LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 janvier 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 2 FS-B
Pourvoi n° D 21-25.916
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JANVIER 2025
La société [4], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° 21-25.916 contre l'arrêt rendu le 4 novembre 2021 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Aquitaine, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations écrites et orales de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société [4], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF d'Aquitaine, et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 novembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, Mme Lapasset, MM. Leblanc, Pédron, Reveneau, Hénon, Mme Le Fischer, conseillers, Mme Dudit, M. Montfort, Mme Lerbret-Féréol, conseillers référendaires, Mme Pieri-Gauthier, avocat général, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 4 novembre 2021), à la suite d'un contrôle portant sur les années 2011 à 2013 de son établissement de Saint-Médard d'Eyrans, suivi d'une lettre d'observations du 3 octobre 2014, l'URSSAF d'Aquitaine (l'URSSAF), a notifié à la société [4] (la société cotisante) une mise en demeure du 30 décembre 2014.
2. La société cotisante a formé un recours à l'encontre de cette mise en demeure devant une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La société cotisante fait grief à l'arrêt de confirmer le chef de redressement relatif aux avantages en nature véhicules et de valider la mise en demeure pour son entier montant, alors :
« 1°/ qu'il résulte de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et de l'article 3 de l'arrêté du 10 décembre 2002 relatif à l'évaluation des avantages en nature en vue du calcul des cotisations sociales, que revêtent le caractère d'avantages en nature, les avantages constitués par l'économie de frais de transport réalisée par les salariés bénéficiaires de la mise à disposition permanente d'un véhicule dont l'entreprise assume entièrement la charge ; que, pour valider le chef de redressement relatif à un avantage en nature véhicule, la cour d'appel a relevé que l'association d'utilisateurs de véhicules mettait à la disposition de salariés du groupe [2] auquel appartient la société cotisante un véhicule que ces salariés utilisaient pour leurs besoins professionnels et personnels, que l'association prenait en charge l'assurance et les frais d'entretien des véhicules et fournissait une carte de carburant aux salariés, qu'en contrepartie les salariés versaient à l'association une cotisation annuelle d'un montant variant en fonction de la catégorie du véhicule, que l'employeur contribuait au financement de l'association en réglant les factures établies par celle-ci mentionnant l'identité du salarié, son numéro d'adhérent, la marque et le type de véhicule, le nombre de kilomètres parcourus à titre professionnel, la valeur unitaire de l'indemnité kilométrique et le décompte TTC, que le ratio entre les dépenses engagées par les salariés dans le cadre d'un usage personnel des véhicules et la cotisation annuelle qu'ils versaient à l'association était disproportionné de sorte que cette redevance ne permettait pas de couvrir l'utilisation personnelle des véhicules, que la société ne contrôlait pas la réalité des déplacements professionnels des salariés tenus à une simple obligation déclarative de kilomètres parcourus pour des motifs professionnels et qu'elle n'établissait pas que les factures réglées à l'association couvraient exclusivement des frais professionnels non soumis à cotisations pour chacun des salariés concernés ; qu'en considérant, en dépit de ces constatations dont il ressort que la société cotisante ne mettait pas de véhicule à la disposition de ses salariés et qu'en outre, elle n'en assumait pas entièrement la charge, la cour d'appel qui a néanmoins considéré que les salariés concernés bénéficiaient d'un avantage en nature grâce au concours de la société, a statué par des motifs ne caractérisant ni en son principe ni en son montant l'existence de l'avantage en nature litigieux et a violé les articles L. 242-1, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale et 3 de l'arrêté du 10 décembre 2002 relatif à l'évaluation des avantages en nature pour le calcul des cotisations dans leur rédaction applicable au litige ;
2°/ que la preuve de l'existence d'un avantage en nature incombe à l'URSSAF ; qu'en énonçant qu'il incombait à la société cotisante de démontrer que les salariés ne bénéficiaient pas d'un avantage en nature résultant d'une prise en charge de l'usage privé des véhicules par l'employeur, tout en relevant que les véhicules étaient mis à la disposition des salariés, pour leurs besoins professionnels et personnels, non par la société mais par l'association d'utilisateurs de véhicules en contrepartie du versement par les salariés d'une cotisation annuelle dont le montant était fonction de la catégorie du véhicule, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. Il résulte de l'article L. 242-1, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, que les avantages en nature attribués en contrepartie ou à l'occasion du travail sont compris dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale.
