 dispose que les Etats membres exonèrent " les paris, loteries et autres jeux de hasard ou d'argent, sous réserve des conditions et limites déterminées par chaque Etat membre ". Sont exonérés de TVA, en vertu de l'article 31 du Value Added Tax Act 1996 de l'Ile de Man, au titre du groupe 4 " betting, gaming and lotteries ", les services ayant pour objet : " 1. The provision of any facilities for the placing of bets or for the playing of any games of chance for a prize (...) ".

8. La société Amaya Services Limited fait valoir que les prestations audiovisuelles de production d'émissions de poker pour la télévision réalisées par la société Kawa Productions s'inscrivent dans le cadre de l'activité de marketing qu'elle-même, sous son ancienne dénomination Rational Services Limited (RSL), exerçait pour le compte de la société Rational Entertainment Enterprises Limited (REEL). Elle soutient qu'elle n'exerçait pas une activité d'organisation de jeux d'argent et de hasard exonérée de TVA, mais une activité de promotion du site de poker en ligne " PokerStars " en exécution d'un contrat conclu avec la société REEL. Aux termes de ce contrat, au demeurant non daté et signé par le même représentant pour les deux parties contractantes, la société RSL s'est engagée à attirer et fidéliser les clients du site web " PokerStars " et à fournir tous les services nécessaires à cette activité, notamment des services liés aux médias (marketing, parrainage, repérage de médias), mais aussi des services de soutien aux clients portant sur les paiements et retraits de fonds, l'aide en ligne et le support technique, les renseignements sur les jeux et divers services liés tels que la gestion de salles de poker et la programmation de tournois, ainsi que des services de sécurité et des services anti-fraude, anti-collusion et anti-blanchiment et de gestion des impayés. A ces fins, la société RSL est chargée de sous-traiter à des consultants le développement de l'activité, d'employer le personnel qualifié et de contracter avec les fournisseurs de biens et de services requis pour l'exploitation de l'activité, incluant la télécommunication, les services professionnels, le développement des logiciels et la maintenance du site web. En outre, les factures trimestrielles adressées par la société RSL à la société REEL portent non seulement sur des " frais pour les services de marketing ", mais aussi " d'exploitation et autres ". Si ces factures mentionnent de la " VAT ", les montants correspondent à des taux compris entre 0,28 et 0,31 %, très inférieurs aux taux applicables aux activités imposables à la TVA. Par ailleurs, les prestations à l'origine de la demande de remboursement réalisées en France par la société Kawa Productions ne concernent pas des films promotionnels, mais la production et la diffusion d'émissions de télévision, certaines factures incluant les gains des gagnants. La société RSL s'était au surplus elle-même présentée, à l'occasion d'une précédente demande de remboursement du 23 mars 2011, comme relevant du code APE 9200 " organisation de jeux de hasard ". Enfin, ces constations ne sont pas contredites par l'attestation de l'administration fiscale de l'Ile de Man selon laquelle l'activité de la société requérante consiste en la fourniture de services de marketing et d'autres services opérationnels de support aux sociétés du groupement. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que l'activité de la société RSL, qui consiste non seulement à faire la promotion du site, mais aussi à mettre à disposition des joueurs les moyens techniques nécessaires aux parties en ligne, à assurer la relation entre les joueurs et à veiller à la sécurité du paiement des mises, a trait à l'organisation de jeux d'argent entrant dans le champ de l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée prévue par les dispositions précitées de l'article 135 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006. Ces opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la taxe ayant grevé les prestations réalisées en France pour les besoins de ces opérations ne pouvait bénéficier d'un remboursement.

9. En outre, les factures rectificatives émises par la société Kawa Productions le 12 juillet 2013, suite aux rectifications dont cette société a fait l'objet, se rapportent à des prestations réalisées au cours des années 2008 et 2009. A la date de réalisation de ces prestations, l'activité d'organisation de jeux de hasard et d'argent en ligne était prohibée en France et n'entrait dès lors pas dans le champ d'application de la TVA. Les opérations pour les besoins desquelles ces prestations de services ont été utilisées par la société RSL n'auraient, par conséquent, pas été imposables à la TVA, ni n'auraient ouvert droit à déduction de cette taxe, si elles avaient été situées en France, au sens des dispositions rappelées au point 5 du d) du V de l'article 271 du code général des impôts. Il s'ensuit que la demande de remboursement de la taxe grevant le prix des prestations réalisées en France pour le besoin de ces opérations a, à bon droit, été rejetée.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande, que la société Amaya Services Limited n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par suite, la requête de la société Amaya Services Limited doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Amaya Services Limited est rejetée.

2

N° 20VE00234


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20VE00234
Date de la décision : 12/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-06-02-08-03-06 Contributions et taxes. Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées. Taxe sur la valeur ajoutée. Liquidation de la taxe. Déductions. Remboursements de TVA.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: M. MET
Avocat(s) : AARPI CYGLER et AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-01-12;20ve00234 ?
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