LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 mars 2025
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 241 F-D
Pourvoi n° E 23-15.805
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 MARS 2025
M. [D] [Y], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 23-15.805 contre l'arrêt rendu le 11 octobre 2022 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à la société SMAC, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La société SMAC a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Quellec, conseiller, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [Y], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société SMAC, après débats en l'audience publique du 29 janvier 2025 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Le Quellec, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société SMAC du désistement de son pourvoi incident.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 11 octobre 2022), M. [Y] a été embauché en qualité d'étancheur bardeur par la société SMAC par contrat à durée indéterminée le 17 mars 2014, puis a été promu responsable chantier le 29 décembre 2017.
3. Le 2 septembre 2019, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
4. Le 5 novembre 2019, il a saisi la juridiction prud'homale aux fins de faire juger que sa prise d'acte produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir la condamnation de l'employeur à lui payer diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation de l'employeur au titre des heures supplémentaires à une certaine somme et, en conséquence, de le débouter de sa demande de repos compensateur, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; qu'en l'espèce, M. [Y] versait aux débats, pour chaque mois du mois de janvier 2016 au mois d'août 2019, son bulletin de paie, sa fiche de pointage et sa fiche individuelle de modulation ; que, pour le débouter de sa demande d'heures supplémentaires pour les heures accomplies au-delà des 38 heures reconnues par l'employeur, la cour d'appel a retenu que M. [Y] ne fournit à la cour ni décompte des heures prétendument effectuées (même dans ses conclusions), ni agenda, ni aucun autre élément, se contentant d'arrondir son calcul à une durée moyenne hebdomadaire théorique de 14 heures par jour sur trois années" et que les documents et pièces ainsi produits par M. [Y] ne constituent pas une présentation d'éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies de nature à permettre à l'employeur d'y répondre utilement, au-delà des 38 heures que l'employeur a accepté de régler en première instance" ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses constatations que M. [Y] - qui soutenait avoir accompli, chaque jour, le même nombre d'heures de travail, à savoir 14 heures - fournissait, outre ses bulletins de paie, des photographies de travaux datées et avec les horaires, des feuilles de pointage, des SMS, dont des demandes de la part de son employeur d'intervenir alors qu'il est en congé", ce qui constituait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre en fournissant ses propres éléments de nature à justifier des heures de travail réalisées par l'intéressé au cours de cette période, notamment les fiches de pointage journalières concernant le salarié dont il disposait, la cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
6. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
7. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
8. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
9. Pour limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient d'abord que le salarié verse aux débats au soutien de sa demande des photographies de travaux datées et avec les horaires, des feuilles de pointage, des SMS, dont des demandes de la part de son employeur d'intervenir alors qu'il est en congé et ses bulletins de salaire.
10. Il relève, ensuite, que le salarié ne fournit toutefois à la cour ni décompte des heures prétendument effectuées (même dans ses conclusions), ni agenda, ni aucun autre élément, se contentant d'arrondir son calcul à une durée moyenne hebdomadaire de 14 heures par jour sur trois années.
11. Il en conclut que les documents et pièces ainsi produits par le salarié ne constituent pas une présentation d'éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies de nature à permettre à l'employeur d'y répondre utilement, au-delà des 38 heures que l'employeur a accepté de régler en première instance.
12. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche et le troisième moyen du pourvoi principal, réunis
Enoncé des moyens
13. Par son deuxième moyen, le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d' une indemnité pour travail dissimulé, alors « que la cassation qui interviendra sur le premier moyen de cassation relatif aux heures supplémentaires entraînera, par voie de conséquence et en application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure de l'arrêt en ce qu'il a débouté M. [Y] de sa demande, au titre d'un travail dissimulé. »
14. Par son troisième moyen, le salarié fait grief à l'arrêt de juger, d'une part, que les manquements invoqués au soutien de sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail n'étaient pas d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat, d'autre part, que la rupture constitue une prise d'acte produisant les effets d'une démission, de requalifier la prise d'acte en démission, de le débouter, en conséquence, de ses demandes en paiement d'indemnités de licenciement, de licenciement sans cause réelle et sérieuse, de préavis et de congés payés sur préavis et de le condamner à rembourser à l'employeur l'indemnité compensatrice de préavis, alors « que la cassation qui interviendra sur le premier et/ou le deuxième moyen de cassation relatifs respectivement aux heures supplémentaires et au travail dissimulé entraînera, par voie de conséquence et en application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure de l'arrêt en ce qu'il a débouté M. [Y] de ses demandes au titre de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
15. La cassation du chef de dispositif limitant la condamnation de l'employeur au titre des heures supplémentaires entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif déboutant le salarié de ses demandes en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé, au titre de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, en paiement d'indemnités subséquentes et le condamnant à rembourser l'indemnité de préavis, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
Portée et conséquences de la cassation
16. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt sur les heures supplémentaires entraîne la cassation du chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande en paiement d'indemnité au titre du non-respect des temps de repos, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la condamnation de la société SMAC au titre des heures supplémentaires, déboute M. [Y] de ses demandes en paiement au titre du repos compensateur, à titre d'indemnités pour travail dissimulé, pour non-respect des temps de repos, au titre de la requalification de la prise d'acte de la rupture et des indemnités subséquentes, en ce qu'il condamne M. [Y] à rembourser à la société SMAC la somme de 5 126,44 euros et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 11 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne la société SMAC aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société SMAC et la condamne à payer à M. [Y] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt-cinq.