LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 février 2025
Rejet
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 156 FS-B
Pourvoi n° N 22-17.970
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 FÉVRIER 2025
M. [J] [V], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 22-17.970 contre l'arrêt rendu le 21 avril 2022 par la cour d'appel de Versailles (5e chambre), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) du Centre - Val de Loire, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, six moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations orales et écrites de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de M. [V], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF du Centre - Val de Loire, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 15 janvier 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Lapasset, conseiller, MM. Leblanc, Reveneau, Hénon, conseillers, Mme Dudit, M. Montfort, Mme Lerbret-Féréol, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, premier avocat général, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 avril 2022), l'URSSAF du Centre - Val de Loire (l'URSSAF) a adressé à M. [V] (le cotisant), le 15 décembre 2017, un appel de la cotisation subsidiaire maladie pour l'année 2016, au titre de la protection universelle maladie.
2. Le cotisant a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et quatrième moyens, et le troisième moyen, pris en sa première branche
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. Le cotisant fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à l'URSSAF une certaine somme au titre de la cotisation subsidiaire maladie, alors « que l'exigence de traitement loyal des données personnelles oblige une administration publique à informer préalablement les personnes concernées du fait que leurs données vont être transmises à une autre administration publique en vue de leur traitement par cette dernière, en sa qualité de destinataire des données ; que le cotisant faisait valoir que le dispositif de la cotisation subsidiaire maladie n'était pas compatible avec les articles 10, 11 et 13 de la directive 95/46 du 24 octobre 1995 et avait été adopté en violation de la délibération de la Commission nationale de l'informatique et des libertés n° 2017-279 du 26 octobre 2017 prise au visa de cette directive dès lors qu'il n'assurait pas l'information préalable des personnes visées par le traitement et la transmission de leurs données personnelles, n'ayant jamais été informé ni par l'administration fiscale, ni par l'URSSAF de la transmission de ses données personnelles entre ces deux administrations en vue de leur traitement ; qu'en se fondant, pour condamner le cotisant à payer à l'URSSAF la somme de 155 579 euros au titre de la cotisation subsidiaire maladie pour l'année 2016, et dire que l'absence d'information personnalisée ne pouvait être sanctionnée par la nullité de l'appel régulièrement notifié, sur la circonstance que la transmission des données avait été portée à la connaissance des intéressés par la publication de la loi ayant instituée la cotisation subsidiaire maladie au Journal officiel et que le cotisant avait eu la possibilité de contester la décision de l'URSSAF et de se voir communiquer l'ensemble des pièces, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant et impropre à établir l'information préalable du cotisant de ce que ses données personnelles allaient être transmises à une autre administration publique en vue de leur traitement par celle-ci, a privé sa décision de base légale au regard des articles 10, 11 et 13 de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, 6, 7, 39 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, ensemble la délibération n° 2017-279 du 26 octobre 2017. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article 32, I, de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, applicable au litige, la personne auprès de laquelle sont recueillies des données à caractère personnel la concernant est informée, sauf si elle l'a été au préalable, par le responsable du traitement ou son représentant :
1° De l'identité du responsable du traitement et, le cas échéant, de celle de son représentant ;
2° De la finalité poursuivie par le traitement auquel les données sont destinées ;
3° Du caractère obligatoire ou facultatif des réponses ;
4° Des conséquences éventuelles, à son égard, d'un défaut de réponse ;
5° Des destinataires ou catégories de destinataires des données ;
6° Des droits qu'elle tient des dispositions de la section 2 du présent chapitre dont celui de définir des directives relatives au sort de ses données à caractère personnel après sa mort ;
7° Le cas échéant, des transferts de données à caractère personnel envisagés à destination d'un État non membre de la Communauté européenne ;
8° De la durée de conservation des catégories de données traitées ou, en cas d'impossibilité, des critères utilisés permettant de déterminer cette durée.
6. Aux termes de l'article 32, III, alinéa 1er, de la loi du 6 janvier 1978 précitée, lorsque les données à caractère personnel n'ont pas été recueillies auprès de la personne concernée, le responsable du traitement ou son représentant doit fournir à cette dernière les informations énumérées au I dès l'enregistrement des données ou, si une communication des données à des tiers est envisagée, au plus tard lors de la première communication des données.
