LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 février 2025
Cassation partiellement sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 129 FS-B
Pourvoi n° S 22-24.000
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 FÉVRIER 2025
La société Arianegroup, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Héraklès, ayant un établissement situé [Adresse 4], a formé le pourvoi n° S 22-24.000 contre l'arrêt rendu le 28 septembre 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à M. [Z] [C], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de MmeSommé, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Arianegroup, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M.[C], et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Bouvier, Bérard, M. Dieu, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, Ollivier, Arsac, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 28 septembre 2022), M. [C] a été engagé en qualité de conducteur d'unité de fabrication, le 8 février 2010, par la société SNPE matériaux énergétiques (société SME), située à [Localité 5].
2. Le 1er mai 2012, la société Snecma propulsion solide (société SPS), située [Localité 3], a été absorbée par la société SME, celle-ci devenant la société Héraklès. En application de l'article L. 2261-14 du code du travail, cette opération de fusion-absorption a entraîné la mise en cause de l'application des conventions et accords collectifs dans l'entreprise absorbée, parmi lesquels un accord d'entreprise SPS du 22 février 1982, relatif à l'indemnisation des frais de transport, disposant, en son article 4.9.6, que lorsque les horaires de début ou de fin de poste d'équipe ne leur permettent pas d'utiliser les transports en commun, les personnels en équipe perçoivent des indemnités kilométriques calculées sur la distance domicile/lieu de travail dans la limite d'un plafond journalier de 84 km aller/retour.
3. Un accord collectif conclu le 27 juin 2012, intitulé « accord relatif à la période transitoire (avant l'harmonisation des statuts d'Héraklès) », a prévu, en son article 3, que durant la période transitoire de quinze mois pour la finalisation des accords d'adaptation ou de substitution, les salariés des sociétés SME et SPS conservaient leur statut respectif tel qu'il existait au jour de la fusion sans « cumul ni simultanéité des accords entre ceux de SME et ceux de SPS ». Un accord d'entreprise à durée déterminée conclu le 10 juin 2013 a prorogé le délai de survie des accords mis en cause jusqu'au 1er mai 2014 au plus tard, sauf accord d'adaptation intervenant avant cette date.
4. Une convention d'entreprise Héraklès, constituant un accord de substitution au sens de l'article L. 2261-14 du code du travail, a été conclue le 20 novembre 2013 avec effet au 1er janvier 2014. L'article 4.5.5 de cette convention prévoit qu'à compter de l'entrée en vigueur de celle-ci les dispositions de l'article 4.9.6 de l'accord d'entreprise du 22 février 1982 du périmètre « ex SPS » relatif à l'indemnisation des frais de transport s'appliquent exclusivement aux salariés du périmètre « ex SPS » qui bénéficiaient de leur versement au jour de la mise en oeuvre de la présente convention ou qui ont bénéficié dudit versement antérieurement et dans le cadre des règles de dégressivité antérieurement appliquées.
5. Le 1er mars 2014, M. [C], qui était affecté sur le site de [Localité 5] anciennement exploité par la société SME, a été muté sur le site [Localité 3] anciennement exploité par la société SPS.
6. Estimant subir une inégalité de traitement avec les salariés de la société anciennement SPS bénéficiaires de l'indemnisation de leurs frais de transport, le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 8 juillet 2016, pour obtenir à titre principal une certaine somme en remboursement d'indemnités kilométriques au titre de l'indemnisation de ses frais de transport et, subsidiairement, des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de bénéficier d'un régime de remboursement d'indemnités kilométriques en raison de l'inexécution par la société d'un engagement de négocier un tel régime en application de l'article 4.5.5 de la convention d'entreprise Héraklès du 20 novembre 2013.
