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09/10/2024 | FRANCE | N°C2401208

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 09 octobre 2024, C2401208


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° Z 24-80.871 F-B


N° 01208




ODVS
9 OCTOBRE 2024




CASSATION PARTIELLE




M. BONNAL président,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 OCTOBRE 2024





> M. [R] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 31 janvier 2024, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de viol, a prononcé sur sa demande d'annu...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° Z 24-80.871 F-B

N° 01208

ODVS
9 OCTOBRE 2024

CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 OCTOBRE 2024

M. [R] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 31 janvier 2024, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de viol, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 29 avril 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [R] [L], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 septembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Mallard, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 31 décembre 2022, Mme [W] [J] a déclaré avoir été violée, dans la nuit du 29 au 30 décembre, dans un hôtel de [Localité 1], par un homme avec qui elle était entrée en contact sur un site de rencontres en ligne.

3. Le même jour, les fonctionnaires de police ont procédé à un transport sur le lieu des faits, à l'issue duquel ils ont placé sous scellés des mouchoirs et linges supportant des taches évoquant du sang.

4. Le 2 janvier 2023, les gendarmes ont obtenu, par réquisitions, les enregistrements de vidéosurveillance détenus par la ville et l'hôtel, ainsi que les documents utilisés pour la réservation de la chambre.

5. Puis, à partir de photographies remises par la victime, ils ont utilisé le module de reconnaissance faciale du traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) pour identifier son agresseur comme étant M. [R] [L].

6. Ce dernier a été interpellé le 28 mars 2023, et mis en examen le 30 mars suivant.

7. Il a sollicité l'annulation de pièces de la procédure.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation des actes relatifs à la mise en oeuvre du module de reconnaissance faciale aux fins de comparaison avec le fichier de traitement des antécédents judiciaires, alors :

« 1°/ d'une part que par mémoire distinct et motivé, l'exposant sollicite le renvoi au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 15-5 et 230-10 du Code de procédure pénale en ce qu'ils ne prévoient pas que les outils de reconnaissance faciale ne peuvent être utilisés que sur autorisation personnelle et spécifique d'un magistrat de l'ordre judiciaire ; que l'abrogation de ces dispositions qui s'ensuivra privera de base légale l'arrêt attaqué, qui a rejeté la demande d'annulation des actes relatifs à la mise en oeuvre du module de reconnaissance faciale aux fins de comparaison avec le fichier de Traitement des Antécédents Judiciaires en considérant qu' « aucune disposition ne soumet la mise en oeuvre du module de reconnaissance faciale du traitement d'antécédents judiciaires à une autorisation d'un magistrat de l'ordre judiciaire » ;

2°/ d'autre part qu'un outil de reconnaissance faciale aux fins de comparaison avec le fichier de Traitement des Antécédents Judiciaires ne peut être mis en oeuvre que sur autorisation d'un magistrat indépendant ; qu'au cas d'espèce, il ressortait des pièces de la procédure qu'un tel outil avait été mis en oeuvre sans autorisation d'un magistrat ; qu'en retenant, pour rejeter le moyen de nullité pris de cette absence, qu' « aucune disposition ne soumet la mise en oeuvre du module de reconnaissance faciale du TAJ à une autorisation d'un magistrat de l'ordre judiciaire », motifs inopérants et impropres à établir la légalité et la conventionnalité du dispositif consistant pour les enquêteurs à faire usage d'un outil de reconnaissance faciale pour procéder à l'exploitation des données du TAJ, lequel n'est pas encadré par la loi et n'est soumis à aucune condition de fond ou de forme, la Chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 230-6, R. 40-26, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

10. Par arrêt distinct du 26 juin 2024, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il en résulte que le grief est devenu sans objet.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

11. Pour écarter le moyen de nullité, l'arrêt attaqué énonce qu'un officier de police judiciaire spécialement habilité a effectué des recherches dans le TAJ au moyen de la reconnaissance faciale, ce qui a permis d'identifier la personne mise en cause comme pouvant être M. [L].

12. Les juges ajoutent qu'aucune disposition ne soumet la mise en oeuvre du module de reconnaissance faciale du TAJ à une autorisation d'un magistrat de l'ordre judiciaire, et que le Conseil d'Etat a par ailleurs validé le recours à l'outil de reconnaissance faciale.

13. Ils en concluent que le recours à la technique de reconnaissance faciale n'est pas dépourvu de base légale, et qu'il n'est pas soumis à l'autorisation préalable d'un magistrat.

14. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.

15. En premier lieu, l'ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée que constitue le recours à la reconnaissance faciale est prévue par la loi, au sens de la Convention précitée, en ce que celle-ci autorise la mise en oeuvre de traitements automatisés de données à caractère personnel aux fins de rassemblement des preuves des infractions les plus graves, et de recherche de leurs auteurs, et précise, par renvoi aux dispositions réglementaires, quelles données peuvent être collectées, parmi lesquelles les photographies des personnes condamnées ou mises en cause, et la façon dont elles peuvent être traitées, en particulier par le recours à la technique de reconnaissance faciale, ainsi que cela résulte des articles 230-6, 230-7 et R. 40-26 du code de procédure pénale.

16. En second lieu, cette ingérence est justifiée par la poursuite des auteurs des infractions, et proportionnée au but recherché, dès lors que, tant l'alimentation du fichier contenant les données photographiques que son exploitation par l'utilisation de la technique de reconnaissance faciale sont limitées aux cas des infractions les plus graves.