7. Selon l'article 32, III, alinéa 2, de la loi du 6 janvier 1978, précitée, interprété à la lumière de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, transposée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, le responsable du traitement n'est pas tenu de fournir à la personne concernée les informations énumérées au I de ce texte lorsque celle-ci est déjà informée. Tel est le cas lorsque la législation prévoit expressément l'enregistrement ou la communication des données, ainsi que des garanties appropriées.
8. Il résulte des articles L. 380-2, dernier alinéa, R. 380-3 et D. 380-5, I, du code de la sécurité sociale, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015, le deuxième dans sa rédaction issue du décret n° 2017-736 du 3 mai 2017 et le dernier dans sa rédaction issue du décret n° 2016-979 du 19 juillet 2016, que les éléments nécessaires à la détermination des revenus composant l'assiette de la cotisation subsidiaire maladie sont communiqués par l'administration fiscale aux organismes chargés du calcul et du recouvrement des cotisations.
9. Le décret n° 2017-1530 du 3 novembre 2017 autorise la mise en oeuvre par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale d'un traitement de données à caractère personnel destiné au calcul de la cotisation prévue à l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale. Il prévoit l'identité du responsable du traitement des données, les finalités poursuivies par le traitement, les destinataires des données, la durée de conservation des données traitées, ainsi que l'existence d'un droit d'accès et de rectification aux données et les modalités d'exercice de ces droits.
10. Il résulte de la combinaison de ces textes que, dès lors que la communication des données fiscales du cotisant à l'URSSAF est expressément prévue par les articles L. 380-2, dernier alinéa, R. 380-3 et D. 380-5, I, du code de la sécurité sociale précités et qu'il est prévu, par le décret n° 2017-1530 du 3 novembre 2017, des mesures appropriées visant à protéger les intérêts légitimes du cotisant, il est fait exception, pour les cotisations appelées à compter de cette dernière date, à l'obligation d'information, prévue au paragraphe III de l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 précité, pesant sur le responsable du traitement des données personnelles, à l'égard de la personne concernée par celles-ci lorsqu'elles n'ont pas été recueillies auprès d'elle.
11. L'arrêt constate que l'appel de cotisation a été adressé au cotisant le 15 décembre 2017 et retient que la transmission des données de ce dernier par l'administration fiscale à l'organisme chargé du recouvrement a été portée à sa connaissance.
12. De ses constatations, la cour d'appel a exactement déduit qu'il n'y avait pas lieu d'annuler l'appel de cotisation, sans que le cotisant puisse se prévaloir de l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés dans sa délibération n° 2017-279 du 26 octobre 2017.
13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
14. Le cotisant fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que le juge, qui doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut relever d'office un moyen de droit, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en condamnant le cotisant à payer à l'URSSAF la somme de 155 579 euros au titre de la CSM pour l'année 2016, motif pris de ce que seuls les revenus du capital entrant dans le calcul de l'assiette et non les capitaux eux-mêmes, le cotisant ne pouvait donc invoquer une atteinte à un droit de propriété, sans provoquer les explications des parties sur ce point, la cour d'appel a méconnu le principe de contradiction, violant l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ qu'un revenu du patrimoine constitue un « bien » au sens de l'article 1er du Protocole n° 1 qui garantit le droit à la propriété et doit être protégé à ce titre ; qu'en retenant que seuls les revenus du capital entrant dans le calcul de l'assiette et non les capitaux eux-mêmes, le cotisant ne pouvait donc invoquer une atteinte à un droit de propriété cependant que les revenus du patrimoine perçus au titre de l'année 2016 constituait un bien protégé par l'article 1er du Protocole n° 1, la cour d'appel a violé ledit article. »
Réponse de la Cour
15. Aux termes de l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.
16. L'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015, applicable au litige, instaure une cotisation annuelle dont sont redevables les personnes mentionnées à l'article L. 160-1 du même code, en vue de contribuer à la prise en charge des frais de santé.
17. Cette cotisation, en tant qu'elle prive le cotisant d'un élément de sa propriété, à savoir les sommes qu'il doit verser à ce titre et qui sont recouvrées par l'URSSAF, constitue, pour le cotisant qui en est redevable, une ingérence dans le droit au respect de ses biens (CEDH, arrêt du 12 novembre 2013, Marcu c. Roumanie, n° 8986/13, §§ 13-14).
