LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 octobre 2024
Rejet
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1043 F-D
Pourvoi n° C 23-17.574
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 OCTOBRE 2024
M. [D] [P], domicilié [Adresse 1] Israël, a formé le pourvoi n° C 23-17.574 contre l'arrêt rendu le 20 avril 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 7), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Telelangue, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Networkeen, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], anciennement dénommée World Wide Speaking,
3°/ à la société Ajilink Labis Cabooter De Chanaud, dont le siège est [Adresse 4], prise en qualité d'administrateur judiciaire de la société Telelangue,
4°/ à la société JSA, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], prise en qualité de mandataire judiciaire, puis de liquidateur judiciaire de la société Telelangue,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Leperchey, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [P], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Telelangue, des sociétés Networkeen, Ajilink Labis Cabooter De Chanaud et JSA, ès qualités, après débats en l'audience publique du 17 septembre 2024 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Leperchey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Lacquemant, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Intervention
1. Il est donné acte à la société JSA de son intervention en qualité de liquidateur judiciaire de la société Telelangue.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 avril 2023), M. [P] a conclu, en qualité de travailleur indépendant, le 6 juillet 2005 et le 1er janvier 2010, deux contrats avec la société World Wide Speaking Limited, filiale de la société Telelangue, par lesquels il s'est engagé à donner des cours d'anglais pour le compte de celle-ci.
3. Sollicitant la requalification de cette relation contractuelle en contrat de travail, tant à l'égard de la société World Wide Speaking France, devenue Networkeen, autre filiale de la société Telelangue, qu'à l'égard de cette dernière, M. [P] a saisi la juridiction prud'homale.
4. Par jugement du 31 janvier 2024, la société Telelangue a été placée en redressement judiciaire, la société Ajilink Labis Cabooter de Chanaud étant désignée en qualité d'administrateur judiciaire et la société JSA en qualité de mandataire judiciaire. Cette procédure de redressement a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 10 juillet 2024, la société JSA étant désignée en qualité de liquidateur.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. M. [P] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement, sauf en ce que le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent et l'a renvoyé à mieux se pourvoir, en ce qu'il a déclaré irrecevable l'intervention de la société World Wide Speaking France, en ce qu'il a mis celle-ci hors de cause et en ce qu'il l'a condamné à verser à cette dernière une somme à titre de dommages-intérêts pour mise en cause abusive, et de le débouter de ses demandes, alors :
« 1°/ que le juge est tenu de juger et de vider le litige qui lui est soumis ; que lorsque les documents sur lesquels se fondent les parties sont rédigés en langue étrangère, et qu'ils sont indispensables à la solution du litige, le juge qui estime nécessaire d'en avoir la traduction doit, sous peine de déni de justice, obtenir cette traduction au besoin en imposant aux parties de la produire ; qu'en écartant les pièces d'appel de M. [P] numérotées 4, 6, 7, 11, 18 à 21, 23, 27, 29 et 30, dont le sens n'était pas contesté, au prétexte qu'elles étaient rédigées en langue étrangère et qu'aucune traduction en langue française n'était versée aux débats, sans exiger des parties la production d'une traduction, la cour d'appel a, en méconnaissance de l'étendue de son office, commis un déni de justice, et partant, a violé l'article 4 du code civil et les articles 3 et 12 du code de procédure civile ;
2°/ qu'il ne peut être porté aucune entrave disproportionnée au droit d'accès au juge ; qu'en écartant les pièces d'appel de M. [P] numérotées 4, 6, 7, 11, 18 à 21, 2 3, 27, 29 et 30, dont le sens n'était pas contesté, au prétexte qu'elles étaient rédigées en langue étrangère, la cour d'appel a apporté au droit à l'accès au juge de M. [P] un obstacle disproportionné, et a violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que lorsqu'aucune des parties n'a opposé à la production de pièces rédigées en langue étrangère l'impossibilité de les comprendre ni invoqué qu'elles soient écartées des débats faute de traduction, les juges ne peuvent, sans dénaturer les termes du litige, les écarter ; qu'en l'espèce, pour établir l'existence d'un contrat de travail avec la société Telelangue, M. [P] avait versé aux débats plusieurs documents déterminants correspondant à ses pièces d'appel n° 6, 7, 11, 18 à 21, 23, 27, 29 et 30 ; que la société Telelangue n'avait, à aucun moment, prétendu ne pas comprendre ces pièces ni sollicité qu'elles soient écartées des débats faute de traduction en langue française ; qu'en écartant ces pièces écrites en langue étrangère au prétexte qu'aucune traduction en langue française n'était versée aux débats, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et partant a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
