LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 novembre 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 716 F-B
Pourvoi n° R 23-10.433
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 27 NOVEMBRE 2024
1°/ M. [B] [N],
2°/ Mme [I] [C], épouse [N],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° R 23-10.433 contre l'arrêt rendu le 8 novembre 2022 par la cour d'appel d'Angers (chambre A, commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [L] [A],
2°/ à Mme [U] [W], épouse [A],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
3°/ à la société Pole Position assurances, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme de Lacaussade, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. et Mme [N], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. et Mme [A] et de la société Pole Position assurances, après débats en l'audience publique du 8 octobre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme de Lacaussade, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 8 novembre 2022), le 31 janvier 2014, M. et Mme [A] ont constitué avec M. et Mme [N] la société par actions simplifiée Pole position assurances (la société), en vue de développer une activité de courtage d'assurances et réassurance.
2. Le 18 avril 2014, M. et Mme [N] ont cédé l'intégralité de leurs actions à M. et Mme [A], motif pris de ce qu'une importante compagnie d'assurance anglaise menaçait de ne plus poursuivre ses relations d'affaires si la société conservait un lien direct ou indirect avec eux au travers de leur société Assurances [N], les parties s'accordant pour que cette cession soit temporaire, le temps que s'apaise le différend avec cette compagnie.
3. Courant 2015, M. et Mme [A] ont refusé à M. et Mme [N] la rétrocession des actions.
4. Le 6 avril 2017, ces derniers ont assigné M. et Mme [A] et la société Pole position assurances en nullité pour dol de la cession de leurs actions et en paiement de certaines sommes à titre de dividendes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. M. et Mme [N] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à voir prononcer la nullité pour dol de la cession des actions de la société, Pole position assurances réalisée le 18 avril 2014 au profit de M. et Mme [A], alors :
« 1°/ que la nullité de la convention est encourue lorsque les manoeuvres pratiquées volontairement par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans elles, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'en se bornant, pour écarter le dol commis par M. et Mme [A] à l'encontre de M. et Mme [N], à retenir qu'il ne ressortait pas des éléments versés aux débats la preuve de fausses déclarations intentionnelles de M. et Mme [A], destinées à tromper M. et Mme [N] sur la nécessité qu'ils ne soient plus, au moins pendant un certain temps, associés de la société Pole position assurances, pour ménager un partenaire d'affaires important dans le domaine de l'assurance des sports automobiles, sauf à prendre le risque de perdre celui-ci, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. et Mme [N] auraient cédé leurs actions le 18 avril 2014 si M. et Mme [A] ne leur avaient pas fait accroire, par un stratagème destiné à surprendre leur consentement, que les Lloyd's de Londres ne voulaient plus travailler avec eux, qu'il était préférable qu'ils ne soient plus porteurs d'actions mais que cette cession était en tout état de cause provisoire, et s'ils n'avaient pas ainsi commis des manoeuvres visant à obtenir à bon compte la cession d'actions d'une société qui avait toujours été alimentée par M. [N] et sa société Assurances [N], ce uniquement pour percevoir les bénéfices de cette activité sans bourse déliée, en invoquant des éléments erronés pour amener M. et Mme [N] à céder leurs actions tout en les conservant dans la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1109 et 1116 anciens du code civil ;
2°/ que le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges ; que M. et Mme [N] faisaient valoir que le mail des Lloyd's de Londres adressé à M. [D] [F] le 6 juin 2017 émanant de DTW 1991, qui n'était qu'un sociétaire des Lloyd's de Londres, n'indiquait pas que M. et Mme [N] ne pouvaient être associés de la société Pole position assurances et n'excluait que les éléments qui seraient apportés par la société Assurances [N], personne morale, que M. [D] [F] n'était qu'un courtier indépendant, que ce courriel daté du 6 juin 2017 était postérieur à la volonté de M. et Mme [A] d'opérer un transfert des actions de M. et Mme [N] effectué le 18 avril 2014, que le rédacteur de ce courriel mentionnait uniquement qu'il souhaitait des affaires directement présentées par la société Pole position assurances mais n'affirmait nullement que les Lloyd's ne voulaient