7. La société Arianegroup (la société) est venue aux droits de la société Héraklès.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié une certaine somme à titre de remboursement des frais de transport exposés de mars 2014 à février 2019 inclus et de dire que pour la période postérieure le salarié devra présenter à la société un décompte du rappel dû, les parties étant invitées, en cas de difficulté sur le montant, à saisir à nouveau la cour d'appel, alors « qu'est justifiée la différence de traitement entre des salariés découlant du maintien d'un avantage acquis suite à la mise en cause d'un accord collectif dans les conditions prévues par l'article L. 2261-14 du code du travail, que ce maintien résulte d'une absence d'accord de substitution ou d'un tel accord ; qu'en l'espèce, il était constant que du fait de l'absorption de la société Snecma propulsion solide (SPS) par la société SNPE matériaux énergétiques (SME), pour former la société Heraklès, devenue Arianegroup, le 1er mai 2012, les conventions et accords en vigueur au sein de la société absorbée, en ce compris l'accord d'entreprise du 22 février 1982 prévoyant l'indemnisation des frais de transport", s'étaient trouvés mis en cause, les salariés des sociétés fusionnées conservant leur statut sans cumul ni simultanéités des accords entre ceux de SME et ceux de SPS" pendant la période transitoire dont la durée a été prorogée, par un accord d'entreprise du 10 juin 2013 ; qu'un accord de substitution applicable à l'ensemble du personnel a été conclu, le 20 novembre 2013, prévoyant notamment le maintien pour l'avenir, à titre individuel et selon les mêmes modalités" des dispositions de l'accord du 22 février 1982 relatives à l'indemnisation des frais de transport au profit exclusif des salariés issus de l'ancienne société SPS qui bénéficiaient de leur versement au jour de la mise en oeuvre de la présente convention ou qui ont bénéficié dudit versement antérieurement et dans le cadre des règles de dégressivité précédemment appliquées" ; qu'en estimant cette différence de traitement non justifiée de sorte que M. [C], salarié de la société absorbante affecté, après la fusion, sur le site de la société absorbée, devait se voir appliquer cet avantage, la cour d'appel a violé le principe d'égalité de traitement et l'article L. 1224-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. »
Réponse de la Cour
Vu le huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le principe d'égalité de traitement et l'article 4.5.5 de la convention d'entreprise Héraklès du 20 novembre 2013 :
9. Les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise opérées par un accord de substitution négocié et signé, en application de l'article L. 2261-14 du code du travail, par les organisations syndicales représentatives au sein de l'entreprise, investies de la défense des droits et intérêts des salariés de l'ensemble de cette entreprise et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées, de sorte qu'il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu'elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.
10. Pour condamner la société à payer au salarié une certaine somme à titre de remboursement des frais de transport exposés de mars 2014 à février 2019 inclus et dire que pour la période postérieure le salarié devra présenter à la société un décompte du rappel dû, l'arrêt retient que l'accord d'entreprise Héraklès crée une différence de traitement d'ordre géographique, en distinguant les salariés du site [Localité 3], auxquels est accordé un avantage dont les salariés des autres sites ne bénéficient pas, mais également, au sein de l'établissement [Localité 3], une différence de traitement d'ordre temporel en fonction de la date de présence des salariés sur ce site et ce alors que la société employait déjà le salarié avant la signature de l'accord de substitution, même si celui-ci n'a été muté sur le site [Localité 3] que postérieurement à cet accord.
11. Après avoir retenu que la différence de traitement instaurée par l'accord d'entreprise Héraklès doit être considérée comme présumée justifiée en ce qu'elle concerne des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements ou sites distincts et qu'il appartient dès lors au salarié d'établir qu'elle est étrangère à toute considération de nature professionnelle, l'arrêt retient que cette preuve est rapportée dès lors que cette différence concerne le coût des déplacements domicile-travail, lesquels sont exclus du champ du temps de travail effectif, outre que le montant de l'avantage consenti varie selon le lieu de domicile choisi librement par le salarié et qu'elle repose ainsi entièrement sur des caractéristiques personnelles du salarié, relevant de sa vie privée, en sorte qu'elle porte atteinte au principe d'égalité de traitement, le maintien d'un avantage résultant d'un accord d'entreprise antérieur à la fusion au profit des seuls salariés présents dans l'établissement avant cette fusion, et le refus subséquent de cet avantage à un salarié, qui était déjà présent dans l'entreprise mais employé sur un autre site, ne constituant pas une raison objective et pertinente de nature à la justifier.
12. En statuant ainsi, alors que la différence de traitement résultant du maintien, par l'accord de substitution du 20 novembre 2013, au profit des seuls anciens salariés du site de la société absorbée qui bénéficiaient de cet avantage à la date d'effet de cet accord ou qui en avaient bénéficié antérieurement, de l'indemnisation de leurs frais de transport entre leur domicile et leur lieu de travail, n'était pas étrangère à toute considération de nature professionnelle, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue partiellement au fond en déboutant le salarié de sa demande tendant au remboursement d'indemnités kilométriques au titre de l'indemnisation de ses frais de transport.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
DIT n'y avoir lieu partiellement à renvoi ;
Déboute M. [C] de sa demande tendant au remboursement d'indemnités kilométriques au titre de l'indemnisation de ses frais de transport ;
Remet, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse pour qu'il soit statué sur la demande subsidiaire de M. [C] en paiement de dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier d'un régime conventionnel d'indemnisation de frais de transport ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille vingt-cinq.