LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 mars 2025
Rejet
M. MOLLARD,
conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 141 F-D
Pourvoi n° U 23-20.418
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 19 MARS 2025
La société Forbo Sarlino, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 17], a formé le pourvoi n° U 23-20.418 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Vallée, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Vallée Atlantique, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
3°/ à la société Hti esprit & matières, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],
4°/ à la société Peintures agencement revêtement (Sopar), société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
5°/ à la société Comptoir des revêtements de l'Est (Cdre), société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 30],
6°/ à la société Etablissements Ciolfi, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 24],
7°/ à la société Groupe Vinet, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 12],
8°/ à la société Actisol, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 14],
9°/ à la société Lagarde et Meregnani, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 27],
10°/ à la société Entreprise de peinture Chauvat, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 28],
11°/ à la société Gernogep [Localité 21], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 26],
12°/ à la société Gouin décoration, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 9],
13°/ à la société Lucas [Localité 18], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 11],
14°/ à la société Lucas Guegen, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 29],
15°/ à la société Lucas [Localité 19], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 10],
16°/ à la société Lucas [Localité 20], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 16],
17°/ à la société Lucas décoration, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6],
18°/ à la société Lucas [Localité 23], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 22],
19°/ à la société Ets Ricordel, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 25],
20°/ à la société Ringeard décoration, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
21°/ à la société Compagnie parisienne de linoléum et de caoutchouc, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8],
22°/ à la société Compagnie rennaise de linoléum et de caoutchouc, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7],
23°/ à la société Atlantic sols confort, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 13], venant aux droits de la société Atlantic sols et murs,
24°/ à la société Bangui, société par actions simplifiée,
25°/ à la société Bangui international, société par actions simplifiée,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 5],
26°/ à la société Egpr, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
27°/ à la société Jcmrs, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 15],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Forbo Sarlino, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Vallée, Vallée Atlantique, Hti esprit & matières, Peintures agencement revêtement Sopar, Comptoir des revêtements de l'Est, Etablissements Ciolfi, Groupe Vinet, Actisol, Lagarde et Meregnani, Entreprise de peinture Chauvat, Gernogep [Localité 21], Gouin décoration, Lucas [Localité 18], Lucas Guegen, Lucas [Localité 19], Lucas [Localité 20], Lucas décoration, Lucas [Localité 23], Ets Ricordel, Ringeard décoration, Compagnie parisienne de linoléum et de caoutchouc, Compagnie rennaise de linoléum et de caoutchouc, Atlantic sols confort, venant aux droits de la société Atlantique sols et murs, Bangui, Bangui international, Egpr et Jcmrs, après débats en l'audience publique du 28 janvier 2025 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, Mme Michel-Amsellem, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2023), les sociétés Vallée, Vallée Atlantique, Hti esprit & matières, Peintures agencement revêtement Sopar, Comptoir des revêtements de l'Est, Etablissements Ciolfi, Groupe Vinet, Actisol, Lagarde et Meregnani, Entreprise de peinture Chauvat, Gernogep [Localité 21], Gouin décoration, Lucas [Localité 18], Lucas Guegen, Lucas [Localité 19], Lucas [Localité 20], Lucas décoration, Lucas [Localité 23], Ets Ricordel, Ringeard décoration, Compagnie parisienne de linoléum et de caoutchouc, Compagnie rennaise de linoléum et de caoutchouc, Atlantic sols confort, venant aux droits de la société Atlantique sols et murs, Bangui, Bangui international, Egpr et Jcmrs (les sociétés Vallée e.a.) ont pour activité les travaux de revêtements de sol et de mur et s'approvisionnent notamment auprès de la société Forbo Sarlino (la société Forbo), qui fabrique et commercialise des revêtements de sol en PVC et en linoléums.
2. Par décision définitive n° 17-D-20 du 18 octobre 2017, l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) a établi que plusieurs sociétés, parmi lesquelles la société Forbo, avaient enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, notamment par la fixation en commun de hausses de prix générales adressées au marché et de prix minimum.
3. Le 15 novembre 2018, les sociétés Vallée e.a. ont assigné la société Forbo pour obtenir réparation du préjudice subi du fait de l'excédent de facturation illicite que celle-ci leur aurait imposé entre 2001 et 2011.
