LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
MB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 octobre 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 534 F-D
Pourvoi n° T 21-23.928
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 OCTOBRE 2024
La société BR et associés, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 5], prise en la personne de M. [X] [S], agissant en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Européenne d'études et de conseils financiers (Eurocef),a formé le pourvoi n° T 21-23.928 contre l'arrêt rendu le 3 août 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Champagne-Bourgogne, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Novaparc, dont le siège est [Adresse 4], prise en la personne de M. [W] [V], liquidateur amiable,
3°/ à la société Icauna, dont le siège est [Adresse 1],
4°/ à la société Crédit agricole, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
5°/ à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Martinique-Guyane (CRCAM M-G), dont le siège est [Adresse 9],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, huit moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société BR et associés, ès qualités, de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Champagne-Bourgogne, des sociétés Novaparc, Icauna et Crédit agricole, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 août 2021), rendu sur renvoi après cassation (Com., 22 mars 2017, pourvoi n° 15-24.934), par des actes du 23 novembre 1989, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de l'Yonne (la société CRCAMY), devenue la caisse régionale de Crédit agricole Champagne-Bourgogne, a confié à la société Eurocef la mission de lui présenter des opérations de promotion immobilière et l'a mandatée pour proposer des crédits, pour son compte, aux particuliers et aux entreprises susceptibles d'investir dans ces opérations.
2. Par un acte du 25 novembre 1989, les actionnaires de la société Eurocef et la société CRCAMY ont convenu que la société Icauna, filiale de la seconde, entrerait à hauteur d'environ un tiers au capital de la première.
3. Les engagements de partenariat du 23 novembre 1989 ont été renouvelés le 10 novembre 1992, la société CRCAMY consentant alors à la société Eurocef une ouverture de crédit en compte courant d'un montant de 5 millions de francs et une ligne de mobilisation de créances professionnelles dans la limite de 4 millions de francs.
4. Les parties ont conclu plusieurs accords pour organiser leur coopération dans différentes opérations immobilières, parmi lesquelles une opération portant sur la création de logements à [Localité 6], pour laquelle la société CRCAMY s'est associée avec la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Martinique et de la Guyane (la société CRCAMMG) au sein de la société Novaparc.
5. A la suite de la dégradation de la situation financière de la société CRCAMY, courant 1993, la société Caisse nationale de crédit agricole (la société CNCA), devenue la société Crédit agricole SA, a nommé une commission chargée de sa gestion provisoire aux lieu et place de son conseil d'administration.
6. Le 17 juin 1994, soutenant que les sociétés CRCAMY, Icauna, Novaparc et CRCAMMG, sur l'instigation de la société CNCA, avaient méconnu leurs engagements résultant des accords précités et entravé les opérations en cours, la société Eurocef a assigné ces sociétés en responsabilité et paiement de dommages-intérêts.
7. La société Eurocef a ensuite été mise en redressement, puis en liquidation judiciaires, les 20 juillet 1994 et 21 octobre 1996,la société BR et associés étant désignée en dernier lieu en qualité de liquidateur et ayant repris l'instance.
Examen des moyens
Sur les troisième, cinquième, sixième, septième et huitième moyens
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. La société BR et associés, ès qualités, fait grief à l'arrêt de rejeter toutes ses demandes, alors « qu'il appartient au juge, sous peine de priver de toute effectivité le droit au débat oral qui est celui des parties, de délibérer sa décision dans un délai raisonnable après l'audience de plaidoiries ; qu'en rendant sa décision le 3 août 2021, plus de dix-sept mois après l'audience de plaidoiries, la cour d'appel a violé les articles 14, 16 et 19 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
10. Le délai écoulé entre l'audience de plaidoiries et le prononcé de la décision n'est pas de nature à priver d'effet l'exercice par les parties de leur droit à un débat oral.
11. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
12. La société BR et associés, ès qualités, fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes dirigées à l'encontre de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Champagne-Bourgogne, venue aux droits de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de l'Yonne, alors :
« 1°/ qu'engage sa responsabilité le banquier qui, sans respecter de délai de préavis, réduit les concours qu'il s'était engagés à apporter à une entreprise ; que, pour écarter tout responsabilité du Crédit agricole, la cour d'appel, après avoir constaté qu'il avait été accordé en octobre 1992 une ouverture de crédit à hauteur de 5 millions de francs et une ouverture de crédit d'escompte (Dailly) à hauteur de 4 millions de francs, après avoir encore constaté qu'au 10 janvier 1994, ces crédits étaient utilisés à hauteur de 4 370 700 francs au titre du crédit en compte courant et 0 franc au titre du contrat OCDT Dailly, toujours à 0 franc en mai 1994, retient que ce financement en crédit Dailly a été, en octobre 1993, limité à 80 % du montant des factures, ne bénéficiant pas aux « créances sur des risques liés à la société Eurocef », que par lettre recommandée du 19 mai 1994, la banque a mis en demeure la société Eurocef de ramener sous dix jours son découvert en compte courant au montant autorisé, que cette lettre succédait plusieurs alertes sur le dépassement du découvert autorisé depuis le mois de mars 1994, valant préavis, sans que la société Eurocef puisse faire valoir que la mobilisation de crédit Dailly était toujours à zéro ; qu'elle ajoute qu'en tout état de cause, la situation de la société Eurocef pouvait être regardé comme irrémédiablement compromise à fin avril 1994 ; qu'en statuant par ces motifs sans rechercher si la banque n'avait pas fautivement, dès le 28 octobre 1993, sans préavis, décidé de réduire les concours accordés au titre de l'escompte à 80 % des créances présentées et d'en exclure les « risques sur des créances liées à la SA Eurocef », ce qui revenait de facto à refuser la quasi-totalité des créances détenues par la société Eurocef et avait conduit celleci à la situation constatée en avril 1994, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 60 de la loi du 24 janvier 1984, codifié à l'article L. 313-12 du code monétaire et financier ;
2°/ qu'au surplus, la cour d'appel constate elle-même que, le 4 mai 1994, le Crédit agricole a refusé de payer à la société Eurocef les factures dont elle était redevable à son égard, factures qu'elle sera ultérieurement condamnée à payer à hauteur de plus de 2 millions de francs ; qu'en retenant que le Crédit agricole avait pu le même jour se prévaloir d'un découvert excédant de 964 713 francs le plafond autorisé sans rechercher si ce découvert n'était pas, pour une partie dépassant largement ce montant, imputable au défaut de paiement des factures dues par le Crédit agricole lui-même à la société Eurocef, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 60 de la loi du 24 janvier 1984, codifié à l'article L. 313-12 du code monétaire et financier ;
3°/ qu'encore la cour d'appel a constaté que le Crédit agricole s'était engagé à garantir à la société Eurocef des crédits à hauteur de 5 millions de francs au titre du découvert en compte courant et 4 millions de francs au titre des créances escomptées, soit 9 millions de francs au total ; qu'en retenant qu'il serait résulté du rapport établi le 18 avril 1994 par la société Eurocef que la situation de cette dernière était irrémédiablement compromise, motif pris que le besoin de financement de la société à échéance d'un an pouvait être évalué à 3 910 000 francs dans l'hypothèse la plus favorable, 5 820 000 euros dans l'hypothèse médiane et 7 730 407 francs dans l'hypothèse la plus défavorable, avec une pointe à 9 537 247 francs en décembre 1994, soit un dépassement de 5 % sur un mois seulement des crédits habituellement consentis, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs impropres à établir une situation irrémédiablement compromise au printemps 1994, et ainsi de nouveau privé sa décision de base légale au regard de l'article 60 de la loi du 24 janvier 1984, codifié à l'article L. 313-12 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
13. Appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve soumis, l'arrêt retient, en premier lieu, que les difficultés financières consécutives à l'échec des différents programmes immobiliers de la société Eurocef étaient antérieures à l'année 1994 et que, dans son rapport du 18 avril 1994, cette société avait soumis à la banque un plan de trésorerie basé sur trois hypothèses de vente, dont la plus favorable évaluait son besoin de trésorerie à près de 3 millions de francs en mars 1994 et, un an plus tard, en février 1995, à 3 910 000 francs, sans que jamais la trésorerie ne redevienne positive.
