LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 novembre 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 685 F-D
Pourvoi n° H 23-18.544
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 20 NOVEMBRE 2024
1°/ M. [L] [S],
2°/ Mme [T] [M], épouse [S],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° H 23-18.544 contre l'arrêt n° RG 21/01578, rendu le 17 mai 2023 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [D] [F], domicilié [Adresse 1],
2°/ à la société [F] Conseils, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de M. et Mme [S], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [F] et de la société [F] Conseils, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er octobre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 17 mai 2023), les 19 février et 4 juillet 2014, sur les conseils de la société [F] Conseils, conseil en gestion de patrimoine, M. et Mme [S] ont acquis des parts indivises d'une collection de lettres et manuscrits auprès de la société Aristophil pour un montant de 49 510 euros.
2. Les 16 février et 5 août 2015, la société Aristophil a été mise en redressement puis liquidation judiciaires.
3. Soutenant que la société [F] Conseils avait manqué à ses obligations d'information et de conseil envers eux, M. et Mme [S] l'ont assignée, ainsi que M. [F], son gérant, en indemnisation de leurs préjudices.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. M. et Mme [S] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « que le professionnel de l'investissement doit être vigilant aux alertes de l'AMF, et aviser son client de ces alertes sur les risques spécifiques d'un produit atypique, en adoptant une attitude critique et indépendante pour exercer au mieux son devoir de conseil quant à la nature du risque du placement proposé ; que M. et Mme [S] soutenaient devant la cour d'appel qu' "il est particulièrement impardonnable que, s'agissant du produit Aristophil, Monsieur [D] [F] ait continué à le commercialiser sans avertir ses clients d'une alerte de l'AMF qui, à l'évidence, visait notamment ce produit : 'L'AMF met en garde le public sur les placements atypiques proposés aux épargnants dans des secteurs aussi divers que les lettres et manuscrits ? ' " (conclusions, p. 18) ; qu'en se bornant à affirmer que les contrats informaient M. et Mme [S] des risques de l'investissement, sans rechercher, comme elle y était invitée, si au regard de l'alerte de l'AMF, M. [F] et la société [F] Conseils étaient tenus d'aviser M. et Mme [S] des risques importants liés à cet investissement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil devenu 1240. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
6. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
7. Pour rejeter les demandes d'indemnisation de M. et Mme [S], l'arrêt relève, par motifs propres, que le conseil en gestion de patrimoine avait fait régulariser à M. [S] un « Dossier connaissance client », mentionnant en première page « Avertissement : les conventions Aristophil représentent une acquisition pouvant offrir une plus-value éventuelle à moyen ou long terme qui n'offre aucune garantie de liquidité et aucun engagement de rachat. Il est donc recommandé de s'assurer de disposer de liquidités suffisantes pour faire face à des besoins financiers à court et moyen terme, que cet investissement se place dans une démarche de diversification patrimoniale et ne doit en aucun cas se positionner en substitut des outils financiers classiques, les oeuvres d'art n'étant pas un placement financier », qu'en page 3, celui-ci avait affirmé être informé que la collection dans laquelle il investissait pouvait perdre de la valeur et de la non-liquidité de ses investissements, qu'il avait indiqué avoir pris connaissance de la documentation relative à l'investissement auquel il avait souscrit et avoir reçu toute information ou avoir été mis en mesure de recevoir tout conseil suffisant pour lui permettre d'y souscrire en pleine connaissance de cause, notamment en termes de risques et de durée d'investissement.
8. Il retient, par motifs adoptés, que la preuve de la connaissance de l'escroquerie n'est pas rapportée.
9. Il en déduit que les contrats signés étaient suffisamment clairs et informaient M. [S] des risques de l'investissement auquel il avait souscrit.
10. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. et Mme [S], qui soutenaient qu'aux termes de son communiqué du 12 décembre 2012, pour justifier son appel à la vigilance en matière de placements atypiques, parmi lesquels les lettres et les manuscrits, l'Autorité des marchés financiers avait rappelé qu'aucun discours commercial ne devait faire oublier qu'il n'existait pas de rendement élevé sans risque élevé, de sorte qu'en leur recommandant un tel placement sans tenir compte de cette alerte concernant le risque qu'était susceptible de présenter le placement proposé par la société Aristophil, que le rendement proposé lui imposait de prendre en considération, la société [F] Conseils avait manqué à ses obligations d'information et de conseil envers eux, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de dommages et intérêts de M. et Mme [S] relativement à l'opération Aristophil, l'arrêt rendu le 17 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne M. [F] et la société [F] Conseils aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [F] et la société [F] Conseils et les condamne à payer à M. et Mme [S] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille vingt-quatre, et signé par lui, le conseiller référendaire rapporteur et Mme Labat, greffier, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.