LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 décembre 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 756 F-B
Pourvoi n° E 23-19.807
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 DÉCEMBRE 2024
M. [C] [L], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 23-19.807 contre l'arrêt rendu le 13 juin 2023 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à Mme [E] [H], domiciliée [Adresse 2], prise en qualité de liquidateur de la société Sud BTP, défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de M. [L], de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [H], ès qualités, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 octobre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 13 juin 2023), le 22 janvier 2019, la société Sud BTP, ayant pour président et actionnaire unique M. [L] depuis le 10 janvier 2018, a été mise en liquidation judiciaire. Mme [H], désignée liquidateur, a recherché la responsabilité de M. [L] pour insuffisance d'actif et demandé qu'une sanction personnelle soit prononcée contre lui.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
2. M. [L] fait grief à l'arrêt, ayant annulé le jugement rendu le 14 septembre 2021 par le tribunal de commerce de Rodez, de le réformer, mais seulement en ce qu'il a condamné M. [L] à supporter l'insuffisance d'actif de la société Sud BTP pour un montant de 634 055,25 euros, et prononcé la faillite personnelle non assortie de l'exécution provisoire de M. [L] pour une durée de dix ans à compter du jugement et, statuant à nouveau de ces chefs, de le condamner à supporter l'insuffisance d'actif de la société Sud BTP pour un montant de 482 567,02 euros et prononcer à son encontre, une interdiction de gérer pour une durée de cinq années, alors « que lorsqu'elle annule un jugement, la cour d'appel ne peut le confirmer ou l'infirmer ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a annulé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rodez le 14 septembre 2021 parce que le juge-commissaire suppléant de la procédure collective de la société Sud BTP avait présidé le tribunal de commerce de Rodez lors de l'audience du 13 juillet 2021 ; qu'après avoir annulé le jugement, la cour d'appel l'a réformé "mais seulement en ce qu'il avait condamné M. [L] au comblement du passif de la société Sud BTP dans la limite de 634 055,25 euros, et prononcé la faillite personnelle non assortie de l'exécution provisoire de M. [C] [Y] [Z] [L] (?) pour une durée de dix (10) ans à compter du jugement" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 562, alinéa 2, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 562, alinéa 2, du code de procédure civile :
3. Il résulte de ce texte que, lorsqu'elle annule un jugement, la cour d'appel ne peut le confirmer ou l'infirmer.
4. Après avoir annulé le jugement qui lui était déféré, la cour d'appel l'a réformé en ce qu'il a condamné M. [L] à contribuer à l'insuffisance d'actif et prononcé sa faillite personnelle
5. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. M. [L] fait grief à l'arrêt de le condamner à supporter l'insuffisance d'actif de la société Sud BTP pour un montant de 482 567,02 euros et de prononcer à son encontre une interdiction de gérer pour une durée de cinq années, alors « que lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ; que, pour retenir l'existence d'une faute de gestion de M. [L] constituée de la poursuite de l'activité déficitaire, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que la date de cessation des paiements avait été fixée le 1er avril 2018, à dresser la liste des dettes apparues à compter de cette date et avant le jugement d'ouverture et à indiquer que le bilan de la société Sud BTP pour les exercices clos au 30 juin 2018 et au 30 juin 2017 faisaient apparaître un accroissement des dettes ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser la faute de gestion consistant, pour un dirigeant social, à poursuivre une exploitation déficitaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 651-2 du code de commerce :
7. Selon ce texte, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant en sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.
8. Pour condamner M. [L] au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif et prononcer son interdiction de gérer, l'arrêt relève que les cotisations sociales sont impayées depuis le mois d'avril 2018, qu'un privilège général de la sécurité sociale au profit de l'Arcco a été inscrit le 28 août 2018 pour un montant de 2 453 euros, et un autre le 28 décembre 2018 pour un montant de 17 250 euros au profit de l'URSSAF. Il ajoute que des impôts et des dettes fiscales déclarés pour un montant de 8 911 euros comprennent des sommes impayées depuis le mois d'août 2018 et que le bilan au titre de l'exercice clos au 30 juin 2018 fait apparaître un accroissement à cette date du montant des dettes de la société de 756 976,72 euros à 978 133,08 euros depuis l'exercice précédent. Il en déduit que la faute de gestion tenant à la poursuite de l'activité déficitaire de la société a contribué à l'insuffisance d'actif.
9. En se déterminant par des tels motifs, impropres à caractériser la poursuite d'une activité déficitaire, qui ne peut résulter du seul constat d'une augmentation du montant des dettes, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen relevé d'office
Conformément aux articles 620, alinéa 2, et 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties.
Vu les articles L. 653-4, L. 653-5, L. 653-6 et L. 653-8 du code de commerce :
10. Il résulte de ces textes que l'interdiction de gérer ne peut être prononcée contre le dirigeant d'une personne morale que pour sanctionner les fautes qu'ils prévoient.
11. Pour prononcer une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de cinq ans contre M. [L], l'arrêt, après avoir relevé qu'il n'est pas établi que celui-ci aurait poursuivi abusivement dans un intérêt personnel une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements, retient que, toutefois, le comportement du dirigeant fautif lié à la poursuite de l'activité déficitaire et l'absence de déclaration de cessation justifient de le sanctionner.
12. En statuant ainsi, alors que la poursuite abusive d'une activité déficitaire n'est sanctionnée que lorsqu'elle est effectuée dans un intérêt personnel et que l'exploitation déficitaire ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. La condamnation de M. [L] à supporter l'insuffisance d'actif de la société Sud BTP et à une mesure d'interdiction de gérer ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes de gestion, la cassation encourue à raison de l'une d'entre elles entraîne, en application du principe de proportionnalité, la cassation de l'arrêt de ce chef.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que les dernières conclusions de Mme [H], ès qualités, prises en considération sont celles signifiées le 10 mars 2023 et annule le jugement rendu le 14 septembre 2021 par le tribunal de commerce de Rodez, l'arrêt rendu le 13 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne Mme [H], en qualité de liquidateur de la société Sud BTP, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille vingt-quatre, et signé par lui, le conseiller référendaire rapporteur et Mme Sezer, greffier, qui a assisté au prononcé de l'arrêt