plus travailler avec M. et Mme [N], ce dont il déduisait que l'argumentation de M. et Mme [A] visant à faire croire que les Lloyd's de Londres ne voulaient plus avoir de contact avec M. et Mme [N] était mensongère ; qu'en se bornant à énoncer que les dires de M. [D] [F] étaient corroborés par une lettre du 6 juin 2017 adressée à ce dernier par DTW 1991 concernant une réclamation relative à une créance à son encontre d'un montant de 119 605,09 euros dans laquelle le syndicat indiquait, après avoir rappelé que les 82 polices à l'origine de cette créance étaient liées à des activités réalisées en coopération avec les Assurances [N], que, tel qu'il n'avait pas manqué de le rappeler dans un courriel du 9 juin 2014, il souhaitait traiter exclusivement les affaires le liant directement à la société Pole position assurances et ne pas souscrire les dossiers qui seraient transmis directement ou indirectement par les Assurances [N], ce dont il se déduisait que dès avant juin 2014, il avait manifesté sa volonté de refuser des dossiers apportés directement ou indirectement par les Assurances [N], sans rechercher, comme elle y était invitée, si ce courriel n'avait pas uniquement exclu la souscription de dossiers transmis par la société Assurances [N], sans viser M. et Mme [N], simples actionnaires de la société Pole position assurances, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1109 et 1116 anciens du code civil ;
3°/ que le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges ; que M. et Mme [N] faisaient valoir que le mail de M. [N] adressé à M. [A] le 25 avril 2014, sur lequel se fondaient M. et Mme [A], n'établissait nullement le refus des Lloyd's de Londres de travailler avec eux, ce courriel ayant été utilisé pour servir de prétexte pour les évincer par malice de l'actionnariat avec la préméditation de ne pas restituer les actions, malgré la promesse faite sur ce point ; qu'en se contentant de retenir que ce courriel adressé, certes postérieurement à la cession litigieuse, mais seulement quelques jours après celle-ci et relatif à "un nouvel épisode", corroborait l'existence d'une dégradation des relations entre la société Pole position assurances et les souscripteurs pour le compte desquels intervenait M. [F], d'ores et déjà avérée et connue de M. [N], liée à son intervention ou à celle de la société Assurances [N] dans certains contrats, sans préciser ni expliquer précisément en quoi ce courriel établissait que l'un des syndicats dépendant des Lloyd's de Londres ne voulait plus travailler avec la société Pole position assurances tant qu'elle aurait des liens avec M. et Mme [N], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1109 et 1116 anciens du code civil ;
4°/ que les juges ne peuvent mettre à la charge d'une partie la preuve d'un fait négatif impossible à démontrer ; que M. et Mme [N] reprochaient à M. et Mme [A] de ne pas leur avoir rétrocédé, comme ils s'y étaient expressément engagés, les actions qu'ils leur avaient cédées le 18 avril 2014, et de leur avoir affirmé que la cession des actions était provisoire cependant qu'ils n'avaient nullement l'intention de leur restituer ; qu'en retenant qu'il n'était pas démontré par M. et Mme [N] qu'au moment de la cession M. et Mme [A] n'avaient eu aucune intention de revendre ultérieurement les actions ainsi acquises le 18 avril 2014 aux époux [N], la cour d'appel, qui a mis à la charge de M. et Mme [N] la preuve d'un fait négatif impossible à rapporter, a violé l'article 1353 du code civil ;
5°/ que la seule langue de procédure admise devant les juridictions françaises étant la langue française, le juge ne peut fonder sa décision sur des actes rédigés en langue étrangère ; qu'en l'espèce, pour écarter le dol commis par M. et Mme [A] dans le cadre de la cession des parts de M. et Mme [N], la cour d'appel a notamment fondé sa décision sur un mail de M. [F] adressé à la société Pole position assurances du 6 juin 2017 et sur un mail de M. [F] à M. [A] du 27 avril 2014, rédigés en anglais, non accompagnés d'une traduction française, violant ainsi l'article 111 de l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 et l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
6. En premier lieu, l'ordonnance de Villers-Cotterêts ne concerne que les actes de procédure et le juge, sans violer l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est fondé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, à retenir comme élément de preuve un document écrit dans une langue étrangère lorsqu'il en comprend le sens. La cour d'appel a donc pu retenir comme probants les courriels invoqués par la cinquième branche bien qu'ils aient été produits dans leur version originale en langue anglaise sans être accompagnés d'une traduction en français.
