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08/10/2024 | FRANCE | N°C2401189

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 08 octobre 2024, C2401189


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° R 23-85.620 F-B


N° 01189




GM
8 OCTOBRE 2024




CASSATION PARTIELLE




M. BONNAL président,












R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 OCTOBRE 2024




MM. [S] [X] et [E] [Y]

ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 6 septembre 2023, qui, pour harcèlement moral, les a condamnés chacun à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, cinq a...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° R 23-85.620 F-B

N° 01189

GM
8 OCTOBRE 2024

CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 OCTOBRE 2024

MM. [S] [X] et [E] [Y] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 6 septembre 2023, qui, pour harcèlement moral, les a condamnés chacun à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, cinq ans d'interdiction d'exercer une fonction publique, a ordonné une mesure de publication, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [S] [X] et de M. [E] [Y], les observations de la SCP Boucard-Maman, avocat des consorts [Z] et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 septembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 27 août 2014, [N] [Z] a mis fin à ses jours, laissant un écrit dans lequel il imputait son geste à de fausses accusations dans le cadre professionnel, alors qu'il exerçait les fonctions de chef de pôle et de directeur général-adjoint d'un centre de gestion de la fonction publique territoriale présidé par M. [S] [X], et dont M. [E] [Y] était le directeur général.

3. Mme [T] [P], veuve [Z], a déposé plainte le 9 octobre 2014 pour homicide involontaire, harcèlement moral et dénonciation calomnieuse. Sa plainte ayant été classée sans suite, elle a porté plainte et s'est constituée partie civile en son nom et en qualité de représentante légale de son fils, le 8 août 2016, du chef de harcèlement moral à l'encontre de MM. [X] et [Y]. D'autres membres de la famille de [N] [Z] se sont également constitués partie civile.

4. Une information a été ouverte le 10 février 2017.

5. Par ordonnance du 11 juin 2020, MM. [X] et [Y] ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel du chef de harcèlement moral.

6. Par jugement du 2 février 2022, le tribunal correctionnel a relaxé les prévenus et débouté les parties civiles de leurs demandes indemnitaires.

7. Les parties civiles et le ministère public ont interjeté appel.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens proposés pour M. [X] et les premier et deuxième moyens proposés pour M. [Y]

8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le troisième moyen proposé pour M. [X]

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a notamment, condamné M. [X] à la peine complémentaire d'interdiction d'exercer une fonction publique pendant une durée de cinq ans, alors :

« 1°/ que la peine complémentaire d'exercer une fonction publique ne peut s'appliquer qu'à la fonction publique dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise ; que la circonstance que M. [X], déclaré coupable du chef de harcèlement moral à l'occasion de l'exercice de la fonction de président du centre de gestion de la fonction publique territoriale du Morbihan, exerçait « parallèlement » « des fonctions d'élu » est insusceptible de justifier légalement le prononcé de cette peine complémentaire ; que la cour d'appel a violé les articles 111-3 et 222-44 du code pénal ;

2°/ que selon l'article 131-27, dernier alinéa, du code pénal, l'interdiction d'exercer une fonction publique ou d'exercer une activité professionnelle ou sociale n'est pas applicable à l'exercice d'un mandat électif ; que l'exercice de la fonction de président d'un centre départemental de gestion de la fonction publique territoriale est un mandat électif en application de l'article 21 du décret n° 85-643 du 26 juin 1985 ; que la cour d'appel a violé les articles 111-3 et 131-27 du code pénal. »

Réponse de la Cour

10. Pour condamner M. [X] à l'interdiction d'exercer une fonction publique pendant une durée de cinq ans, l'arrêt attaqué, après l'avoir déclaré coupable du chef de harcèlement moral, énonce que cette peine se justifie dans la mesure où les faits ont été commis au sein d'un service d'une collectivité publique territoriale, alors que le prévenu exerçait des fonctions d'élu parallèlement à la présidence du centre de gestion.

11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a fait une exacte application des dispositions des articles 222-44, I, 1°, et 131-27 du code pénal.

12. En effet, d'une part, la peine d'interdiction d'exercer une fonction publique n'est pas cantonnée à la fonction publique dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise.

13. D'autre part, la seconde branche du moyen est inopérante dès lors que l'interdiction d'exercer une fonction publique doit recevoir application dans les termes de l'article 131-27 précité, qui prévoit qu'une telle interdiction n'est pas applicable à l'exercice d'un mandat électif.

