LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 578 F-D
Pourvois n°
J 23-11.715
K 23-11.716
M 23-11.717 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 JUIN 2025
La société Intel corporation, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], venant aux droits de la société Intel mobile communication France, a formé les pourvois n° J 23-11.715, K 23-11.716 et M 23-11.717 contre trois arrêts rendus le 15 décembre 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-4), dans les litiges l'opposant respectivement :
1°/ à M. [V] [S], domicilié [Adresse 1],
2°/ à M. [M] [Z], domicilié [Adresse 3],
3°/ à M. [T] [K], domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, deux moyens communs de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Intel corporation, de la SCP Duhamel, avocat de MM. [S], [Z] et [K], après débats en l'audience publique du 5 mai 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° J 23-11.715, K 23-11.716 et M 23-11.717 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 15 décembre 2022), et les productions, MM. [S], [Z] et [K] ont été engagés, respectivement, à compter du 1er janvier 2013, pour les deux premiers, et à compter du 18 janvier 2016, pour le troisième, par la société Intel mobile communications, filiale du groupe Intel employant plus de 1 000 salariés.
3. Le 28 juin 2016, la société Intel mobile communications a présenté, lors d'une réunion d'information et de consultation du comité d'entreprise, un projet de réorganisation entraînant la fermeture du site sur lequel les salariés étaient affectés et la suppression de leur emploi.
4. Au cours de l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, la société Intel mobile communications a informé les institutions représentatives du personnel que les salariés auraient la possibilité de bénéficier d'un reclassement externe anticipé. Dans ce cadre, les contrats de travail des trois salariés, qui avaient été engagés par une société extérieure au groupe le 13 janvier 2017, ont été suspendus à compter de cette date, dans l'attente de la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE).
5. Le plan de sauvegarde de l'emploi ayant été homologué par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), la société Intel mobile communications a notifié aux salariés leur licenciement pour motif économique. Les salariés ont adhéré au congé de reclassement prévu par le PSE.
6. Le 20 septembre 2017, ils ont saisi la juridiction prud'homale pour contester leur licenciement et obtenir le paiement, notamment, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnités prévues par le PSE au titre de congé de reclassement.
7. Le 1er septembre 2018, la société Intel corporation (la société), autre filiale française du groupe Intel, a absorbé la société Intel mobile communications.
Examen des moyens
Sur le second moyen
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. La société fait grief aux arrêts de la condamner à payer aux salariés diverses sommes à titre d'indemnité de congé de reclassement et d'allocation différentielle du plan de sauvegarde de l'emploi, alors :
« 1°/ que, selon l'article 4.2.3.4. de l'accord collectif majoritaire portant plan de sauvegarde de l'emploi, "les salariés ayant bénéficié d'un reclassement anticipé pourront adhérer à titre conservatoire au congé de reclassement dans les mêmes délais (8 jours calendaires) s'ils justifient être toujours en période d'essai (renouvellement inclus, à l'initiative de l'entreprise)" ; qu'il en résulte que seuls les salariés ayant bénéficié d'un reclassement anticipé et dont la période d'essai est toujours en cours lors de leur licenciement peuvent adhérer au congé de reclassement, à titre conservatoire, c'est-à-dire afin de pouvoir bénéficier de ce congé dans l'hypothèse où leur période d'essai serait rompue avant son terme ; qu'a contrario les salariés ayant bénéficié d'un reclassement anticipé ne peuvent adhérer au congé de reclassement, si la période d'essai auprès de leur nouvel employeur a pris fin au moment de leur licenciement ; qu'en affirmant cependant qu'aucune disposition, et notamment aucune disposition du Livre I, ne prévoit une exclusion du congé de reclassement lorsque le salarié a bénéficié d'un reclassement externe par anticipation, la cour d'appel a violé l'article 4.2.3.4. de l'accord collectif majoritaire du 7 juin 2017 ;
2°/ que l'objet du congé de reclassement est de permettre au salarié de bénéficier d'actions de formation et des prestations d'une cellule d'accompagnement des démarches de recherche d'emploi ; que l'adhésion au congé de reclassement emporte obligation pour le salarié de se consacrer aux actions de formation et de recherches d'emploi et n'est compatible avec des périodes de travail pour un autre employeur qu'à la condition qu'elles soient d'une durée limitée ; qu'en conséquence, le salarié qui, au moment du licenciement, a déjà commencé un nouvel emploi dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée dont la période d'essai est achevée ne peut prétendre au bénéfice d'un congé de reclassement ; qu'en l'espèce, la société Intel corporation soutenait que le salarié, qui a bénéficié d'un reclassement externe anticipé et a commencé un nouvel emploi en contrat à durée indéterminée le 13 janvier 2017, ne pouvait pas adhérer au congé de reclassement lors de son licenciement le 27 juillet 2017, puisqu'il était pas disponible pour suivre les actions de formation et de recherche d'emploi ; qu'en retenant que le salarié était en droit de bénéficier de l'indemnité de congé de reclassement, peu important qu'il ait bénéficié d'un reclassement externe anticipé, dès lors qu'il avait adhéré au congé de reclassement le 7 août 2017 et qu'aucune disposition du plan n'excluait prétendument la possibilité, pour les salariés ayant bénéficié d'un reclassement externe anticipé, d'adhérer au congé de reclassement, cependant que l'indisponibilité d'un salarié déjà reclassé dans un autre emploi lui interdit de prétendre au bénéfice d'un congé de reclassement, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-71 du code du travail. »
Réponse de la Cour
10. Il résulte de l'article L. 1233-71 du code du travail que dans les entreprises dont l'effectif est au moins égal à 1 000 salariés ou qui appartiennent à un groupe d'au moins 1 000 salariés au sens retenu pour le comité de groupe ou pour le comité d'entreprise européen, l'employeur est soumis à l'obligation de proposer un congé de reclassement à chaque salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique. Cette proposition doit, selon l'article R. 1233-20 du code du travail, être faite dans la lettre de notification du licenciement.
11. Aux termes de l'article 8 de l'accord collectif majoritaire du 7 juin 2017 portant le plan de sauvegarde de l'emploi, relatif aux reclassements anticipés, dans l'hypothèse où des salariés dont la suppression du poste est envisagée seraient susceptibles d'être reclassés sur un poste hors du groupe et ce avant l'achèvement de la procédure de consultation des représentants du personnel sur le présent projet et la validation ou l'homologation par la DIRECCTE les principes suivants seraient applicables : le reclassement serait soumis à l'accord préalable du comité d'entreprise, le salarié serait éligible aux mesures d'accompagnement prévues par le présent plan (hors salariés compris dans le périmètre d' un projet de reprise), son contrat de travail serait suspendu d'un commun accord des parties jusqu'à mise oeuvre de la procédure de licenciement.
12. Il en résulte que les salariés reclassés par anticipation sont éligibles aux mesures d'accompagnement prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi en ce comprises les mesures financières liées à l'adhésion au congé de reclassement conditionnées par la seule adhésion à ce congé.
13. La cour d'appel qui a constaté que les salariés, dont le reclassement était intervenu par anticipation, avaient adhéré au congé de reclassement qui leur avait été proposé dans la lettre leur notifiant le licenciement, en a exactement déduit qu'ils étaient fondés à réclamer l'indemnité additionnelle au titre de la capitalisation du congé de reclassement, prévue par l'article 4.2.3.9 du livre I de l'accord portant PSE, ainsi que l'allocation différentielle prévue par l'article 4.2.4. de ce même accord.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Intel corporation aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Intel corporation et la condamne à payer à MM. [S], [Z] et [K] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.