LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 octobre 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 596 F-D
Pourvoi n° T 23-13.103
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 23 OCTOBRE 2024
1°/ M. [K] [M], domicilié [Adresse 4],
2°/ M. [S] [M], domicilié [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° T 23-13.103 contre l'arrêt rendu le 5 janvier 2023 par la cour d'appel de Rouen (chambre civile et commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Alpheys partenaires, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Cd Partenaires,
2°/ à la société Cabinet Faivre, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société Cardif assurance vie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Calloch, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de MM. [K] et [S] [M], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Cabinet Faivre, après débats en l'audience publique du 10 septembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Calloch, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 5 janvier 2023), le 1er février 2011, [G] et [H] [M] ont souscrit sur les conseils de la société Cabinet Faivre un contrat d'assurance-vie en unités de compte auprès de la société Cardif assurances-vie.
2. Le 28 décembre 2016, ayant constaté au terme du contrat survenu le 15 février 2015 une importante perte en capital, [G] et [H] [M] ont assigné en responsabilité la société Cabinet Faivre, la société Cardif assurance-vie et le courtier en assurance. A leur décès intervenu en cours de procédure, l'action a été reprise par leurs héritiers, [K] et [S] [M] (les consorts [M]).
Examen du moyen
Sur le moyen
Enoncé du moyen
3. Les consorts [M] font grief à l'arrêt de déclarer prescrite et donc irrecevable leur action contre les défenderesses, alors « que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'en retenant néanmoins, pour déclarer irrecevable comme prescrite leur action en responsabilité pour manquement des intimés à leurs obligation d'information et de conseil, que les époux [M] avaient appris dès la signature du contrat, le 1er février 2011, que leur investissement présentait un risque de perte totale en capital et que la prescription de l'action avait en conséquence commencé à courir dès cette date, sans qu'il fût nécessaire de connaître l'ampleur de la perte en capital dès lors que l'existence du risque était connue, la cour d'appel, qui a ainsi fixé le point de départ de la prescription au jour de la conclusion du contrat et non au jour où le dommage s'était réalisé ou avait été révélé aux victimes, a violé l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :
4. Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
5. Le manquement d'un intermédiaire à une opération d'investissement à son obligation d'informer le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie libellé en unités de compte sur le risque de pertes présenté par un support d'investissement, ou à son obligation de le conseiller au regard d'un tel risque, prive ce souscripteur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes.
6. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date où l'investissement a lieu, mais à la date du rachat du contrat d'assurance-vie.
7. Pour déclarer prescrite l'action des consorts [M], l'arrêt retient qu'il résulte d'un document signé par les investisseurs lors de la conclusion du contrat d'assurance-vie que ceux-ci avaient expressément accepté de souscrire un contrat dont ils savaient que le capital investi était susceptible d'être perdu en tout ou partie. Il en déduit que ce n'est pas à l'échéance du contrat, en février 2015, ni antérieurement à réception des relevés de situation, que les investisseurs ont appris que le contrat présentait un risque de perte, mais dès la signature du contrat le 1er février 2011 et que, par conséquent, le point de départ du délai de prescription doit être fixé à cette date.
8. En statuant ainsi, alors qu'à cette date, le dommage invoqué par les consorts [M], tenant aux pertes subies sur les sommes investies, ne s'était pas réalisé, de sorte que le délai de prescription n'avait pas commencé à courir, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen autrement composée ;
Condamne les sociétés Cabinet Faivre, Alpheys partenaires et Cardif assurance vie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cabinet Faivre et condamne les sociétés Cabinet Faivre, Alpheys partenaires et Cardif assurance vie à payer à MM. [K] et [S] [M] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille vingt-quatre.