18. Cette ingérence, qui repose sur des dispositions légales et réglementaires de droit interne accessibles, précises et prévisibles, se justifie conformément au second alinéa de l'article 1er du Protocole n° 1 précité, qui prévoit expressément une exception pour ce qui est du paiement des impôts ou d'autres contributions.
19. En outre, cette ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. Par conséquent, l'obligation financière née du prélèvement d'impôts ou de contributions peut léser la garantie consacrée par l'article 1er du Protocole n° 1 précité si elle impose à la personne ou à l'entité en cause une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à leur situation financière (CEDH, arrêt du 4 janvier 2008, Imbert de Tremiolles c. France, n° 25834/05 ; CEDH, arrêt du 15 janvier 2015, Arnaud et autres c. France, n° 36918/11, 36963/11, 36967/11, 36969/11, 36970/11 et 36971/11, §§ 23 à 25).
20. La cotisation subsidiaire maladie, instituée pour faire contribuer à la prise en charge des frais de santé les personnes ne percevant pas de revenus professionnels ou percevant des revenus professionnels insuffisants pour que les cotisations assises sur ces revenus constituent une participation effective à cette prise en charge, répond à un motif d'intérêt général, dès lors qu'elle participe à l'exigence de valeur constitutionnelle qui s'attache à l'équilibre financier de la sécurité sociale.
21. Il résulte de l'article L. 380-2 précité et de l'article D. 380-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-979 du 19 juillet 2016, applicable au litige, que le taux de la cotisation subsidiaire maladie est fixé à 8 % des revenus du patrimoine mentionnés par le premier de ces textes, que l'assiette de la cotisation fait l'objet d'un abattement croissant à proportion des revenus d'activité et que la cotisation n'est assise que sur la fraction des revenus du patrimoine dépassant un plafond fixé à 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale.
22. En outre, conformément au principe de solidarité nationale énoncé par l'article L. 111-1 du code de la sécurité sociale, cette cotisation permet d'assurer une participation effective des personnes, percevant des revenus du patrimoine dépassant un plafond, au financement de l'assurance maladie au titre de laquelle des droits leur sont ouverts.
23. Dès lors, le taux de la cotisation appliqué à l'assiette définie par les articles L. 380-2 et D. 380-1 précités ne présente pas de caractère excessif.
24. Il en résulte que ces dispositions ménagent un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, de sorte qu'elles sont compatibles avec les stipulations de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
25. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt, qui exclut toute atteinte au droit de propriété du cotisant, se trouve légalement justifié.
Sur le sixième moyen
Enoncé du moyen
26. Le cotisant fait le même grief à l'arrêt, alors « que toute discrimination est interdite dans la jouissance des droits et libertés prévus dans la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le cotisant soutenait, d'une part, que le maintien du dispositif initial de la CSM - modifié en 2019 « pour rendre plus équitable la CSM » - conduisait à ce que des personnes, pourtant placées dans une situation identique quant aux conditions d'assujettissement à la CSM soient traitées de manière nettement défavorables sur le seul critère de l'année de perception de leurs revenus non professionnels, d'autre part, qu'aucun motif objectif et raisonnable n'était valablement avancé, au regard du but poursuivi par la CSM, pour justifier que deux personnes, l'une disposant de revenus professionnels inférieurs à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale et d'importants revenus du capital et l'autre disposant d'un montant identique de revenus du capital mais dénuée de revenus professionnels, soient traitées de manière profondément discriminatoire et que cette discrimination, incontestablement fondée sur la situation de fortune et l'inactivité professionnelle, apparaissait privée de toute justification objective et raisonnable ; qu'en se bornant à retenir, pour condamner le cotisant à payer à l'URSSAF la somme de 155 579 euros au titre de la CSM pour l'année 2016, que les articles R. 380-1 et suivants et D. 380-1 et suivants du code de la sécurité sociale détaillaient les modalités de calcul en fonction des situations des cotisants, qu' aucune discrimination ne pouvait donc être invoquée quant au mode de calcul de la cotisation subsidiaire maladie, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la discrimination, fondée sur le critère de l'année de perception des revenus non professionnels et sur la situation de fortune et l'inactivité professionnelle, apparaissait dépourvue de toute justification objective et raisonnable et s'il existait une disproportion entre les moyens employés et le but visé, la cour d'appel a privé sa décision de base légales au regard des dispositions combinées des articles 1er du premier Protocole et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
27. Aux termes de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
28. La discrimination consiste à traiter de manière différente des personnes placées dans des situations comparables ou analogues, sauf justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle poursuit un but légitime et s'il y a un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (CEDH, arrêt du 13 novembre 2007, D.H. et autres c. République tchèque [GC], n° 57325/00, § 175 ; CEDH, arrêt du 24 mai 2016, Biao c. Danemark [GC], n° 38590/10, § 90 ; CEDH arrêt du 5 septembre 2017, Fábián c. Hongrie [GC], n° 78117/13, § 113 ; CEDH, arrêt du 11 octobre 2022, Beeler c. Suisse [GC], n° 78630/12, § 93).
