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22/10/2002 | FRANCE | N°00-18048

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 22 octobre 2002, 00-18048


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 juin 2000) que la société Vidal organisait depuis 1985 un salon professionnel intitulé "assure expo", mettant en relation des sociétés d'assurance, des courtiers ainsi que le grand public ; que s'estimant victime d'une pratique de boycott émanant de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) qui, sous forme de lettre adressée à ses adhérents, avait demandé à ceux-ci de ne pas participer Ã

  ce salon, pratique susceptible d'entrer dans le champ d'application de l'arti...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 juin 2000) que la société Vidal organisait depuis 1985 un salon professionnel intitulé "assure expo", mettant en relation des sociétés d'assurance, des courtiers ainsi que le grand public ; que s'estimant victime d'une pratique de boycott émanant de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) qui, sous forme de lettre adressée à ses adhérents, avait demandé à ceux-ci de ne pas participer à ce salon, pratique susceptible d'entrer dans le champ d'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, la société Vidal a saisi le Conseil de la concurrence ; que par décision du 6 octobre 1992, confirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 novembre 1992, le Conseil de la concurrence a enjoint à la FFSA d'adresser à ses membres une lettre annulant expressément les termes de la lettre du 8 mars 1991 que la société Vidal dénonçait comme étant la pratique de boycott alléguée ; que par décision n 99-D-68 du 9 novembre 1999, le Conseil de la concurrence a retenu un non-lieu à poursuivre la procédure, estimant qu'il n'était pas établi que la pratique

incriminée ait eu un objet anti-concurrentiel ou un effet sensible sur la concurrence ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Vidal fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours en annulation de la décision du 9 novembre 1999 par laquelle le Conseil de la concurrence a décidé qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure engagée à l'encontre de la FFSA sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce, alors, selon le moyen, qu'il appartient au Conseil de la concurrence, saisi de pratiques susceptibles d'être qualifiées d'entente prohibée, de déterminer le marché pertinent sur lequel s'exercent les pratiques dénoncées et de motiver sa décision sur ce point, au regard de la saisine ; que l'acte de saisine indiquait expressément que le salon Assuré expo permettait l'exercice d'une concurrence au bénéfice des intermédiaires et que cette concurrence déplaît aux compagnies disposant d'un réseau d'intermédiaires, qu'en décidant que les énonciations de la notification des griefs, selon lesquelles le marché pertinent est celui de l'assurance, dispensaient le Conseil de la concurrence de rechercher, ainsi que l'y invitait la saisine, si le marché des salons et celui des intermédiaires n'étaient pas pertinents, la cour d'appel a violé les articles 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (devenu l'article L. 462-6 du nouveau Code de commerce) et 1er de la loi du 11 juillet 1979 ;

Mais attendu que le Conseil de la concurrence n'est pas tenu par les qualifications proposées par l'auteur de la saisine ; qu'ayant constaté que le Conseil de la concurrence avait motivé sa décision sur le marché de l'assurance, ce dont il ressort qu'il a procédé à la délimitation du marché pertinent, ainsi qu'il le lui incombait, par une décision motivée au regard des éléments contradictoirement discutés devant lui, la cour d'appel n'encourt pas le grief du moyen ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la société Vidal fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours en réformation de la décision du 9 novembre 1999 par laquelle le Conseil de la concurrence a décidé qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure engagée à l'encontre de la FFSA sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce, alors, selon le moyen,

1 ) que même involontaire, l'éviction d'un opérateur du marché et la suppression d'un lieu de confrontation des offres et des demandes, participant à la transparence du marché, suffisent à caractériser une pratique anti-concurrentielle ; qu'en se fondant sur l'absence de volonté de la FFSA d'évincer du marché la société Vidal dont la quasi-totalité du chiffre d'affaires provient du salon "assuré expo", pour dénier un caractère anti-concurrentiel aux pratiques de la FFSA, la cour d'appel a ajouté une condition que l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (devenu l'article L. 420-1 du nouveau Code de commerce) ne comporte pas et l'a violé ;

2 ) que constitue un boycott caractérisant une pratique prohibée le mot d'ordre adressé par un organisme professionnel, fortement représentatif dans le secteur de l'assurance (la FFSA), invitant ses adhérents à différer jusqu'à l'échange de vues avec les organisateurs pour une ouverture plus importante au "grand public" puis, au vu de la position de la société Vidal, inexactement présentée par la société FFSA, quant au maintien du caractère de "rencontres du courtage" attaché à cette manifestation, à décider de leur participation au salon Assure expo ;

que le mot d'ordre de la FFSA a emporté une désaffection massive des adhérents et la suppression du salon, lieu de confrontation et de présentation simultanée des produits offerts par les diverses catégories d'assureurs et de courtiers, et qu'une telle suppression de ce rassemblement annuel destiné à la mise en concurrence des divers opérateurs, est, à elle seule, de nature à restreindre le jeu de la concurrence, quel que soit le marché considéré ; que pour en avoir décidé autrement, au motif que la manifestation envisagée n'avait pas la même vocation commerciale du salon Assure expo, la cour d'appel a violé l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (devenu l'article L. 420-1 du nouveau Code de commerce) ;

