LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu la connexité, joint les pourvois n° 16-20.532 à 16-20.549 ;
Sur le moyen unique :
Vu le principe d'égalité de traitement et l'accord du 29 mars 1990 annexé à la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011 ;
Attendu, d'abord, que l'évolution générale de la législation du travail en matière de négociation collective et de la jurisprudence en ce qui concerne le principe d'égalité de traitement à l'égard des accords collectifs conduit à apprécier différemment la portée de ce principe à propos du transfert des contrats de travail organisé par voie conventionnelle ;
Attendu, ensuite, que la différence de traitement entre les salariés dont le contrat de travail a été transféré en application d'une garantie d'emploi instituée par voie conventionnelle par les organisations syndicales représentatives investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote et les salariés de l'employeur entrant, qui résulte de l'obligation à laquelle est tenu ce dernier de maintenir au bénéfice des salariés transférés les droits qui leur étaient reconnus chez leur ancien employeur au jour du transfert, n'est pas étrangère à toute considération de nature professionnelle et se trouve dès lors justifiée au regard du principe d'égalité de traitement ;
Attendu, selon les jugements attaqués, qu'en application de l'accord du 29 mars 1990 annexé à la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011, la société AAF La Providence II, attributaire depuis le 1er janvier 2010 du marché de nettoyage du site "banque de France", a repris à son service différents salariés affectés sur ce site à la suite de la perte du marché par leur employeur ; que, s'estimant victimes d'une inégalité de traitement en ce que certains salariés de la société AAF La Providence II, issus d'un transfert antérieur, bénéficiaient d'un treizième mois en raison de la règle imposant le maintien de leur rémunération lors de la reprise du marché, M. Y... et vingt-six autres salariés affectés sur ce site ont saisi le conseil de prud'hommes aux fins d'obtenir le paiement d'une prime de treizième mois pour la période située entre 2010 et 2014 ;
Attendu que pour condamner la société AAF La Providence II à payer à chaque salarié une somme à titre de prime de treizième mois, les jugements retiennent que les différents salariés demandeurs accomplissent le même travail pour le même employeur sur le même chantier, s'agissant tant des salariés dont le contrat de travail a été transféré lorsque le marché a fait l'objet d'un changement de prestataire au 1er janvier 2010 que des salariés faisant déjà partie des effectifs de la société AAF La Providence II à cette date, et que l'employeur ne démontre pas l'existence d'une raison objective et pertinente justifiant la différence de rémunération liée à la nécessité de compenser un préjudice spécifique à une catégorie de travailleurs ;
Qu'en statuant ainsi, le conseil de prud'hommes a violé le principe et le texte susvisés ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné en application de l'article 1015 du même code ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les jugements rendus le 13 mai 2016, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette les demandes des salariés au titre d'une prime de treizième mois et des frais irrépétibles ;
Condamne les salariés aux dépens de première instance et de cassation ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des jugements cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé et signé par M. Frouin, président, et par Mme Piquot, greffier de chambre présente lors de la mise à disposition de l'arrêt le trente novembre deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société AAF La Providence II, demanderesse aux pourvois n° Y 16-20.532 à S 16-20.549
IL EST FAIT GRIEF aux jugements attaqués D'AVOIR condamné la société AAF La Providence II à payer à chaque salarié une somme à titre de rappel de prime de treizième mois pour les années 2010 à 2014, à l'exception de Mme M... (années 2010 à 2012, pourvoi n° R 16-20.548) et de Mmes J... et P... (années 2010 à 2013, pourvois n° K 16-20.543 et G 16-20.541),
AUX MOTIFS QUE s'agissant de la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement dans l'hypothèse du transfert conventionnel des contrats de travail des salariés affectés à un marché faisant l'objet d'un changement de prestataire en application des dispositions de l'article 7 de la Convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés, il est établi que lorsque le maintien des contrats de travail des salariés issus de la société sortante ne résulte ainsi pas de l'application de la loi et n'est pas destiné à compenser un préjudice spécifique à cette catégorie de travailleurs, l'inégalité qui en résulte entre salariés accomplissant le même travail pour le même employeur sur le même chantier n'est pas justifiée par des raisons pertinentes ; qu'en l'espèce, étant constaté que les différents salariés demandeurs dans le cadre de la présente instance accomplissent le même travail pour le même employeur sur le même chantier, s'agissant tant des salariés dont le contrat de travail a été transféré lorsque le marché a fait l'objet d'un changement de prestataire au 1er janvier 2010 que des salariés faisant déjà partie des effectifs de la société AAF La Providence II à cette date, et le Conseil ne pouvant que relever que l'employeur ne démontre pas l'existence d'une raison objective et pertinente justifiant la différence de rémunération liée à la nécessité de compenser un préjudice spécifique à une catégorie de travailleurs, il apparaît que la société AAF La Providence II méconnaît le principe d'égalité de traitement en n'accordant le bénéfice de la prime de treizième mois qu'à une partie des salariés concernés ;
1°) ALORS QUE constituent une raison objective et justifient une différence de traitement entre les salariés affectés à un marché de nettoyage qui accomplissent un même travail, les transferts conventionnels successifs effectués en application de l'article 7 de la convention collective nationale des entreprises de propreté qui impose à l'entreprise de maintenir aux salariés qui en bénéficient la rémunération octroyée avant leur transfert ; qu'en jugeant le contraire, le conseil de prud'hommes a violé le principe d'égalité de traitement, ensemble l'article 7 de la convention précitée ;
2°) ALORS QUE la société AAF La Providence II a fait valoir que seuls des salariés qui lui avaient été transférés avant le 1er janvier 2010 bénéficiaient d'une prime contractuelle de 13ème mois qu'elle était tenue de leur verser en application de l'article 7 de la convention collective nationale des entreprises de propreté et que ni la loi, ni la CCN des entreprises de propreté, ni un accord collectif, ni un usage, ni un engagement unilatéral de sa part ne prévoyaient le bénéfice d'un 13ème mois, qu'elle n'octroyait pas un tel avantage contractuel aux salariés qu'elle recrutait elle-même ; qu'en reprochant à la société AAF La Providence II de ne pas démontrer l'existence d'une raison objective et pertinente justifiant la différence de rémunération entre les salariés qui accomplissent le même travail sur le site « Banque de France » pour en déduire qu'elle méconnaît le principe d'égalité de traitement en n'accordant le bénéfice de la prime de 13ème mois qu'à une partie des salariés concernés sans s'expliquer sur les transferts conventionnels successifs qui constituent une raison objective de différence de rémunération portant sur l'attribution de cette prime, indépendante de tout pouvoir discrétionnaire de la société AAF La Providence II, le conseil de prud'hommes a privé sa décision de base légale au regard du principe d'égalité de traitement, ensemble l'article 7 de la convention collective nationale des entreprises de propreté.