LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 30 avril 2025
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 395 F-D
Pourvoi n° W 23-13.497
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 AVRIL 2025
La société Dental Company, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 23-13.497 contre l'arrêt rendu le 20 janvier 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MJC2A, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de M. [T] [C], en qualité de mandataire liquidateur de la société France étoile,
2°/ à la société France adjointe, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Waguette, conseiller, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société Dental Company, de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la société MJC2A, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 mars 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Waguette, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 janvier 2023), les sociétés France étoile et France adjointe, spécialisées dans la fabrication de prothèses dentaires, ont saisi par requête conjointe le président d'un tribunal de commerce à fin de voir ordonner, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, une mesure d'instruction au siège de la société Dental Company, créée par un ancien salarié, qu'elles suspectaient d'avoir commis des actes de concurrence déloyale.
2. La demande a été accueillie par une ordonnance du 27 septembre 2021 et la mesure a été exécutée le 16 novembre 2021.
3. Par une ordonnance de référé du 20 avril 2022, dont la société MJC2A, en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société France étoile, a relevé appel, le président d'un tribunal de commerce a rétracté l'ordonnance du 27 septembre 2021.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
5. La société Dental Company fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 27 septembre 2021, de rejeter sa demande d'annulation des opérations de l'huissier et de dire que les pièces saisies en exécution de l'ordonnance du 27 septembre 2021 et le procès-verbal de l'huissier seraient remis à la société MJC2A, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société France étoile, alors :
« 1°/ que la cour d'appel a retenu que la société France adjointe n'avait pas de motif légitime de recourir à une mesure d'instruction ; qu'en refusant néanmoins de rétracter l'ordonnance sur requête en ce qu'elle ordonnait des mesures relatives à la société France adjointe ¿ telles que le constat de la présence de salariés de la société France adjointe, la copie de documents appartenant ou à l'en-tête de la société France adjointe ou faisant mention d'un salarié de la société France adjointe, la comparaison et l'établissement d'une liste du personnel commun avec la société France adjointe, la comparaison des listes des clients ayant recouru aux services de la société Dental Company avec la liste des clients ayant rompu leurs relations commerciales avec la société France adjointe et l'établissement de la liste des clients communs en y joignant les documents relatifs à ces clients ¿, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ;
3°/ que pour estimer que les mesures ordonnées étaient limitées quant à leur objet, la cour d'appel a retenu qu'« elles tend[ai]ent en effet uniquement à la vérification de la présence de salariés de la société France étoile dans les effectifs de la société Dental Company, à la remise des documents à en-tête de la société France étoile ou lui appartenant et des documents faisant mention des salariés de France étoile ou des clients de cette dernière ayant rompu ses relations avec elle » ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si les mesures relatives à des documents concernant la société France adjointe ne rendaient pas les mesures ordonnées disproportionnées et non nécessaires par rapport au but poursuivi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. La société MJC2A, en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société France étoile, conteste la recevabilité du moyen comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit.
7. Cependant, ce moyen qui invoque un vice résultant de l'arrêt lui-même ne pouvant être décelé avant que celui-ci ne soit rendu, n'est pas nouveau.
8. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 145 du code de procédure civile :
9. Aux termes de ce texte, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
10. Pour infirmer la décision entreprise et rejeter la demande de rétractation de l'ordonnance du 27 septembre 2021, l'arrêt retient que l'absence de motif légitime concernant la société France adjointe ne peut avoir pour conséquence la rétractation de l'ordonnance sur requête en présence d'un motif légitime pour la société France étoile. Il relève également que les mesures sont limitées en leur objet en ce qu'elles tendent uniquement à vérifier la présence de salariés de la société France étoile dans les effectifs de la société Dental Company, à la remise de documents à en-tête de cette même société et des documents faisant mention des salariés de France étoile ou des clients de cette dernière ayant rompu ses relations avec elle.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle retenait que la société France adjointe n'avait pas de motif légitime de recourir à une mesure d'instruction, la cour d'appel, qui devait, par conséquent, rétracter l'ordonnance en ce qu'elle concernait cette société et en particulier les mesures d'investigation concernant les relations de la société Dental Company avec la société France adjointe, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société MJC2A, en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société France étoile, et la société France adjointe aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société MJC2A, en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société France étoile, et la condamne avec la société France adjointe à payer à la société Dental Company la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le trente avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.