LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 17 octobre 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 566 F-D
Pourvoi n° E 23-13.183
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 OCTOBRE 2024
La commune de Marseille, représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en [Adresse 8], a formé le pourvoi n° E 23-13.183 contre l'arrêt rendu le 3 novembre 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre des expropriations), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Immobilière JT, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5] et [Adresse 2], [Localité 6],
2°/ au commissaire du gouvernement, domicilié [Adresse 7], [Localité 1],
défendeurs à la cassation.
La société civile immobilière Immobilière JT a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Rat, conseiller référendaire, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la commune de Marseille, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société civile immobilière Immobilière JT, après débats en l'audience publique du 17 septembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Rat, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 3 novembre 2022), par décision du 27 août 2003, la commune de Marseille (la commune) a exercé son droit de préemption sur un terrain ayant fait l'objet d'une promesse de vente au profit de la société civile immobilière Immobilière JT (la SCI) au prix de 2 215 000 euros.
2. La décision de préemption ayant été annulée par un jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 mars 2012, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel du 5 décembre 2013, la commune a proposé la rétrocession du bien à la SCI à un certain prix.
3. Faute d'accord, la commune a saisi le juge de l'expropriation en fixation du prix de rétrocession dû par la SCI.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La commune fait grief à l'arrêt de fixer comme il le fait le prix de rétrocession, alors « que le juge de l'expropriation appelé à fixer le prix de rétrocession d'un bien ayant fait l'objet d'un arrêté de préemption ultérieurement annulé doit moduler le prix figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner afin de tenir compte, non seulement du coût des travaux nécessaires à la conservation du bien, mais également de la valeur ajoutée par les impenses utiles réalisées par l'autorité préemptrice ; qu'en se bornant à énoncer que dès lors que le bâti était dans un état correct et non vétuste ou amianté au point de devoir être démoli, la société Immobilière JT ne pouvait être redevable du coût des travaux de démolition, sans rechercher, comme elle y était expressément invitée par la ville de Marseille, si ces travaux de démolition n'avaient pas apporté une valeur ajoutée au terrain, laquelle devait être prise en compte dans l'établissement du prix de rétrocession sauf à permettre un enrichissement injustifié de la société Immobilière JT, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme. »
Réponse de la Cour
6. Ayant relevé que les bâtiments acquis par préemption par la commune, qui étaient dans un état correct et non vétustes ou amiantés au point de devoir être démolis, étaient normalement exploités, et souverainement retenu, par motifs adoptés, que les travaux de démolition réalisés par la commune n'étaient pas justifiés par l'état des biens et la nécessité de leur entretien, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision.
Mais sur le pourvoi incident
Enoncé du moyen
7. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter la demande tendant à voir fixer le prix de rétrocession du bien immobilier à la seule valeur du terrain nu, alors « que la cour d'appel devait rechercher si, comme il était soutenu, le prix du bien devant être fixé dans le cadre imposé par le dispositif du jugement du tribunal administratif, soit « au prix de la déclaration d'intention d'aliéner reçue par la commune en avril 2003, ce prix étant modifié afin de prendre en compte la démolition partielle de bâtiments existants sur la parcelle », cette démolition de bâtiments en bon état et qui étaient exploités, n'avait pas engendré une diminution de la valeur du bien ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme et 1355 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme :
8. Selon ce texte, lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le prix de rétrocession vise à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle. A défaut d'accord amiable, le prix est fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation.
9. Le prix de rétrocession, fixé sur la base du prix mentionné dans la déclaration d'intention d'aliéner, doit tenir compte, en plus ou moins value, des modifications substantielles apportées à la consistance de ce bien depuis l'exercice de la préemption et de la variation éventuelle de la valeur vénale de celui-ci qui en a résulté.
10. Pour fixer le prix de rétrocession, l'arrêt a déduit du prix mentionné dans la déclaration d'intention d'aliéner le seul coût des travaux de démolition des bâtiments en ruine subsistant sur le terrain.
11. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la démolition, par la commune, des bâtiments en état d'usage et exploités au jour où elle a exercé son droit de préemption, n'avait pas modifié la consistance du bien et, en conséquence, sa valeur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe à la somme de 2 011 000 euros le prix de rétrocession à la société civile immobilière Immobilière JT du bien situé à [Localité 9], [Adresse 3], section M n° [Cadastre 4], l'arrêt rendu le 3 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne la commune de [Localité 9] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la commune de [Localité 9] et la condamne à payer à la société civile immobilière Immobilière JT la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept octobre deux mille vingt-quatre.