5. En application de l'article 3 de l'arrêté du 10 décembre 2002 modifié, relatif à l'évaluation des avantages en nature en vue du calcul des cotisations sociales, lorsque l'employeur met à la disposition permanente du travailleur salarié ou assimilé un véhicule, l'avantage en nature constitué par l'utilisation privée du véhicule est évalué, sur option de l'employeur, sur la base des dépenses réellement engagées ou sur la base d'un forfait annuel en pourcentage du coût d'achat du véhicule ou du coût global annuel comprenant la location, l'entretien et l'assurance du véhicule en location ou en location avec option d'achat, toutes taxes comprises.
6. Il résulte de ces textes que la mise à la disposition permanente, par l'employeur, au profit de ses salariés, d'un véhicule pouvant être utilisé pour leurs déplacements privés, permettant ainsi aux bénéficiaires de faire l'économie de frais de transport qu'ils devraient normalement assumer, constitue, en principe, un avantage en nature.
7. La circonstance selon laquelle le véhicule est mis à la disposition permanente de salariés par l'intermédiaire d'un tiers ne saurait faire obstacle à la constatation de l'existence d'un avantage en nature, lorsque l'attribution de cet avantage résulte de l'appartenance des salariés à l'entreprise.
8. L'administration de la preuve de cet avantage en nature doit être gouvernée par les règles générales applicables en cette matière.
9. Ainsi, s'il incombe d'abord à l'URSSAF d'établir, notamment par le procès-verbal des agents de contrôle qui fait foi jusqu'à preuve contraire, la mise à disposition permanente, par l'employeur, d'un véhicule au profit de ses salariés, il appartient ensuite à l'employeur de démontrer que cette mise à disposition, fût-ce par l'intermédiaire d'un tiers, est exclusive de tout avantage en nature.
10. L'employeur doit, par conséquent, rapporter la preuve qu'il prend exclusivement en charge le coût afférent aux kilomètres parcourus par ses salariés dans le cadre de leurs déplacements professionnels, sans aucune participation au coût de l'usage personnel du véhicule par ces derniers.
11. Si, conformément à l'article 1358 du code civil, cette preuve peut être rapportée par tout moyen, elle ne peut cependant résulter des seules facturations établies par le tiers qui met les véhicules à disposition des salariés, lesquelles doivent être corroborées par d'autres éléments de preuve.
12. L'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que l'intervention d'un tiers dans la mise à disposition d'un véhicule au profit d'un salarié n'exclut pas par elle-même l'existence d'un avantage en nature. Il constate que les véhicules mis à disposition des salariés de la société par l'association des utilisateurs de véhicules, en raison de la relation de travail avec l'employeur, sont utilisés par les salariés tant pour leurs besoins professionnels que personnels. Il retient qu'il incombe à l'employeur de démontrer que les salariés ne bénéficient pas d'un avantage résultant d'une prise en charge de l'usage privé des véhicules par l'employeur. Après avoir relevé que l'employeur contribue au financement de l'association qui met les véhicules à disposition des salariés en réglant les factures que celle-ci a établies, mentionnant l'identité du salarié, son numéro d'adhérent, la marque et le type de véhicule, le nombre de kilomètres parcourus à titre professionnel, la valeur unitaire de l'indemnité kilométrique et le décompte TTC, l'arrêt retient que l'employeur n'établit pas que les factures qu'il règle à l'association couvrent exclusivement des frais professionnels non soumis à cotisations pour chacun des salariés concernés.
13. De ces constatations et énonciations, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve débattus devant elle, la cour d'appel, ayant estimé que les éléments de preuve apportés par la société cotisante étaient insuffisants à démontrer qu'elle prenait exclusivement en charge les déplacements professionnels effectués par ses salariés, a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que l'URSSAF était fondée à procéder au redressement sur la base d'une évaluation forfaitaire de l'avantage procuré aux salariés, minorée du montant de la redevance réglée annuellement par ceux-ci.