14. Le moyen ne peut qu'être écarté.

Mais sur le quatrième moyen proposé pour M. [X] et le troisième moyen proposé pour M. [Y]

15. Le quatrième moyen proposé pour M. [X] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré entièrement responsable des préjudices subis par les parties civiles et d'avoir renvoyé l'affaire sur les intérêts civils à une audience ultérieure de la cour d'appel, alors « que la faute personnelle détachable du service suppose une faute d'une particulière gravité et la poursuite d'un intérêt purement personnel, de nature à caractériser un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique ; la commission d'une infraction de harcèlement moral n'est pas nécessairement constitutive d'une faute détachable du service ; en déduisant la faute détachable du service en l'espèce du seul constat que les éléments constitutifs de ce délit intentionnel étaient réunis (agissements perpétrés sciemment, allant au-delà du pouvoir de direction et de contrôle, et pénalement qualifiés), sans tenir compte de l'obligation de sécurité pesant sur le prévenu à l'égard des membres du service subordonnés de M. [Z], sans constater la poursuite d'un but purement personnel ni caractériser le manquement tout à la fois volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III et de l'article 3 du code de procédure pénale. »

16. Le troisième moyen proposé pour M. [Y] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré entièrement responsable des préjudices subis par les parties civiles et d'avoir renvoyé l'affaire sur les intérêts civils à une audience ultérieure de la cour d'appel, alors « que la faute personnelle détachable du service suppose une faute d'une particulière gravité et la poursuite d'un intérêt purement personnel, de nature à caractériser un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique; la commission d'une infraction de harcèlement moral n'est pas nécessairement constitutive d'une faute détachable du service ; en déduisant la faute détachable du service en l'espèce du seul constat que les éléments constitutifs de ce délit intentionnel étaient réunis (agissements perpétrés sciemment, allant au-delà du pouvoir de direction et de contrôle, et pénalement qualifiés), sans tenir compte de l'obligation de sécurité pesant sur le prévenu à l'égard des membres du service subordonnés de M. [Z], sans constater la poursuite d'un but purement personnel ni caractériser le manquement tout à la fois volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III et de l'article 3 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

17. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

18. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

19. Pour prononcer sur l'action civile, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les
termes des articles 2 et 515 du code de procédure pénale, énonce qu'il est incontestable que les parties civiles ont personnellement subi un préjudice directement causé par les faits de harcèlement moral au préjudice de [N] [Z] dans la mesure où celui-ci était l'époux, le père, le frère, le fils et le neveu de ces dernières.

20. Les juges ajoutent que les agissements de MM. [Y] et [X], qualifiés pénalement, qui ont été perpétrés sciemment et qui allaient bien au-delà de leur pouvoir de direction et de contrôle, sont détachables du service public et relèvent en conséquence de la juridiction judiciaire.

21. En se déterminant ainsi, sans mieux caractériser en quoi les agissements commis par les prévenus constituaient des manquements volontaires et inexcusables à des obligations d'ordre professionnel et déontologique et présentaient ainsi le caractère d'une faute personnelle détachable du service, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

22. La cassation est encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

23. La cassation sera limitée aux intérêts civils, dès lors que ni la déclaration de culpabilité des prévenus ni les peines prononcées à leur encontre n'encourent la censure.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 6 septembre 2023, mais en ses seules dispositions relatives à l'action civile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du huit octobre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2401189
Date de la décision : 08/10/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Analyses

PEINES - Peines complémentaires - Interdictions, déchéances ou incapacités professionnelles - Interdiction d'exercer une fonction publique ou une activité professionnelle ou sociale - Domaine d'application - Fonction publique dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise - Portée

SEPARATION DES POUVOIRS - Agent d'un service public - Délit commis dans l'exercice des fonctions - Faute personnelle détachable - Caractérisation - Action civile - Compétence judiciaire - Détermination - Portée

La peine complémentaire d'interdiction d'exercer une fonction publique prévue à l'article 222-44, I, 1°, du code pénal n'est pas cantonnée à la fonction publique dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise. Il résulte de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III que les tribunaux répressifs de l'ordre judiciaire ne sont compétents pour statuer sur les conséquences dommageables d'un acte délictueux commis par l'agent d'un service public que si cet acte constitue une faute personnelle détachable de ses fonctions. Encourt la cassation l'arrêt qui, pour reconnaître la compétence du juge judiciaire pour prononcer sur l'action civile à l'encontre d'un prévenu déclaré coupable du chef de harcèlement moral, se borne à énoncer que ses agissements, perpétrés sciemment, allaient bien au delà de son pouvoir de direction et de contrôle, sans mieux caractériser en quoi de tels agissements constituaient des manquements volontaires et inexcusables à des obligations d'ordre professionnel et déontologique et présentaient ainsi le caractère d'une faute personnelle détachable du service


Références :

Article 222-44, I, 1°, du code pénal

Loi des 16-24 août 1790

Décret du 16 fructidor an III.
Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 06 septembre 2023

Sur la nécessaire recherche par les juges du fond d'une faute détachable des fonctions du délit commis dans l'exercice de ses fonctions par un agent d'un service public : Crim., 20 juin 2006, pourvoi n° 05-87415, Bull. crim. 2006, n° 189 (cassation), et les arrêts cités.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 08 oct. 2024, pourvoi n°C2401189


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Boucard-Maman

Origine de la décision
Date de l'import : 10/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2401189
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