14. Il ajoute, en second lieu, que le défaut de paiement des factures n'est pas à l'origine de la procédure collective de la société Eurocef, que le 22 mars 1994, la CRCAMY l'a informée que son compte présentait une situation débitrice de 5 467 596 francs, que le 11 avril suivant, elle l'a mise en demeure de rétablir son compte qui présentait un dépassement de 812 713 francs pour le 11 mai, que le 4 mai, elle a refusé de payer le montant des factures adressées dont la pertinence était incertaine et que si des factures datant de mars à juin 1994 ont donné lieu à condamnation, la CRCAMY n'a pas été condamnée au paiement de toutes les factures réclamées par Eurocef, la contestation ayant été jugée sérieuse pour les factures relatives aux opérations [Adresse 8] et [Adresse 7] et celle du 30 avril 1993 d'un montant de 531 384,04 francs concernant sa filiale Icauna.
15. En l'état de ces seuls motifs excluant l'existence d'un lien de causalité entre le défaut de paiement de certaines factures et la défaillance de la société Eurocef, la cour d'appel, qui n'était dès lors pas tenue de procéder à la recherche inopérante évoquée à la première branche et a procédé à celle visée à la deuxième branche, a légalement justifié sa décision.
16. Le moyen, inopérant en sa troisième branche, en ce qu'il critique des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.
Et sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
17. La société BR et associés, ès qualités, fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes dirigées à l'encontre de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Champagne-Bourgogne, venue aux droits de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de l'Yonne, alors « que les contrats doivent être exécutés de bonne foi ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que la caisse de Crédit agricole mutuel de l'Yonne était engagée depuis 1989 avec la société Eurocef dans les termes d'un partenariat « de coopération » de long terme qui obligeait Eurocef à présenter l'ensemble de ses opérations au Crédit agricole et obligeait en retour le Crédit agricole à garantir à Eurocef la stabilité de ses moyens de trésorerie et un examen prioritaire des dossiers de prêt présentés par Eurocef ; qu'il ressort encore des constatations de l'arrêt qu'à compter du mois de septembre 1993, et en à peine six mois, la banque avait décidé de ne plus donner d'accord de principe sur les financements des acquéreurs présentés par Eurocef, notifié une restriction de l'ouverture de crédit précédemment accordée au titre des cessions de créances Dailly en écartant les « risques sur des créances liées à la SA Eurocef », refusé de payer de nombreuses et importantes factures d'honoraires dues à la société Eurocef, voté, par l'intermédiaire de sa filiale Icauna, la résiliation unilatérale des engagements de la société Novaparc à l'égard de la société Eurocef ; qu'en s'abstenant de rechercher si ce comportement d'ensemble ne caractérisait pas, de la part du Crédit agricole, une rupture unilatérale des engagements souscrits dans les protocoles des 23 novembre 1989, 10 novembre 1992 et 5 mars 1993, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du code civil. »
Réponse de la Cour
18. Ayant écarté, d'une part, toute responsabilité de la CRCAMY au titre des engagements pris relativement aux dossiers de prêt, aux factures présentées et aux concours bancaires, d'autre part, toute responsabilité de la société Icauna lors du vote de la résolution relative à la résiliation de l'accord cadre liant les sociétés Novaparc et Eurocef, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations et appréciations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille vingt-quatre.