LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
HM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 novembre 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 675 F-D
Pourvoi n° T 23-12.137
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 20 NOVEMBRE 2024
1°/ M. [C] [U], domicilié [Adresse 1],
2°/ M. [S] [N], domicilié [Adresse 5],
3°/ Mme [Z] [P], domiciliée [Adresse 3],
4°/ la société Zigo Holding, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
ont formé le pourvoi n° T 23-12.137 contre l'arrêt rendu le 13 décembre 2022 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société CNA Insurance Company Europe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4] (Luxembourg),
2°/ à la société Alyanse Partenaires, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 7],
3°/ à la société MMA Iard assurances mutuelles, société d'assurances mutuelles, dont le siège est [Adresse 2],
4°/ à la société MMA Iard, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Calloch, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de MM. [U], [N], de Mme [P] et de la société Zigo Holding, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés Alyanse Partenaires, MMA Iard assurances mutuelles et MMA Iard, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société CNA Insurance Company Europe, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er octobre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Calloch, conseiller rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 13 décembre 2022), entre mars 2010 et septembre 2012, la société Zigo Holding, M. [U], M. [N] et Mme [P] (les souscripteurs) ont investi diverses sommes sur un produit financier de la société Aristophil, consistant à acquérir en indivision des collections d'oeuvres littéraires, par l'intermédiaire de la société Alyanse Partenaires, conseiller en gestion de patrimoine.
2. Les 16 février et 5 août 2015, la société Aristophil a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires.
3. Le 11 février 2020, soutenant avoir été mal informés et conseillés par la société Alyanse Partenaires, les souscripteurs l'ont assignée en responsabilité, ainsi que ses assureurs, la société MMA Iard et la société CNA Insurance Company Europe.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Les souscripteurs font grief à l'arrêt de dire leur action prescrite, alors :
« que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en application de cette règle, la prescription de l'action en responsabilité à l'encontre d'un conseil en investissement financier ou d'un conseil en gestion de patrimoine qui aurait manqué à son obligation d'information et de conseil court à compter du moment où la perte de chance de ne pas souscrire à un investissement financier défavorable, ou les gains manqués et les pertes subies à l'occasion de cet investissement, sont révélés à son client ; que pour dire irrecevable car prescrite leur action en responsabilité, la cour d'appel a retenu que "le dommage résultant d'un manquement à une obligation de conseil précontractuelle, d'information ou de mise en garde de l'investisseur consiste en une perte de chance de ne pas contracter ou de contracter dans de meilleures conditions ou de manière différente, et se manifeste dès la conclusion du contrat" et que "l'action en responsabilité initiée par M. [U], la société Zigo Holding, M. [N] et Mme [P] à l'encontre du conseiller en gestion de patrimoine, la société Alyanse Partenaires, pour non-respect de ses obligations d'information et de conseil et réparation subséquente du préjudice corrélatif de perte de chance de ne pas investir dans les produits Aristophil, qui se prescrit par cinq ans par application de l'article 2224 du code civil, a donc pour point de départ la date des contrats d'investissement signés avec la société Aristophil" ; qu'en statuant ainsi, quand les souscripteurs n'étaient en mesure d'agir qu'à compter du moment où ils pouvaient appréhender la perte de chance subie, c'est-à-dire au moment des opérations de revente des parts indivises acquises, intervenues au cours des sessions de ventes aux enchères publiques des mois de décembre 2017, juin 2018 et novembre 2018, lesquelles avaient révélé une surévaluation manifeste des collections, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :
5. Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
6. Le manquement d'un prestataire de services d'investissement à son obligation d'information sur le risque de perte en capital et la valorisation du produit financier prive cet investisseur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'investisseur ait subi des pertes ou des gains manqués. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage ne peut commencer à courir avant la date à laquelle l'investissement a été perdu.
7. Pour déclarer prescrite l'action en responsabilité engagée contre la société Alyanse Partenaires, l'arrêt retient que le préjudice invoqué trouve son origine dans le fait d'avoir souscrit les investissements litigieux à la suite d'un défaut d'information et de conseil et consiste en une perte de chance de ne pas contracter ou de contracter dans de meilleures conditions ou de manière différente qui se manifeste dès la conclusion du contrat. Il en déduit que le délai pour agir a pour point de départ la date des contrats d'investissements signés avec la société Aristophil.
8. En statuant ainsi, alors qu'à la date de conclusion du contrat, le dommage invoqué par les souscripteurs, tenant aux pertes subies sur leurs investissements, ne s'était pas réalisé, de sorte que le délai de prescription n'avait pas commencé à courir, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne les sociétés Alyanse Partenaires, MMA Iard, MMA Iard assurances mutuelles et CNA Insurance Company Europe aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Alyanse Partenaires, MMA Iard, MMA Iard assurances mutuelles et CNA Insurance Company Europe et condamne in solidum les sociétés Alyanse Partenaires, MMA Iard et CNA Insurance Company Europe à payer à la société Zigo Holding, M. [U], M. [N] et Mme [P] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille vingt-quatre, et signé par lui, le conseiller rapporteur et Mme Labat, greffier, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.