14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
15. La société cotisante fait grief à l'arrêt de confirmer le chef de redressement relatif aux avantages en nature logement et de valider la mise en demeure pour son entier montant, alors « qu'il résulte de l'article 8 de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale que la mobilité professionnelle implique un changement de lieu de résidence lié à un changement de poste de travail du salarié dans un autre lieu de travail et que l'employeur est autorisé à déduire de l'assiette des cotisations sociales les indemnités destinées à compenser les dépenses inhérentes à l'installation dans le nouveau logement, qui sont réputées être utilisées conformément à l'objet pour un certain montant ; que, pour valider le chef de redressement litigieux relatif à un avantage en nature logement, la cour d'appel a énoncé que la prise en charge, par la société cotisante, des six ou trois premiers mois de loyer du logement définitif des salariés faisant l'objet d'une mutation en ou hors Ile-de-France ne constitue pas, quelle qu'en soit la cause, l'une des indemnités limitativement énumérées par l'article 8 de l'arrêté du 20 décembre 2002, que les règles de mobilité faisant l'objet du redressement visent à faciliter l'installation des collaborateurs mutés pour des motifs professionnels en finançant les premiers mois de loyer dans un logement définitif et que cette prise en charge n'est pas de même nature que la prime de rideau antérieurement versée laquelle correspond à l'indemnité de frais matériels d'installation dans le nouveau logement prévue par l'article 8, 2° de l'arrêté ; qu'ayant ainsi constaté que la prise en charge temporaire du loyer du nouveau logement concernait des salariés mutés pour des raisons professionnelles, la cour d'appel qui, pour valider le chef de redressement litigieux, a énoncé que la prise en charge des premiers mois de loyer ne correspondait à aucune des dépenses limitativement énumérées par l'article 8 de l'arrêté du 20 décembre 2002, sans rechercher si, comme le soutenait la société cotisante, cette prise en charge temporaire du loyer du nouveau logement ne visait pas à compenser forfaitairement les dépenses inhérentes à la nécessité, pour ces salariés, de s'installer dans ce nouveau logement en raison de leur mutation professionnelle, a privé sa décision de base légale au regard des articles 2, 8 et 10 de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations et de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2, 8 et 10 de l'arrêté du 20 décembre 2002 modifié relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations sociales :
16. Il résulte du deuxième de ces textes que la mobilité professionnelle implique un changement de lieu de résidence lié à un changement de poste de travail du salarié dans un autre lieu de travail et que l'employeur est autorisé à déduire de l'assiette des cotisations sociales les indemnités destinées à compenser les dépenses inhérentes à l'installation dans le nouveau logement, qui sont réputées être utilisées conformément à leur objet pour un certain montant.
17. Pour rejeter le recours de la société en ce qui concerne l'avantage en nature logement, l'arrêt retient que la prise en charge par l'employeur des premiers mois de loyer du nouveau logement définitif d'un salarié muté ne constitue pas, quelle qu'en soit la cause, l'une des indemnités limitativement énumérées à l'article 8 de l'arrêté du 20 décembre 2002. Il relève que cette prise en charge ne constitue pas le paiement des dépenses d'hébergement provisoire visées par le 1° de ce texte et ne correspond pas à l'indemnité de frais matériels d'installation relatifs à la remise en service du nouveau logement ou à son aménagement tels que prévus par le 2° du même texte. Il en déduit que cette prise en charge constitue, non une indemnité compensant des charges inhérentes à la mobilité professionnelle, mais un avantage en nature, réintégrable dans l'assiette des cotisations et contributions sociales.
18. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, comme le soutenait la société, cette prise en charge temporaire du loyer du nouveau logement ne visait pas à compenser forfaitairement les dépenses inhérentes à la nécessité, pour ces salariés, de s'installer dans ce nouveau logement en raison de leur mutation professionnelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
19. La cassation des chefs de dispositif confirmant le chef de redressement relatif à l'avantage en nature logement, validant la mise en demeure pour son entier montant et condamnant la société cotisante au paiement du solde de la mise en demeure n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt déclarant acquise à l'URSSAF les sommes versées par la société cotisante en paiement d'autres chefs de redressement non contestés et condamnant cette dernière aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à son encontre.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement en tant qu'il valide le point 5 du redressement afférent à « l'avantage en nature logement - évaluation » pour son entier montant, soit 2 666 euros, et valide la mise en demeure du 30 décembre 2014 pour son entier montant, et en ce qu'il condamne la société [4] à payer à l'URSSAF d'Aquitaine la somme de 31 364 euros en cotisations et 4 781 euros en majorations de retard, l'arrêt rendu le 4 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée.
Condamne l'URSSAF d'Aquitaine aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf janvier deux mille vingt-cinq.