LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 décembre 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 729 F-D
Pourvoi n° H 23-17.923
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 DÉCEMBRE 2024
La société Terminal du Grand Ouest ¿ TGO, société par actions simplifiée, dont le siège est terminal à marchandises diverses et conteneurs, zone portuaire, 44550 Montoir-de-Bretagne, a formé le pourvoi n° H 23-17.923 contre l'arrêt rendu le 6 juin 2023 par la cour d'appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société [Adresse 4], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Terminal du Grand Ouest ¿ TGO, après débats en l'audience publique du 15 octobre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 6 juin 2023), par une convention de terminal, l'établissement public [Adresse 2] a confié à la société Terminal du Grand Ouest ¿ TGO (la société TGO) l'exploitation du terminal marchandises et conteneurs de Montoir-de-Bretagne. A la suite d'une violente altercation, le 24 novembre 2020, entre l'un de ses salariés et un conducteur de la société [Adresse 4] (la société Mega Parc), qui exerce l'activité de transporteur routier de marchandises, la société TGO a interdit à cette dernière l'accès au terminal pendant plusieurs semaines, puis a autorisé la reprise de l'accès sous certaines conditions.
2. Reprochant à la société TGO de lui avoir interdit l'accès au terminal puis, après la levée de cette interdiction, d'avoir imposé à ses conducteurs des temps d'attente anormaux, la société [Adresse 3] l'a assignée pour que soit constatée l'illicéite de l'interdiction et de la limitation d'accès, que soit ordonnée la levée des restrictions d'accès et qu'elle soit condamnée à la réparation des préjudices qu'elle lui a causés.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La société TGO fait grief à l'arrêt de dire que les mesures prises à l'égard de la société [Adresse 3], à la suite de l'incident du 24 novembre 2020, ont été disproportionnées et de la condamner à payer à cette société la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice économique, alors « que le juge est tenu, en toutes circonstances, de faire respecter et de respecter lui-même le principe du contradictoire ; qu'en relevant, pour condamner la société TGO à verser à la société [Adresse 3] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, que les mesures qu'elle avait prises à la suite de l'incident du 24 novembre 2020 étaient disproportionnées, cependant qu'il ne résultait pas des conclusions d'appel des parties, notamment celles de la société Mega Parc, que celle-ci ait invité la cour d'appel à rechercher si les mesures prises par la société TGO étaient de nature à porter une atteinte disproportionnée à ses droits, la cour d'appel qui s'est fondée sur un moyen relevé d'office, sans avoir, au préalable, invité les parties à s'en expliquer, a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
4. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
5. Pour condamner la société TGO à payer à la société [Adresse 3] une certaine somme en réparation de son préjudice économique, l'arrêt, après avoir relevé qu'aux termes de l'article 10 de la convention de terminal, la société TGO doit assurer le respect des dispositions législatives et réglementaires relatives à la sûreté portuaire et que l'accès au terminal est soumis à son accord, retient que s'il est incontestable que la société TGO a toute latitude pour prendre les mesures de sécurité nécessaires au sein du terminal, l'interdiction d'accès opposée à tout camion de la société [Adresse 3] pendant trois semaines, soit quinze jours ouvrés, apparaît disproportionnée et contraire à l'article 23 de la convention de terminal, qui fait obligation à la société TGO, sous peine de sanctions, de permettre l'accès des installations à tous trafics conteneurisés de manière non discriminante et dans des conditions comparables. Il ajoute que sont également disproportionnées les mesure imposées à la société [Adresse 3] pour la reprise de l'accès au terminal.
6. En relevant d'office le moyen pris du caractère disproportionné des mesures prises par la société TGO, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations, la cour d¿appel a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. La société TGO fait le même grief à l'arrêt, alors « que la réparation du préjudice doit être intégrale, sans perte ni profit pour la victime ; qu'ainsi, la réparation du préjudice ne peut pas être forfaitaire ; qu'en évaluant le préjudice économique subi par la société [Adresse 3] à la somme forfaitaire de 10 000 euros, après avoir constaté que les pièces produites par la société Méga Parc ne permettaient pas d'évaluer son préjudice économique et que la cour d'appel ne pouvait pas pallier sa carence dans l'administration de cette preuve, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale du préjudice :
8. Il résulte de ce principe que la réparation du dommage doit correspondre au préjudice subi et ne peut être appréciée de manière forfaitaire.
9. Pour condamner la société TGO à payer à la société [Adresse 3] la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice économique, l'arrêt, après avoir retenu que le préjudice économique est très difficilement évaluable au regard des pièces versées au débat, que la carence dans l'administration de la preuve a été relevée par la société TGO et par le premier juge et ajouté que la cour d¿appel ne peut y pallier, énonce que le préjudice économique, établi dans son principe, est fixé forfaitairement à la somme de 10 000 euros.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que les mesures prises par la société Terminal du Grand Ouest ¿ TGO à l'égard de la société [Adresse 4] suite à l'incident du 24 novembre 2020 ont été disproportionnées, condamne la société Terminal du Grand Ouest ¿ TGO à payer à la société [Adresse 4] la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice économique et statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;
Condamne la société Transport Mega Parc aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société [Adresse 4] à payer à la société Terminal du Grand Ouest ¿ TGO la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille vingt-quatre.