4. Devant la cour d¿appel, l'audience au cours de laquelle l'affaire a été débattue s'est tenue le 8 mars 2023.
Examen des moyens
Sur le second moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La société Forbo fait grief à l'arrêt de constater qu'elle a commis des infractions à la libre concurrence constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, de dire que les sociétés appelantes ont subi un préjudice en lien de causalité avec la faute ainsi commise dont elles sont fondées à demander réparation à la société Forbo, et d'ordonner une expertise dont l'arrêt fixe les modalités afin d'évaluer le préjudice subi par chacune des sociétés appelantes résultant de l'entente à laquelle a participé la société Forbo entre le 31 octobre 2001 et le 22 septembre 2011 au titre de l'excédent de facturation et/ou de la perte de chance d'obtenir des prix plus favorables et du préjudice moral, alors :
« 1°/ que le juge est tenu de respecter le principe de la contradiction ; qu'en se fondant, pour juger que les sociétés appelantes pouvaient se prévaloir d'une présomption irréfragable de faute pour engager la responsabilité de la société Forbo, sur l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 20 avril 2023, [Repsol Comercial de Productos Petrolíferos] (C-25/21), qui retenait, pour la première fois, qu'au regard de la nature et du fonctionnement de l'article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104/UE [du 26 novembre 2014], il convenait, pour décider s'il y avait lieu d'appliquer la présomption irréfragable de faute, de se référer à la date à laquelle la décision de l'autorité nationale de concurrence était devenue définitive, cet arrêt étant pourtant postérieur à l'audience du 8 mars 2023 au cours de laquelle avait été débattue la question de la responsabilité de la société Forbo, la cour d'appel, qui a ainsi relevé d'office un nouveau moyen de droit, sans inviter les parties à présenter leurs observations, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ; qu'en énonçant qu'il y avait lieu de retenir que la présomption prévue par l'article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 était applicable et que la faute civile découlant de la pratique anticoncurrentielle était présumée établie de manière irréfragable, la cour d'appel s'est ainsi fondée, dans les motifs de sa décision, sur le régime spécial de responsabilité prévu par cette directive, lequel repose sur une présomption irréfragable de faute, tout en constatant, dans son dispositif, que la société Forbo avait commis des infractions à la libre concurrence constitutives d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, lequel constitue le fondement de la responsabilité de droit commun et suppose de démontrer l'existence d'une faute ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a entaché sa décision de contradiction entre les motifs et le dispositif, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. En premier lieu, les sociétés Vallées e.a. ayant expressément fait valoir, dans leurs écritures d'appel, qu'il y avait lieu d'interpréter le droit national de manière compatible avec la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 en tant qu'elle dispose que la pratique anticoncurrentielle fautive est présumée établie de manière irréfragable par la décision définitive prononcée par l'autorité nationale de concurrence, la cour d'appel n'a, en statuant comme elle a fait, relevé d'office aucun moyen de droit.
8. En second lieu, saisie par les sociétés Vallées e.a. d'une demande de dommages et intérêts fondée sur l'article 1240 du code civil, la cour d'appel, qui n'a pas fait application de l'article L. 481-2 du code de commerce, lequel assure la transposition de l'article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014, mais a interprété l'article 1240 du code civil, qu'elle a appliqué à la lumière de cette disposition de la directive, ne s'est pas contredite.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Forbo Sarlino aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Forbo Sarlino et la condamne à payer aux sociétés Vallée, Vallée Atlantique, Hti esprit & matières, Peintures agencement revêtement Sopar, Comptoir des revêtements de l'Est, Etablissements Ciolfi, Groupe Vinet, Actisol, Lagarde et Meregnani, Entreprise de peinture Chauvat, Gernogep [Localité 21], Gouin décoration, Lucas [Localité 18], Lucas Guegen, Lucas [Localité 19], Lucas [Localité 20], Lucas décoration, Lucas [Localité 23], Ets Ricordel, Ringeard décoration, Compagnie parisienne de linoléum et de caoutchouc, Compagnie rennaise de linoléum et de caoutchouc, Atlantic sols confort, venant aux droits de la société Atlantique sols et murs, Bangui, Bangui international, Egpr et Jcmrs la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mars deux mille vingt-cinq, et M. Doyen, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.