LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CH10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 avril 2025
Cassation partielle sans renvoi
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 323 F-D
Pourvoi n° B 23-20.287
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 AVRIL 2025
La société Mutuelles du Mans assurances, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 23-20.287 contre l'arrêt rendu le 16 mai 2023 par la cour d'appel de Caen (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Basse-Normandie, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à M. [M] [K], domicilié chez Mme [I], [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Salomon, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Mutuelles du Mans assurances, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 février 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Salomon, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 16 mai 2023), le 13 février 1995, M. [K], a été victime d'un accident de la circulation, alors qu'il traversait la chaussée.
2. Une première indemnisation amiable a été convenue en 2003 entre la victime et la société Azur assurances, assureur du véhicule impliqué, aux droits de laquelle vient la société Mutuelles du Mans assurances (l'assureur).
3. Des indemnisations complémentaires ont été accordées à la victime suivant procès-verbaux de transaction des 30 septembre 2013 et 3 octobre 2015.
4. Après une nouvelle intervention chirurgicale en juin 2016, M. [K] a assigné l'assureur, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de Basse-Normandie, en indemnisation de l'aggravation de ses préjudices.
5. La caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme est intervenue volontairement à l'instance d'appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. L'assureur fait grief à l'arrêt de liquider les préjudices subis par M. [K] par suite de la dernière aggravation de son état, dépenses de santé actuelles, 2 993,53 euros dont 548,72 euros dus à M. [K], dépenses de santé futures, 228 429,96 euros dont 15 774,64 euros dus à M. [K], incidence professionnelle, 154 007,70 euros et déficit fonctionnel permanent, 58 289,04 euros, de le condamner à payer à M. [K] ces indemnités, sous déduction de la créance des caisses de sécurité sociale ainsi que des provisions déjà versées, de dire qu'il supportera, à titre de sanction le paiement des intérêts au double du taux légal sur l'ensemble des indemnités ainsi liquidées, tant celles fixées par le tribunal et confirmées par la cour que celles fixées par la cour, sans déduction des créances des tiers payeurs ni des provisions versées, et ce pour la période du 7 mai 2018 jusqu'au jour où l'arrêt deviendra définitif et de débouter les parties du surplus de leurs demandes, alors « que le dommage est définitivement fixé à la date où le juge rend sa décision ; qu'au cas où postérieurement à cette date, une aggravation surviendrait dans l'état de la victime, les dommages et intérêts ne peuvent excéder la réparation intégrale du préjudice causé par ladite aggravation ; que, pour fixer le déficit fonctionnel permanent de M. [K], la cour d'appel a calculé l'indemnisation sur la base du taux retenu à la suite de cette aggravation, soit 42 %, après en avoir déduit la somme évaluée sur celle du taux précédent, soit 30 % ; que, ce faisant, la cour d'appel, qui a révisé le préjudice originairement évalué, et qui, dès lors, a fixé des dommages et intérêts supérieurs au montant du préjudice nouveau subi par la victime, a violé l'article 1240 du code civil, ancien 1382, ensemble l'article 1355 du code civil, ancien 1351. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil, l'article L. 211-19 du code des assurances et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
7. Il résulte de ces textes et de ce principe que le dommage est définitivement fixé à la date où le juge rend sa décision et qu'au cas où, postérieurement à cette date, une aggravation survient dans l'état de la victime, les dommages et intérêts ne peuvent excéder la réparation intégrale du préjudice causé par cette aggravation.
8. Pour fixer à la somme de 58 289,04 euros le déficit fonctionnel permanent de M. [K] consécutivement à la dernière aggravation de son état de santé, l'arrêt retient qu'il est indispensable d'évaluer l'aggravation de ce déficit en tenant compte des sommes déjà accordées en réparation du même préjudice, dès lors, d'une part, qu'il s'agit du même préjudice et non de deux préjudices distincts qui s'ajouteraient l'un à l'autre, d'autre part, que la valeur unitaire du point est strictement corrélée au taux de déficit, celle-ci augmentant de manière exponentielle en fonction de l'importance du taux retenu.
9. L'arrêt ajoute qu'il convient de liquider l'aggravation du déficit fonctionnel permanent subi par M. [K] par référence à la valeur du point d'incapacité correspondant à son déficit actuel de 42 %, avant d'en déduire le montant de l'indemnité qui lui a été précédemment allouée en réparation du déficit antérieurement retenu, soit 30 %. Il en déduit qu'eu égard à l'âge de la victime au jour de sa dernière consolidation, l'aggravation de son déficit fonctionnel permanent pourrait être apprécié à hauteur de 42 x 3 530 = 148 260 - 64 050 = 84 210 euros, mais que, dans la mesure où M. [K] limite sa demande à la somme de 58 289,04 euros, il ne saurait lui être accordé une indemnité d'un montant supérieur.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a révisé le préjudice originairement évalué et qui, dès lors, a fixé des dommages et intérêts supérieurs au montant du préjudice nouveau subi par la victime, a violé les textes et le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
11. Tel que suggéré par le demandeur au pourvoi, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
13. Il convient, au regard de la valeur du point, soit 3 530, de fixer à la somme de 42 360 euros le montant du déficit fonctionnel permanent subi par M. [K] du fait de la dernière aggravation de son état de santé, de condamner l'assureur à lui payer ce montant, sous déduction de la créance des caisses de sécurité sociale ainsi que des provisions déjà versées.
14. Par ailleurs, la cassation des chefs de dispositif liquidant à la somme de 58 289,04 euros le déficit fonctionnel permanent subi par M. [K] par suite de la dernière aggravation de son état de santé et condamnant l'assureur à payer à M. [K] cette indemnité, sous déduction de la créance des caisses de sécurité sociale ainsi que des provisions déjà versées, n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'assureur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il liquide à la somme de 58 289,04 euros le déficit fonctionnel permanent subi par M. [K] par suite de la dernière aggravation de son état de santé, condamne la société MMA à payer à M. [K] cette indemnité, sous déduction de la créance des caisses de sécurité sociale ainsi que des provisions déjà versées, l'arrêt rendu le 16 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
FIXE à la somme de 42 360 euros le montant du déficit fonctionnel permanent subi par M. [K] du fait de la dernière aggravation de son état de santé ;
CONDAMNE la société Mutuelles du Mans assurances à lui payer cette somme, sous déduction de la créance des caisses primaires d'assurance maladie ainsi que des provisions déjà versées ;
Condamne M. [K] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois avril deux mille vingt-cinq.