LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 septembre 2024
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 795 F-D
Pourvoi n° H 22-23.692
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 SEPTEMBRE 2024
1°/ Mme [L] [U], veuve [T],
2°/ M. [Z] [T]-[U],
3°/ Mme [P] [T]-[U],
tous trois domiciliés [Adresse 7],
4°/ la société TDM, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° H 22-23.692 contre l'arrêt rendu le 7 septembre 2022 par la cour d'appel d'Agen (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société MAIF, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société GMF assurances,
3°/ à la société La Sauvegarde, société anonyme,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 1],
4°/ à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) Midi-Pyrénées, dont le siège est [Adresse 2],
5°/ à la société MAAF santé, dont le siège est [Adresse 6],
défenderesses à la cassation.
La MAIF a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cassignard, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de Mme [U], veuve [T], de M. [T]-[U], de Mme [T]-[U] et de la société TDM, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société GMF assurances, et de la société La Sauvegarde, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société MAIF, après débats en l'audience publique du 25 juin 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Cassignard, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 7 septembre 2022), [J] [T], assuré par la société MAIF, a été victime le 13 juin 2011 d'un accident de la circulation impliquant un véhicule assuré auprès la société La Sauvegarde, agissant pour le compte de la société GMF assurances.
2. Après deux expertises amiables et une expertise judiciaire ordonnée en référé, [J] [T], Mme [U], son épouse, et la société familiale TDM ont assigné la société GMF assurances, la société MAIF, le RSI et la mutuelle MAAF santé devant un tribunal de grande instance afin d'être indemnisés des préjudices subis du fait de l'accident.
3. [J] [T] est décédé d'un cancer sans lien avec l'accident le 2 juin 2018. L'épouse et les enfants du couple, M. [Z] [T]-[U] et Mme [P] [T]-[U] (les consorts [T]-[U]) sont intervenus volontairement à l'instance, ainsi que la société La Sauvegarde.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal formé par les consorts [T]-[U], pris en ses deuxième et troisième branches, et sur le second moyen du pourvoi principal
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Les consorts [T]-[U] et la société TDM font grief à l'arrêt de débouter la succession de [J] [T] de ses demandes aux titres des pertes de gains professionnels futurs, des droits à la retraite et de la perte de chance de terminer les travaux nécessaires à la réhabilitation et à l'entretien de leur résidence principale de [Localité 4], alors « que la réparation du préjudice corporel est gouvernée par le principe général de la réparation intégrale, lequel tend à rétablir l'équilibre détruit par le dommage et à replacer la victime, autant qu'il est possible, dans la situation qui serait sienne si ce dommage n'était pas intervenu ; qu'il en est ainsi, en particulier, de la réparation de la perte de gains professionnels futurs ; qu'en l'espèce, la cour a explicitement constaté que les premiers experts avaient conclu à une « incapacité de métier » de [J] [T], exclusivement due aux séquelles de l'accident qu'il a subi le 13 juin 2011, de 10 % de déficit fonctionnel permanent, qui a contraint ce dernier à devoir abandonner définitivement son activité professionnelle d'artisan-maçon le 28 juillet 2014 ; qu'il s'ensuivait que [J] [T] avait nécessairement perdu les gains professionnels attachés à l'exercice de cette profession, et cela exclusivement à raison des dommages physiques et psychologiques provoqués par l'accident ; qu'en refusant pourtant toute indemnisation de ce chef, aux motifs inopérants qu'il n'avait pas recherché une autre activité et ne justifiait pas d'un reclassement professionnel, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ».
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime :
6. Pour rejeter toute demande au titre des pertes de gains professionnels futurs, l'arrêt retient que [J] [T] n'a pas justifié d'un reclassement professionnel ni n'a recherché une autre activité après s'être radié du répertoire des métiers et avoir reçu la qualité de travailleur handicapé, alors qu'il était encore apte à exercer, au moins partiellement, une autre activité professionnelle que celle d'entrepreneur en maçonnerie.
7. En statuant ainsi, par des motifs inopérants pris de l'absence de reconversion professionnelle et de recherche d'emploi de [J] [T], et alors qu'elle constatait que l'accident ne lui permettait pas de reprendre son activité d'entrepreneur en maçonnerie, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
8. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif rejetant la demande au titre des pertes de gains professionnels futurs entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif déboutant la société MAIF de son recours au titre de ces mêmes frais professionnels futurs, et du chef de dispositif condamnant la société La Sauvegarde à verser à la succession de [J] [T] la somme de 60 000 euros au titre de l'incidence professionnelle.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la succession de [J] [T] de sa demande au titre des pertes de gains professionnels futurs, en ce qu'il déboute la société MAIF de son recours au titre de ces mêmes frais professionnels, et en ce qu'il condamne la société La Sauvegarde à verser à la succession de [J] [T] la somme de 60 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, l'arrêt rendu le 7 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la société La Sauvegarde aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société La Sauvegarde à payer à Mme [U], veuve [T], M. [Z] [U]-[T], Mme [P] [U]-[T] et la société TDM la somme globale de 3 000 euros et rejette les autres demandes.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille vingt-quatre.