LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 novembre 2024
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1017 F-D
Pourvoi n° E 23-10.975
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 NOVEMBRE 2024
La société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 23-10.975 contre l'arrêt rendu le 17 novembre 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-4), dans le litige l'opposant à la société Fhalfamily, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Chauve, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Axa France IARD, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 septembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Chauve, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 novembre 2022) et les productions, la société Fhalfamily, exploitant un fonds de commerce de restaurant, a souscrit le 7 janvier 2016 auprès de la société Axa France IARD (l'assureur) un contrat d'assurance garantissant notamment les pertes d'exploitation.
2. À la suite d'un arrêté, publié au Journal officiel le 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, qui a édicté notamment l'interdiction pour les restaurants et débits de boissons d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décrets du 14 avril 2020 et 11 mai 2020, la société Fhalfamily a effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur afin d'être indemnisée de ses pertes d'exploitation en application d'une clause du contrat stipulant que : « La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même. 2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication ».
3. L'assureur a refusé de garantir le sinistre en faisant valoir que l'extension de garantie ne pouvait pas être mise en oeuvre, en raison de la clause excluant : « ... les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».
4. La société Fhalfamily a assigné l'assureur devant le juge des référés d'un tribunal de commerce, à fin de garantie, lequel a renvoyé l'affaire devant un tribunal statuant au fond.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. L'assureur fait grief à l'arrêt de déclarer non écrite la clause d'exclusion de garantie, selon laquelle « sont exclues les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de décision de la fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique », de le condamner à payer à la société Fhalfamily la somme de 20 000 euros à titre de provision à valoir sur les pertes d'exploitation qu'elle a subies lors des fermetures de son établissement, dans la limite de trois mois et d'ordonner une expertise sur le quantum des pertes d'exploitation subies alors « que les seules clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées et qu'une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation ; que la cour d'appel constate que la clause d'exclusion stipule : « sont exclues les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique » ; que pour énoncer que la société Axa France Iard ne pouvait se prévaloir de la clause d'exclusion comme ne satisfaisant pas à l'exigence d'un caractère formel, la cour d'appel retient que « comme l'a exactement retenu le premier juge, la rédaction de la clause d'exclusion de garantie susvisée, notamment dans sa locution finale « pour une cause identique » renvoie nécessairement à la cause de la fermeture administrative garantie », que l'assureur ne peut soutenir que le terme "épidémie" ne nécessite aucune interprétation ; que « le terme « mesure de fermeture pour une cause identique » en utilisé dans le texte de la clause d'exclusion, sans plus de précision, renvoie à la clause principale, qui dit : « conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication » ; qu'en conséquence, la lecture de la seule clause d'exclusion ne permet pas à l'assuré d'en comprendre le sens et la portée, l'assurée devant étendre son analyse à la clause de garantie de perte d'exploitation suite à fermeture administrative prise dans son ensemble et notamment au mot « épidémie », « que pour comprendre le sens du mot « épidémie » et la notion de « population », tels que les entend la compagnie Axa, l'assurée qui exploite un fonds de commerce de restauration et qui adhère au contrat rédigé par la compagnie Axa, aurait dû préalablement se renseigner en consultant notamment les définitions, bulletins, rapports et communiqués susnommés », et que « les premiers juges ont à bon droit retenu que la clause d'exclusion de garantie litigieuse nécessitait une interprétation du terme « épidémie » visé dans la clause d'exclusion comme « cause identique, de sorte qu'elle n'était pas formelle et limitée au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances » ; qu'en statuant ainsi quand la circonstance particulière de réalisation du risque privant l'assuré du bénéfice de la garantie n'était pas l'épidémie, et pas davantage la maladie contagieuse, le meurtre, le suicide ou une intoxication, mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique à l'une de celles énumérées par la clause d'extension de garantie, de sorte que l'ambiguïté alléguée du terme « épidémie » était sans incidence sur la compréhension, par l'assuré, des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :
7. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.
8. Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.
9. Pour réputer non écrite la clause d'exclusion dont l'assureur se prévaut, l'arrêt énonce que s'il est exact que les conditions particulières du contrat ne contiennent pas de termes relevant d'un vocabulaire spécialisé ou technique, le terme « épidémie » qui ne figure pas dans la clause mais auquel renvoie nécessairement la locution finale de celle-ci, « pour une cause identique », nécessite interprétation.
10. Il ajoute que les différentes acceptions possibles du terme « épidémie » ne permettent nullement à l'assureur d'énoncer valablement que l'assurée, en tant que restaurateur très informé des risques relatifs à l'hygiène alimentaire, au moment de la souscription du contrat, a contracté l'extension de garantie pour couvrir les risques d'une fermeture administrative liée à la survenue d'une épidémie au sein de son seul établissement.
11. Il relève que le fait qu'une épidémie de légionellose, de listériose ou de grippe aviaire a pu n'entraîner la fermeture que d'un seul établissement correspond à des cas d'espèce et ne saurait suffire à exclure toute interprétation autre que celle donnée par l'assureur dont le contrat ne définit pas le terme « épidémie ».
12. Il en conclut que la clause d'exclusion n'est pas formelle.
13. En statuant ainsi, alors que la circonstance particulière de réalisation du
risque privant l'assuré du bénéfice de la garantie n'était pas l'épidémie mais
la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement
faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique à l'une de celles énumérées par la clause d'extension de garantie, de sorte que l'ambiguïté alléguée du terme « épidémie » était sans incidence
sur la compréhension, par l'assurée, des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
14. L'assureur fait le même grief à l'arrêt, alors « que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées et qu'une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire ; que pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel retient que « la clause d'exclusion susvisée n'est nullement limitée, puisqu'elle vise tout autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, la notion « d'autre établissement » étant particulièrement large, le département, soit un territoire géographiquement étendu au sein duquel exerce un nombre important d'établissements, même si ce nombre varie en fonction de la densité de la population de chaque département, de sorte que l'hypothèse de l'assureur selon laquelle cette clause s'appliquerait en cas d'épidémie pour un nombre limité de personnes à l'intérieur d'un seul et unique établissement au sein d'un département, rend illusoire la garantie des pertes d'exploitation en cas d'épidémie, et aboutit à la vider sa substance », « que vouloir démontrer que la clause d'exclusion de garantie peut jouer dans quelques cas hypothétiques, revient à démontrer que cette clause d'exclusion vide la garantie de sa substance, car si cette notion ne signifie pas la privation de l'assuré de toute garantie, elle en restreint l'application à une catégorie très limitée de préjudices, ce qui revient pratiquement à annuler la garantie souscrite » ; qu'en statuant ainsi quand la garantie couvrait le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, n'avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :
15. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré de la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque doivent être formelles et limitées.
16. Une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.
17. Pour statuer comme il le fait, l'arrêt retient que la notion « d'autre établissement » quelles que soient sa nature et son activité est particulièrement large.
18. Il ajoute que l'hypothèse selon laquelle cette clause s'appliquerait en cas d'épidémie pour un nombre limité de personnes, à l'intérieur d'un même établissement au sein d'un département, rend illusoire la garantie des pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication.
19. Il en déduit qu'au regard de l'absence de risque couvert par la garantie des pertes d'exploitation en cas d'épidémie, la clause d'exclusion litigieuse vide de sa substance la garantie souscrite et n'apparaît pas limitée.
20. En statuant ainsi, alors que la garantie couvrait le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liées à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, n'avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Fhalfamily aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept novembre deux mille vingt-quatre.