LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 23-81.916 F-D
N° 00742
ODVS
3 JUIN 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 3 JUIN 2025
Mme [B] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans, chambre correctionnelle, en date du 7 mars 2023, qui, pour violation de domicile et outrage, l'a condamnée à une interdiction de pénétrer dans les lieux pendant une durée de trois ans et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de Me Bardoul, avocat de Mme [B] [W], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [S] [T], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 15 juin 2014, le tribunal de grande instance a adjugé un immeuble ayant appartenu à Mme [B] [W] au profit de Mme [I] [C], épouse [T].
3. Mme [W] refusant de quitter le logement, une procédure d'expulsion a été initiée.
4. Le 1er août 2018, après qu'un huissier de justice a procédé à la clôture des lieux en exécution de la mesure d'expulsion, Mme [W] s'est introduite, par effraction, dans le logement litigieux.
5. Le 5 novembre 2018, Mme [T] a finalement obtenu les clés de la propriété.
6. Le 27 décembre 2018, Mme [W] s'est de nouveau introduite dans l'habitation en ayant recours à un serrurier pour forcer les verrous et la chaîne fermant l'entrée.
7. Convoquée devant le tribunal correctionnel notamment du chef de violation de domicile, Mme [W] a été déclarée coupable et condamnée à une interdiction de pénétrer dans les lieux pendant une durée de trois ans.
8. La prévenue, le ministère public et une partie civile ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur premier moyen
9. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [W] irrecevable en son exception de faux, l'a déclarée coupable des faits qui lui étaient reprochés et l'a, en conséquence, condamnée à une peine d'interdiction de pénétrer les lieux sis [Adresse 1] à [Localité 2] pour une durée de trois ans et à indemniser MM. [H] et [T] sur le plan civil, alors :
« 1°/ que l'article 226-4 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi du 24 juin 2015, dispose que l'introduction dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ; que l'article susvisé, qui réprime le fait de s'introduire ou de se maintenir au domicile d'autrui, n'a pas pour objet de garantir d'une manière générale les propriétés immobilières contre une usurpation ; qu'en déclarant coupable Mme [W] de violation de domicile pour s'être introduite et maintenue les 1er août 2018 et 27 décembre 2018 dans les biens sis [Adresse 1] à [Localité 2] dont la société [3] avait été expulsée par suite de la vente par adjudication dudit bien quand la cour constatait que l'adjudicataire n'avait obtenu les clefs du bien en cause que le 5 novembre 2018 et sans établir en quoi l'adjudicataire avait pris possession des biens en cause et y avait établi un domicile à la date des faits litigieux par suite de l'expulsion, la cour d'appel a violé les articles 226-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 226-4 du code pénal, dans sa version en vigueur à la date des faits :
11. Seul constitue un domicile, au sens de ce texte, le lieu où une personne, qu'elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l'affectation donnée aux locaux, ledit texte n'ayant pas pour objet de garantir d'une manière générale les propriétés immobilières contre une usurpation.
12. Pour déclarer la prévenue coupable de violation de domicile, l'arrêt attaqué retient que, expulsée du logement litigieux qui a fait l'objet d'une procédure de saisie immobilière et a été adjugé à Mme [T], la prévenue s'est introduite à deux reprises, le 1er août et le 27 décembre 2018, dans ledit logement, en forçant les chaînes apposées à l'entrée, actes constitutifs de voies de fait.
13. Les juges ajoutent que Mme [T] est régulièrement adjudicataire de l'immeuble litigieux, conformément à la procédure de saisie immobilière et du jugement d'adjudication du 15 juin 2017, signifié à la société dont Mme [W] est la gérante, Mme [T] n'ayant cependant pu obtenir les clés du logement que le 5 novembre 2018.
14. Ils relèvent encore, en substance, que Mme [W] ne pouvait se prétendre titulaire d'un bail sur le logement, ce dont elle avait connaissance, et qu'elle s'était introduite en forçant les ouvertures après son expulsion.
15. En statuant ainsi, alors qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que Mme [T], adjudicataire, n'a obtenu les clés du logement que postérieurement aux premiers faits visés par la prévention et que ni elle ni son époux n'avaient, eux-mêmes, jamais occupé le bien immobilier litigieux, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation à intervenir concerne les seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de Mme [W] du chef de violation de domicile, faits commis les 1er août et 27 décembre 2018, ainsi que, par voie de conséquence, la peine prononcée, et la condamnation sur les intérêts civils relative à cette infraction. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Orléans, en date du 7 mars 2023, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de Mme [W] du chef de violation de domicile, faits commis les 1er août et 27 décembre 2018, à la peine, et la condamnation sur les intérêts civils relative à cette infraction, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bourges, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Orléans et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille vingt-cinq.