LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 septembre 2024
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 488 F-D
Pourvoi n° P 23-12.846
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 SEPTEMBRE 2024
M. [O] [V], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 23-12.846 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2022 par la cour d'appel de Versailles (14e chambre), dans le litige l'opposant à la société Le Bec de canard, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Djikpa, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [V], de la SCP Zribi et Texier, avocat de la société civile immobilière Le Bec de canard, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Djikpa, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 décembre 2022), M. [V] est titulaire de parts de la société civile immobilière d'attribution Le Bec de canard (la SCI), auxquelles sont affectés, d'une part, la jouissance exclusive et privative d'un lot correspondant à une partie du terrain de la SCI, d'autre part, un droit réel de superficie attaché aux parts cédées, lui conférant le droit d'édifier sur ce lot une maison d'habitation, ses dépendances et ses abords, ainsi, enfin, que le neuvième des parties communes appartenant à la SCI au sein du domaine du golf de [Localité 3].
2. Par délibération du 29 novembre 2019, les associés de la SCI ont décidé de proroger la société pour quatre-vingt-dix-neuf ans et ajouté aux statuts une disposition prévoyant la possibilité pour chaque associé de demander son retrait, le gérant devant réunir une assemblée générale dans les quinze jours de cette demande, afin qu'elle constate la réduction du capital social et l'attribution en pleine propriété des lots correspondant à chaque associé retrayant.
3. N'ayant pas obtenu l'attribution en pleine propriété du terrain, qu'il sollicitait, M. [V] a assigné la SCI en désignation d'un mandataire ad hoc chargé de convoquer une assemblée générale extraordinaire des associés, afin qu'elle constate la réduction du capital social et l'attribution à son bénéfice du terrain lui revenant en pleine propriété.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [V] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de désignation d'un mandataire ad hoc, alors « qu'un associé non gérant d'une SCI peut demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée et, si le gérant s'y oppose ou garde le silence, solliciter du président du tribunal judiciaire la désignation d'un mandataire chargé de provoquer cette délibération ; que si le juge saisi d'une telle demande peut la rejeter pour défaut de conformité à l'intérêt social, il ne peut ni apprécier l'opportunité de la demande de désignation ni apprécier la conformité à l'intérêt social de la décision qu'il est demandé à l'assemblée générale de prendre ; que l'article 26 bis des statuts de la SCI Le Bec de canard prévoit qu'est autorisé le retrait de tout associé qui en fait la demande expresse, chaque associé « retrayant » se voyant attribuer en échange de l'annulation de la pleine et entière propriété de ses 3 200 parts la pleine et entière propriété de la parcelle lui revenant, et que dans les 15 jours suivant la réception d'une demande de retrait, la Gérance doit réunir l'assemblée générale extraordinaire des associés, laquelle doit constater la réduction du capital social et l'attribution des lots correspondant à chaque associé retrayant ; que pour débouter M. [V] de sa demande tendant à la désignation d'un mandataire ad hoc aux fins de convocation de l'assemblée générale en application des dispositions précitées de l'article 26 bis des statuts de la société, la cour d'appel a estimé qu'il lui appartenait de vérifier que la demande de désignation de l'administrateur tendait bien à des fins légitimes et que « s'agissant de son retrait personnel de la société », la demande de M. [V] « ne correspondait qu'à son propre intérêt particulier et non à des fins légitimes conformes à l'intérêt social ; qu'en se prononçant ainsi au regard de la légitimité et de la conformité à l'intérêt social de la demande de retrait de M. [V], qu'il ne lui appartenait pas d'examiner, et qui ne permettait pas de caractériser un défaut de conformité à l'intérêt social de la demande de désignation d'un mandataire, la cour d'appel a violé l'article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 ensemble l'article 26 bis des statuts de la SCI Le Bec de canard. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 :
5. Selon ce texte, un associé non gérant peut à tout moment, par lettre recommandée, demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée. Si le gérant s'oppose à la demande ou garde le silence, l'associé demandeur peut, à l'expiration du délai d'un mois à dater de sa demande, solliciter du président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, la désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés.
6. Le juge, saisi par un associé d'une demande de désignation d'un mandataire chargé de convoquer une assemblée générale ayant pour ordre du jour la révocation du gérant, n'a pas à apprécier les motifs de la révocation envisagée mais seulement la conformité de la demande dont il est saisi à l'intérêt social (Com., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-12.307).
7. Pour rejeter la demande de désignation d'un mandataire ad hoc, l'arrêt retient que, quel que soit par ailleurs son bien-fondé, la demande de M. [V] de convocation d'une assemblée générale, s'agissant de son retrait personnel de la société, ne correspond qu'à son propre intérêt particulier et non à des fins légitimes conformes à l'intérêt social.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a apprécié l'absence de conformité à l'intérêt social de la demande de désignation d'un mandataire ad hoc chargé de réunir une assemblée générale au regard de la décision que M. [V] entendait soumettre à celle-ci, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société civile immobilière Le Bec de canard aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière Le Bec de canard et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille vingt-quatre.