17. S'agissant de l'alimentation du fichier, l'article 230-8 du même code prévoit en outre que les données personnelles des personnes poursuivies mais non condamnées, et des personnes condamnées à des infractions mineures, ne doivent pas être inscrites dans ledit fichier, ces personnes pouvant, dans le cas contraire, bénéficier de l'effacement de ces données, sous le contrôle du procureur de la République, ainsi que d'un juge spécialement désigné à cette fin, dont les décisions sont toutes susceptibles de recours. La durée de conservation de ces données est par ailleurs limitée par l'article R. 40-27 de ce code en fonction de la gravité de l'infraction ayant justifié leur inscription.

18. L'exploitation des données du fichier n'est possible que par des agents spécialement habilités. La Cour de cassation contrôle la justification d'une telle habilitation (Crim., 25 octobre 2022, pourvoi n° 22-81.466, publié au Bulletin). Il en résulte que les modalités de consultation de ce fichier, contrôlées a posteriori par le juge judiciaire, par la voie de la requête en nullité, sont suffisamment encadrées, au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 22 juin 2017, Aycaguer c. France, n° 8806/12, § 39 ; CEDH, arrêt du 18 avril 2013, M. K. c. France, n° 19522/09, § 37).

19. Ainsi, les textes critiqués permettent une atteinte au droit au respect de la vie privée des personnes concernées, qui est justifiée au regard du but légitime poursuivi de recherche et d'identification des auteurs des infractions les plus graves.

20. Ainsi, le moyen ne peut qu'être écarté.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation des pièces relatives à la perquisition de la chambre d'hôtel, alors « qu'a intérêt et qualité à contester la régularité d'une perquisition toute personne qui invoque la violation d'une règle ayant pour objet de garantir le caractère contradictoire du déroulement des opérations de perquisition, l'authenticité des modes de preuve et la présence effective sur les lieux des objets découverts et saisis ; qu'au cas d'espèce, la défense faisait valoir que la perquisition de la chambre d'hôtel réservée par la plaignante avait été effectuée en l'absence de celle-ci, de tout représentant ou encore du moindre témoin susceptible d'authentifier les éléments de preuve prétendument découverts ; qu'était ainsi contestée la réalité des découvertes effectuées, ce qui conférait à Monsieur [L] intérêt et qualité à agir ; qu'en affirmant à l'inverse que Monsieur [L], faute de justifier d'un droit sur le local en cause, ne pouvait agir en annulation contre cette mesure, fût-ce en invoquant une irrégularité touchant à l'authenticité de la recherche de la preuve, la Chambre de l'instruction a violé les articles 171, 802, 57, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 57 du code de procédure pénale :

22. Il résulte de ce texte que les opérations de perquisition sont faites en présence de la personne au domicile de laquelle celle-ci a lieu, et qu'en cas d'impossibilité, l'officier de police judiciaire doit l'inviter à désigner un représentant de son choix ou, à défaut, choisir deux témoins requis à cet effet par lui, en dehors des personnes relevant de son autorité administrative. Le procès-verbal de ces opérations est signé par les personnes visées au présent article ; toute partie a qualité pour invoquer la méconnaissance de cette formalité, qui a pour objet d'authentifier la présence effective sur les lieux des objets découverts et saisis au cours de la perquisition.

23. Pour écarter le moyen tendant à l'annulation de la perquisition, l'arrêt attaqué énonce que la chambre dans laquelle les constatations ont été effectuées avait été réservée et payée pour les 29 et 30 décembre 2022 par la partie civile.

24. Les juges en déduisent que le demandeur n'a jamais disposé d'aucun droit sur le local en cause, de sorte qu'il n'a pas qualité à se prévaloir de la violation des dispositions de l'article 57 du code de procédure pénale qui aurait été commise à l'occasion de la perquisition diligentée dans ladite chambre.

25. En se déterminant ainsi, alors que toute partie a qualité pour invoquer la méconnaissance de cette formalité, qui a pour objet d'authentifier la présence effective sur les lieux des objets découverts et saisis au cours de la perquisition, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

26. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

27. La cassation sera limitée à la décision de rejet du moyen tendant à l'annulation de la perquisition. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 31 janvier 2024, mais en sa seule disposition ayant rejeté le moyen tiré de la nullité de la perquisition de la chambre d'hôtel, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2401208
Date de la décision : 09/10/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Analyses

FICHIERS ET LIBERTES PUBLIQUES - Fichiers ou traitements informatiques - Fichier de traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) - Consultation - Agents habilités - Recours à la technique de reconnaissance faciale - Défaut d'autorisation préalable d'un magistrat - Validité - Détermination - Portée

Les articles 230-6 et suivants et R. 40-26 et suivants du code de procédure pénale, qui permettent à des enquêteurs de recourir à la technique de reconnaissance faciale sans autorisation préalable d'un magistrat sont conformes à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme. En effet, l'ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée résultant du recours à cette technique est justifiée par l'objectif légitime de poursuite des auteurs d'infractions, et proportionnée au but recherché, dès lors que, d'une part, seules les données personnelles des personnes déclarées coupables des infractions les plus graves peuvent être contenues dans le fichier dont dépend l'outil utilisé pour la reconnaissance faciale, d'autre part, le juge, saisi par voie de requête en nullité, peut vérifier que seuls des agents spécialement habilités à cette fin ont accédé à ce fichier


Références :

Article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

articles préliminaire, 230-6, 591, 593 et R. 40-26 du code de procédure pénale.
Publié au bulletin

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, 31 janvier 2024

A rapprocher :Crim., 25 octobre 2022, pourvoi n° 22-81466, Bull. crim. (cassation partielle)

arrêt citéCf. :CEDH, arrêt du 22 juin 2017, Aycaguer c. France, n° 8806/12 ;CEDH, arrêt du 18 avril 2013, M. K. c. France, n° 19522/09.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 09 oct. 2024, pourvoi n°C2401208


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer

Origine de la décision
Date de l'import : 31/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2401208
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