7. En second lieu, après avoir énoncé à bon droit que le dol s'apprécie au moment du contrat, résulte dans les manoeuvres pratiquées par l'une des parties, telles qu'il est évident que, sans elles, l'autre n'aurait pas contracté et doit être prouvé par celui qui l'invoque, l'arrêt retient que le fait d'établir qu'en 2017, l'un des syndicats opérant sur le marché des assureurs de la compagnie d'assurance anglaise avait un mandataire qui travaillait avec la société d'assurance de M. [N], ne démontrait pas que M. et Mme [A] avaient menti en leur indiquant, en avril 2014, qu'un autre syndicat important opérant sur le même marché risquait de rompre ses relations avec leur société en raison de l'intervention directe ou indirecte de M. et Mme [N] dans le circuit conduisant à la souscription des risques par ce syndicat assureur. L'arrêt retient ensuite que M. et Mme [A], à qui il n'incombait pourtant pas de démontrer l'absence de dol, établissaient qu'un autre syndicat important intervenant sur ce même marché avait fait part de sa volonté, en avril 2014, de ne fournir aucune police d'assurance ayant été présentée par M. [N] et avait réitéré cette volonté en juin de la même année et encore en juin 2017, et que ce dernier connaissait, lors de la cession, la dégradation avérée des relations entre leur société et la compagnie d'assurance anglaise liée à son intervention ou à celle de sa société Assurances [N] dans certains contrats. L'arrêt ajoute que M. et Mme [N] étaient des personnes expérimentées en matière de courtage d'assurance et dans le domaine de la gestion des sociétés, parfaitement à même d'analyser les enjeux et les conséquences de la cession et de vérifier les dires de M. et Mme [A]. L'arrêt retient enfin qu'il n'est pas établi, qu'au moment de la cession, M. et Mme [A] n'auraient eu aucune intention de revendre les actions acquises.
8. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, procédant aux recherches prétendument omises et sans inverser la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision.
9. Le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
10. M. et Mme [N] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à voir condamner la société Pole position assurances à leur payer chacun la somme de 3 750 euros, alors « que tout jugement doit être motivé et que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que M. et Mme [N] faisaient valoir qu'il résultait de la déclaration pré-remplie d'impôt sur les revenus perçus en 2015, que la société Pole position assurances avait déclaré leur avoir versé à chacun, en 2015, la somme de 3 750 euros au titre de dividendes, cependant que lesdites sommes ne leur avaient jamais été réglées, qu'ils avaient ainsi fait l'objet d'une imposition pour des dividendes qu'ils n'avaient jamais perçus et qu'en l'absence de justificatifs de l'expert-comptable de la société Pole position assurances quant à l'absence de versement de dividendes, ils n'avaient pas été en mesure de se justifier auprès des services fiscaux ; qu'en se bornant à énoncer que la seule mention dans leur déclaration pré-remplie, au titre des revenus perçus en 2015 de revenus de capitaux mobiliers "Pole Position assurances, déclarant 1 : 3 750 euros et déclarant 2 : 3 750 euros", dont il n'était pas contesté qu'ils n'avaient pas été perçus par M. et Mme [N], ne constituait pas la preuve d'une créance de ces derniers à l'égard de la société Pole position assurances, à concurrence de ces montants, sans répondre aux conclusions de M. et Mme [N] faisant valoir qu'ils n'avaient jamais pu justifier de cette erreur auprès de l'administration fiscale, l'expert-comptable de la société Pole position assurances n'ayant jamais établi ce document, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel, qui n'était saisie que d'une demande tendant au paiement des dividendes dont M. et Mme [N] prétendaient avoir été privés et non d'une demande d'indemnisation des conséquences de la déclaration erronée faite par la société Pole position assurances à l'administration fiscale, n'était pas tenue de répondre aux conclusions inopérantes par lesquelles ceux-ci soutenaient qu'ils n'avaient jamais pu justifier auprès de cette administration de l'erreur commise par la société en déclarant à tort qu'un dividende leur avait été versé.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [N] et les condamne à payer à M. et Mme [A] ainsi qu'à la société Pole Position assurances la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille vingt-quatre.