29. La Cour européenne des droits de l'homme rappelle que les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (CEDH, arrêt du 5 juillet 2022, Dimici c. Turquie, n° 70133/16, § 124). Le domaine de la protection sociale constitue un ensemble complexe dont il convient de préserver l'équilibre et, de ce fait, une ample latitude est d'ordinaire laissée à l'État pour prendre des mesures d'ordre général en matière économique ou sociale (CEDH, arrêt du 29 avril 2008, Burden c. Royaume-Uni [GC], n° 13378/05, § 60).
30. D'une part, la différence de traitement entre cotisants redevables de la cotisation subsidiaire maladie non plafonnée et ceux qui bénéficient, à compter du 1er janvier 2019, du plafonnement de l'assiette de cette cotisation en application de la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018, résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps. Or, la différence de traitement qui résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps n'est pas, en elle-même, contraire au principe d'égalité.
31. D'autre part, les dispositions des articles L. 380-2 et D. 380-1 du code de la sécurité sociale, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 et le second dans sa rédaction issue du décret n° 2016-979 du 19 juillet 2016, applicables au litige, créent une différence de traitement entre les cotisants redevables de cotisations sociales sur leurs seuls revenus professionnels et ceux qui, dès lors que leur revenu d'activité professionnelle est inférieur au seuil fixé par le second de ces textes et qu'ils n'ont perçu aucun revenu de remplacement, sont redevables d'une cotisation assise sur l'ensemble de leurs revenus du patrimoine.
32. En créant une différence de traitement entre les cotisants pour la détermination des modalités de leur participation au financement de l'assurance maladie selon le montant de leurs revenus professionnels, les textes du code de la sécurité sociale précités poursuivent un but légitime, en ce qu'ils contribuent à l'exigence de valeur constitutionnelle qui s'attache à l'équilibre financier de la sécurité sociale par une répartition équitable entre les assurés sociaux de la charge de financement du régime général d'assurance maladie.
33. Il ressort des articles L. 380-2 et D. 380-1 précités que le taux de la cotisation subsidiaire maladie est fixé à 8 % des revenus du patrimoine mentionnés par le premier, que l'assiette de la cotisation fait l'objet d'un abattement croissant à proportion des revenus d'activité et que la cotisation n'est assise que sur la fraction des revenus du patrimoine dépassant un plafond fixé à 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale. Ainsi, la différence de traitement entre les assurés sociaux décrite au paragraphe 29, inhérente à l'existence d'un seuil, se trouve atténuée par ces mécanismes d'abattement d'assiette et de limitation de l'assiette aux revenus du patrimoine dépassant ce plafond.
34. En outre, la cotisation constitue, pour les personnes qui en sont redevables, des versements à caractère obligatoire constituant la contrepartie légale du bénéfice des prestations en nature qui leur sont servies conformément à l'article L. 160-1 du code de la sécurité sociale.
35. Dès lors, les articles L. 380-2 et D. 380-1 précités ménagent un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Le plafonnement de l'assiette de la cotisation introduit par l'article 12 de la loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019 n'est pas de nature à priver les dispositions légales et réglementaires antérieures de justification objective et raisonnable.
36. Il en résulte que les dispositions de ces textes sont compatibles avec les stipulations de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, combiné avec l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à cette Convention.
37. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt, qui retient que la cotisation subsidiaire maladie dont le paiement est réclamé au cotisant ne présente pas de caractère discriminatoire, se trouve légalement justifié.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [V] et le condamne à payer à l'URSSAF du Centre - Val de Loire la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille vingt-cinq.