LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 6 mai 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 469 F-D
Pourvoi n° J 23-17.005
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
La société Tournier expansion [Localité 4], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° J 23-17.005 contre l'arrêt rendu le 21 mars 2023 par la cour d'appel de Chambéry (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à Pôle emploi [Localité 4], dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à M. [S] [L], domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Dieu, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société Tournier expansion [Localité 4], de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [L], après débats en l'audience publique du 26 mars 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Dieu, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Tournier expansion [Localité 4] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Pôle emploi, devenu France travail.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 21 mars 2023), M. [L] a été engagé en qualité de conseiller vente à compter du 6 novembre 2017 par la société Tournier expansion [Localité 4] (la société), qui exploite dans cette commune un magasin sous l'enseigne « Darty ». Dans le dernier état des relations contractuelles, il cumulait cette fonction avec celle de responsable logistique.
3. Placé en arrêt de travail du 1er octobre 2019 au 1er janvier 2020, il a été déclaré définitivement inapte par le médecin du travail le 2 janvier 2020, puis licencié le 15 avril 2020 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
4. Soutenant avoir subi un harcèlement moral, le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 4 août 2020, de demandes tendant à la nullité de son licenciement et au paiement de diverses sommes à titre salarial et indemnitaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement du salarié trouve sa cause dans l'inaptitude et est en conséquence nul et de la condamner à payer à celui-ci diverses sommes, alors « que le licenciement pour inaptitude d'un salarié victime de harcèlement n'est entaché de nullité que s'il est établi avec certitude que les faits de harcèlement moral ont entraîné une dégradation de l'état de santé du salarié à l'origine de son inaptitude ; qu'en se bornant, pour dire nul le licenciement du salarié, à énoncer que l'inaptitude faisait suite à une souffrance au travail résultant d'un management harcelant, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé un lien certain entre le harcèlement moral et le licenciement pour inaptitude, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Après avoir retenu que le salarié avait été victime de harcèlement moral, l'arrêt constate que l'inaptitude du salarié faisait suite à une souffrance au travail résultant d'un management harcelant.
8. La cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que le licenciement pour inaptitude du salarié était consécutif au harcèlement subi par celui-ci, a légalement justifié sa décision.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
9. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour violation de l'article L. 1226-4 du code du travail, alors « que les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure ; que le juge ne peut allouer au créancier des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires qu'à la condition de caractériser, d'une part, la mauvaise foi du débiteur, d'autre part, l'existence d'un préjudice indépendant du retard de paiement ; qu'en l'espèce, pour condamner la société Tournier expansion [Localité 4] à verser au salarié une indemnisation pour violation de l'article L. 1226-4 du code du travail, la cour d'appel s'est bornée à relever que l'employeur n'établissait pas avoir payé les rappels de salaire, que le retard était donc important, que le salarié n'avait pu bénéficier de ressources nécessaires pour assumer ses besoins de sorte qu'il avait subi un préjudice du fait du non-paiement du salaire à l'issue du délai d'un mois après la visite médicale de reprise ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser la mauvaise foi de l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 1231-6 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1231-6 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
10. Aux termes de ce texte, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.
11. Pour condamner l'employeur au paiement de dommages-intérêts pour violation de l'article L. 1226-4 du code du travail, l'arrêt retient que l'employeur n'établit pas avoir payé les rappels de salaire du 1er mars au 15 avril 2020, que le retard est donc important, que le salarié n'a pu bénéficier de ressources nécessaires pour assumer ses besoins et qu'il a subi un préjudice du fait du non-paiement du salaire à l'issue du délai d'un mois après la visite médicale de reprise.
12. En statuant ainsi, sans caractériser l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant du retard apporté dans le paiement des créances, causé par la mauvaise foi de l'employeur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Tournier expansion [Localité 4] à payer à M. [L] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l'article L. 1226-4 du code du travail, l'arrêt rendu le 21 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne M. [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.