4°/ que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, pour établir l'existence d'un contrat de travail avec la société Telelangue, M. [P] avait versé aux débats plusieurs documents déterminants, correspondant à ses pièces d'appel n° 6, 7, 11, 18 à 21, 23, 27, 29 et 30 ; que la société Telelangue n'avait, à aucun moment, prétendu ne pas comprendre ces pièces ni sollicité qu'elles soient écartées des débats faute de traduction en langue française ; qu'en écartant d'office des débats les documents rédigés en langue anglaise et non traduits au prétexte qu'ils étaient rédigés en langue étrangère et qu'aucune traduction en langue française n'était versée aux débats, sans provoquer les explications préalables des parties, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
5°/ que l'intégration au sein d'un service organisé, lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail, constitue un indice de l'existence d'un lien de subordination ; qu'en l'espèce, M. [P] faisait valoir qu'il était intégré à un service organisé de travail au sein de la société Telelangue, pour disposer d'une adresse mail portant l'extension de la société Telelangue, [Courriel 6] ; qu'il versait à ce titre aux débats des échanges de mails mentionnant son adresse électronique ; qu'en retenant, pour les écarter des débats, que ces mails étaient rédigés en langue anglaise et n'étaient pas traduits, quand cette circonstance était indifférente à la compréhension de l'adresse mail portant l'extension de la société Telelangue, [Courriel 6], la cour d'appel a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du contrat de travail ;
6°/ que l'existence d'un contrat de travail est caractérisée par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, en contrepartie d'une rémunération ; qu'en l'espèce, M. [P] faisait valoir, et la société Telelangue reconnaissait, que M. [P] exerçait sa prestation de service au profit de la société Telelangue, que les factures adressées par M. [P] transitaient via le portail Telelangue, plateforme hébergée par la société Telelangue, qu'il utilisait la plateforme Telelangue pour établir son planning, que la société Telelangue l'avait sollicité pour procéder à des modifications de son planning, qu'elle lui avait adressé un courriel attirant son attention sur les plaintes d'une étudiante quant à la qualité de sa prestation, qu'elle lui avait demandé de mettre en place et de respecter les procédures applicables ; que la cour d'appel a, quant à elle, constaté que des salariés de l'association Leavi témoignaient avoir mis en relation M. [P] et la société Telelangue, qu'une salariée de la société Telelangue, Mme [N], avait adressé en 2005 par courriel à M. [P] un contrat de prestation de service, que les factures adressées par M. [P] transitaient via le portail Telelangue, que des virements effectués au profit de M. [P] mentionnaient une domiciliation de la société World Wide Speaking Limited en France et désignaient en qualité de donneur d'ordre la directrice de la société Telelangue, Mme [Y], que par courriel du 29 juin 2007, adressé depuis une adresse mail portant l'extension de la société Telelangue, il lui était indiqué que Mme [Y] acceptait d'augmenter son taux horaire, qu'un avertissement lui avait été adressé le 26 juillet 2018 par Mme [L], directrice générale de la société Telelangue en raison de nombreuses annulations de cours, de retards dans les cours et d'un manque de dynamisme et a retenu que la société Telelangue avait participé à la gestion de la rémunération de M. [P] et qu'elle lui avait adressé un avertissement en raison d'une mauvaise exécution de ses prestations ; qu'en écartant pourtant l'existence d'un contrat de travail, quand les faits constants et ceux constatés par la cour d'appel étaient de nature à l'établir, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 et L. 8221-6 II, dans sa version issue de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015, du code du travail ;
7°/ que tenus de motiver leur décision, les juges ne peuvent statuer par voie de simples affirmations, sans indiquer l'origine de leurs constatations ; qu'en affirmant péremptoirement que le portail Telelangue par lequel les factures adressées par M. [P] transitaient, était commun au groupe, sans indiquer les éléments lui permettant de procéder à une telle constatation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. En premier lieu, c'est sans méconnaître l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que la cour d'appel a, dans l'exercice de son pouvoir souverain et hors toute dénaturation, écarté comme élément de preuve les pièces rédigées en langue étrangère, sans qu'il soit nécessaire de rouvrir les débats ou d'inviter les parties à produire une traduction.
7. En second lieu, sous le couvert d'un grief non fondé de défaut de motifs, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion l'appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de fait et de preuve qui leur étaient soumis dont ils ont retenu qu'il n'était pas établi que la société Telelangue avait disposé du pouvoir de donner des ordres et des directives à M. [P], d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de celui-ci, et dont ils ont pu déduire l'absence de lien de subordination entre les parties, de sorte que le contrat de prestations de services ne pouvait être requalifié en contrat de travail.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [P] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize octobre deux mille vingt-quatre.