3 ) que dans ses conclusions d'appel, la société Vidal faisait valoir qu'en adressant à ses adhérents, le 18 avril 1991, une lettre les invitant à tirer toutes les conséquences, notamment quant à la participation au salon 1992, d'un prétendu refus de la société organisatrice du salon Assure expo de faire évoluer cette manifestation dans le sens souhaité par elle, la FFSA avait mis en oeuvre une politique de boycott ; qu'en examinant dès lors la licéité de l'objet des pratiques imputées à la FFSA au regard de la seule lettre du 8 mars 1991, sans rechercher si la volonté de faire obstacle à l'organisation du salon Assure expo ne ressortait pas de la lettre du 18 avril 1991, annonçant l'échec d'une négociation avec la société Vidal, pourtant toujours en cours, la cour a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que le boycott constitue une action délibérée en vue d'évincer un opérateur du marché ; qu'ayant estimé que les pratiques arguées de boycott par la société Vidal ne pouvaient être ainsi qualifiées dès lors que la volonté d'éviction de la société Vidal par la FFSA n'était pas établie, la cour d'appel, qui s'est prononcée sur l'ensemble des faits dénoncés par la société Vidal, répondant ainsi aux conclusions prétendument omises, a statué à bon droit ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que la société Vidal fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1 ) que le marché sur lequel n'intervient qu'un seul offreur peut être reconnu comme un marché pertinent pour apprécier le caractère anti-concurrentiel d'une pratique ; qu'en subordonnant la preuve de l'existence d'un marché de l'organisation de salons à la présence sur ce marché de plusieurs organisateurs, la cour d'appel a violé l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (devenu l'article L. 420-1 du nouveau Code de commerce) ;

2 ) que l'éviction d'un opérateur du marché et la suppression d'un lieu de rassemblement où sont présentés simultanément les produits offerts par les assureurs et les intermédiaires suffisent à caractériser une pratique anti-concurrentielle affectant le marché identifié ; qu'à la suite des courriers adressés en 1991 par la FFSA à ses membres et de l'ouverture d'un salon à l'initiative de cette fédération, la société Vidal a dû cesser la présentation de son propre salon de l'assurance et s'est trouvée évincée du marché, ce salon ayant été supprimé ; qu'en décidant toutefois que la disparition du salon Assure expo n'affectait pas de manière significative le marché de la distribution des produits d'assurance, la cour a violé l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (devenu l'article 420-1 du Code de commerce) ;

3 ) que dans ses conclusions d'appel, la société Vidal faisait valoir, suivie en celà par la cour d'appel de Paris dans la décision du 26 novembre 1992, en vue d'établir l'effet anti-concurrentiel des pratiques imputées à la FFSA sur le marché de la distribution de produits d'assurance, que le salon "Assure expo" constituait pour les courtiers et davantage encore pour les courtiers de province, une occasion unique de se documenter sur les produits offerts par les différentes compagnies d'assurance et de faire jouer la concurrence en nouant des relations d'affaires avec de nouvelles compagnies ; qu'en estimant dès lors que le marché de l'intermédiation des produits d'assurance n'avait pu être affecté de manière significative par la disparition du salon "Assure expo", sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

4 ) que la suppression d'un lieu de confrontation et de présentation des produits d'assurance, qui participe aux exigences de transparence du marché, caractérise l'atteinte à la concurrence sur le marché de l'assurance en général, peu important le nombre d'accords conclus sur ce lieu ou l'existence d'autres circuits de distribution ; qu'en décidant que la suppression du salon Assure expo n'avait pas restreint de manière sensible la concurrence sur le marché de l'assurance en général, la cour d'appel a violé l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu, en premier lieu, que contrairement aux énonciations de la première branche du moyen, la cour d'appel n'a pas subordonné la détermination d'un marché pertinent à l'existence de plusieurs offreurs sur ce marché ; que le grief manque par le fait qui lui sert de base ;

Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel, qui retient que l'activité d'intermédiaire de l'assurance qui nécessite une recherche permanente de contrats d'assurance auprès des compagnies, ne peut se limiter à une rencontre annuelle, a pu en déduire, après une analyse souveraine des conditions de fonctionnement d'une telle activité et en répondant ainsi aux conclusions prétendument omises, que la disparition du salon "assure-expo" ne pouvait affecter de manière significative un marché de la distribution des produits d'assurance à supposer établie l'existence d'un tel marché ;

Et attendu, en troisième lieu, qu'ayant retenu que sur le marché de l'assurance en général, le salon "assure-expo" était principalement fréquenté par des professionnels du monde de l'assurance pour lesquels le salon, s'il constituait une commodité annuelle ne représentait cependant pas un réel débouché commercial dans la mesure où il ne s'y négociait que peu d'accords de distribution, la cour d'appel a pu en déduire que la disparition de ce lieu de rencontre n'avait pas atteint de manière sensible le fonctionnement de la concurrence sur le marché considéré ;

Qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Vidal aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande du ministre de l'Economie, des Finances et du Budget ainsi que celle de la société Vidal ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux octobre deux mille deux.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 00-18048
Date de la décision : 22/10/2002
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

1° CONCURRENCE - Pratique anticoncurrentielle - Procédure - Conseil de la concurrence - Compétence - Pouvoir de requalification.

1° Le conseil de la concurrence n'est pas lié par les qualifications proposées par l'auteur d'une saisine.

2° CONCURRENCE - Pratique anticoncurrentielle - Entente - Conditions - Entrave à la concurrence - Appréciation - Politique de boycott - Volonté d'éviction - Nécessité.

2° LIBERTE DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE - Atteinte - Politique de boycott - Volonté d'éviction - Nécessité.

2° Le boycott constitue une action délibérée en vue d'évincer un opérateur du marché. Justifie légalement sa décision la cour d'appel qui retient que les pratiques dénoncées ne peuvent revêtir la qualification de boycott dès lors que cette volonté d'éviction n'est pas établie.


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 27 juin 2000


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 22 oct. 2002, pourvoi n°00-18048, Bull. civ. 2002 IV N° 148 p. 169
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2002 IV N° 148 p. 169

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Dumas .
Avocat général : Avocat général : M. Viricelle.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Champalaune.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Baraduc et Duhamel, la SCP Piwnica et Molinié, M. Ricard.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2002:00.18048
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