LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 octobre 2024
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 529 F-D
Pourvoi n° U 23-11.448
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 OCTOBRE 2024
Mme [G] [T], épouse [M], domiciliée [Adresse 5], a formé le pourvoi n° U 23-11.448 contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Sam, société civile, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société 51 Chabrol, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société Groupe Arcange, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société 51 Chabrol, société à responsabilité limitée, par application de la transmission universelle de patrimoine,
4°/ à la société Chabrol, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
5°/ à la société SC Financière sept, société civile, dont le siège est [Adresse 4], venant aux droits de la société Chabrol, société par actions simplifiée, par application de la transmission universelle de patrimoines,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de Mme [T], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Sam, après débats en l'audience publique du 3 septembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à Mme [T] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés 51 Chabrol, Groupe Arcange, venant aux droits de la société 51 Chabrol, Chabrol et SC Financière sept, venant aux droits de la société Chabrol.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 octobre 2022), Mme [T] a entrepris, sur un fonds lui appartenant, la construction d'un bâtiment adossé au mur pignon d'un l'immeuble appartenant à la société civile immobilière Sam (la SCI).
3. Se plaignant de l'obturation en résultant de deux ouvertures existantes dans ce mur pignon, la SCI a assigné Mme [T] aux fins d'indemnisation de son préjudice.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Mme [T] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement et de la condamner à verser à la SCI une certaine somme à titre d'indemnité, outre frais irrépétibles et dépens, alors :
« 1°/ que la suppression d'un jour de souffrance, qui ne conduit qu'à mettre fin à une simple tolérance, ne peut pas constituer un trouble anormal de voisinage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que l'obstruction de deux jours de souffrance dans l'immeuble de la SCI par la construction légalement édifiée par l'exposante d'un immeuble sur son fonds constituait un trouble anormal de voisinage, dont elle devait réparation à raison de la perte de lumière qui en avait résulté, sans que l'environnement très urbanisé de la construction litigieuse ne puisse rendre acceptable cette perte de luminosité ; qu'en statuant ainsi, quand la SCI ne pouvait prétendre à aucun maintien de ces jours de souffrance dont elle ne bénéficiait que par une simple tolérance et quand l'exposante n'avait commis aucun abus en y mettant fin dans l'exercice des prérogatives légitimes de son droit de propriété dans un contexte urbain, de sorte que le dommage éventuellement causé à la SCI constituait un dommage normal de voisinage insusceptible de réparation, la cour d'appel a violé le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ;
2°/ que le caractère anormal d'un trouble de voisinage s'apprécie in concreto au regard de l'environnement dans lequel il se produit ; qu'en l'espèce, pour retenir que la SCI aurait été victime d'un trouble anormal de voisinage du fait de la suppression de deux jours de souffrance, la cour d'appel a jugé que « le fait que le présent litige s'inscrive dans le cadre d'un environnement très urbanisé impliquant nécessairement la possibilité de devoir subir des pertes d'ensoleillement en raison de la construction de nouveaux bâtiments n'a pas pour effet de rendre acceptable la perte significative de luminosité des locaux telles que caractérisée au cas d'espèce » ; qu'en statuant ainsi, quand la suppression de jours à raison d'une construction voisine accolée au mur du bâtiment où ils se trouvent constitue un trouble normal en zone urbanisée, au moins en l'absence de circonstances particulières qui n'ont pas été caractérisées en l'espèce, la cour d'appel a violé le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ;
3°/ que le caractère anormal d'un trouble de voisinage s'apprécie in concreto au regard de l'environnement dans lequel il se produit ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé qu'une perte d'ensoleillement et de luminosité du local situé au premier étage de l'immeuble de la SCI avait résulté de l'obstruction des deux jours de souffrance litigieux, ce que démontraient les pièces produites par cette dernière, à savoir les attestations de MM. [K] et [B], le constat d'huissier du 21 novembre 2012 et l'étude réalisée le 9 septembre 2015 du cabinet Sommer environnement, et a justifié l'appréciation de la perte de valeur locative du bien ainsi subie par les allégations de l'agence immobilière Habitat & patrimoine, toutes pièces dont l'exposante contestait très sérieusement la valeur ; qu'en statuant ainsi, sans constater que les auteurs de ces différentes pièces s'étaient rendus dans les lieux avant et après les travaux ayant conduit à la disparition des jours litigieux et sans évoquer aucun élément objectif précis de mesure de la différence de luminosité avant et après les travaux, ce qui était indispensable pour établir la réalité et l'ampleur d'un éventuel préjudice et était tout à fait réalisable au moyen d'outils informatiques comme le montrait l'exposante dans ses écritures, la cour d'appel, qui n'a caractérisé ni la réalité, ni l'ampleur du prétendu préjudice de la SCI, a privé sa décision de toute base légale au regard du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, ensemble l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable (devenu C. civ., art. 1240) ;
4°/ que les juges du fond doivent répondre aux conclusions opérantes des parties ; qu'en l'espèce, en allouant une indemnité à la SCI en réparation de son prétendu préjudice au titre de la perte de valeur vénale et locative de son immeuble, sans répondre aux conclusions de l'exposante faisant valoir qu'aucun préjudice n'était résulté de la suppression des jours, dans la mesure où il résultait des pièces de la SCI que le local litigieux était toujours utilisé après les travaux dans les mêmes conditions qu'auparavant à titre de bureau et étaient même mieux rentabilisés et que le loyer du bail du local litigieux avait augmenté de 26 % après la suppression des deux jours, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. En premier lieu, la cour d'appel a énoncé, à bon droit, que si les jours de souffrance n'entraînent pas, en eux-mêmes, de restriction au droit de propriété du voisin, ce principe ne fait pas obstacle à la possibilité d'obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de leur obstruction, même non fautive, dès lors que celui qui s'en prévaut démontre que celle-ci a eu des conséquences excédant les inconvénients normaux du voisinage.
6. Elle a constaté que l'un des murs de l'immeuble construit par Mme [T] était accolé au mur pignon du bâtiment appartenant à la SCI, ce qui avait pour effet de murer totalement les deux jours perçant ce pignon, empêchant tout passage de lumière et toute possibilité d'aération des locaux à usage professionnel loués par celle-ci.
7. Elle a relevé que différents constat d'huissier de justice, courrier et rapports, dont les auteurs s'étaient rendus sur place, établissaient, certains sur la base de mesures techniques, qu'une partie significative des locaux de la SCI était, du fait de cette obturation, privée d'une lumière naturelle suffisante, que la présence des trois fenêtres restantes ne suffisait pas à compenser.
8. Elle en a souverainement déduit qu'en dépit de l'environnement très urbanisé des immeubles, impliquant la possibilité de subir des pertes d'ensoleillement en raison de la construction de nouveaux bâtiments, l'obturation des jours de souffrance occasionnait à la SCI un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage.
9. En second lieu, elle a retenu, répondant en les écartant aux conclusions prétendument délaissées, que les évaluations produites établissaient l'existence d'une diminution de la valeur vénale de l'immeuble appartenant à la SCI du fait de cette perte de luminosité, qu'elle a indemnisée à hauteur de la somme dont elle a souverainement apprécié le montant.
10. Elle a, dès lors, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois octobre deux mille vingt-quatre.