LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° P 23-83.847 F-D
N° 01018
SL2
18 SEPTEMBRE 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 SEPTEMBRE 2024
M. [E] [T] et la société [2] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 8 juin 2023, qui, pour exportation sans déclaration d'une marchandise dangereuse pour la santé et infraction au code de l'environnement, a condamné, le premier à six mois d'emprisonnement avec sursis et 6 000 euros d'amende, la seconde à 15 000 euros d'amende, et, solidairement à une amende douanière.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. [E] [T] et de la société [2], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction générale des douanes et droits indirects et de la direction régionale des douanes et droits indirects des Pays de la Loire,
et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gillis, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 29 mars 2018, les agents des douanes ont contrôlé dans le port de [Localité 1] un conteneur destiné à l'exportation vers la Tunisie appartenant à la société [2] dirigée par M. [E] [T].
3. Les agents ont constaté la présence dans ce conteneur de moteurs usagés et de pièces détachées d'automobiles d'occasion, empilés les uns sur les autres, sans étiquetage ni conditionnement. Par ailleurs, aucune liste de colisage reprenant le contenu du conteneur n'était jointe à la déclaration en douane.
4. Les agents ont également relevé que, la veille du contrôle, la société [3], déclarant en douane, avait validé la déclaration d'exportation concernant ce conteneur pour le compte de la société [2].
5. Par jugement du 2 décembre 2021, le tribunal correctionnel a déclaré M. [T] et la société [2] coupables des chefs susmentionnés et a condamné le premier à huit mois d'emprisonnement avec sursis et la seconde à 2 000 euros d'amende et les deux, solidairement, à une amende douanière de 6 000 euros.
6. Les prévenus ainsi que le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [2] et M. [T] coupables d'exportation sans déclaration en douane applicable à une marchandise dangereuse pour la santé publique et d'exportation interdite de déchets, alors :
« 1°/ que l'article 414, dernier alinéa, du code des douanes punit les faits d'exportation portant sur des marchandises dangereuses pour la santé, la moralité ou la sécurité publiques, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé des douanes ; que selon l'article 1er de l'arrêté ministériel du 29 juillet 2003, portant application de l'article 414 du code des douanes, les dispositions du dernier alinéa de l'article 414 du code des douanes concernent les déchets définis au II de l'article L. 541-1 du code de l'environnement qui sont régis par les articles L. 541-40 à L. 541-42 du même code et les dispositions réglementaires prises pour leur application ainsi que par le règlement (CEE) n°259/93 du Conseil du 1er février 1993 et les décisions communautaires prises en son application ; qu'il en résulte que seule l'exportation de déchets au sens de ces textes constitue le délit de l'article 414 du code des douanes ; que selon l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement est un déchet « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire » ; que pour déclarer la société [2] coupable des faits qui lui étaient reprochés, la cour d'appel a énoncé qu'« aux termes des dispositions de la convention de Bâle du 22 mars 1989, de l'article 36 du règlement européen (C.E.) numéro 1013/2006 du 14 juin 2006, de l'article 50 §4bis du même règlement, dans sa version modifiée à compter du 1er janvier 2016, du cahier des charges fixant les obligations applicables aux centres VHU (annexe I 3°) que pour ne pas être considérées comme des déchets mais comme des pièces d'automobiles d'occasion, pouvant être réemployées les pièces automobiles provenant de [4] doivent être : - correctement dépolluées, - marquées, étiquetées, reprises dans une liste permettant leur identification, conditionnées dans un container dans des conditions garantissant leur intégrité (empilés de manière à permettre leur stabilité tout au long du transport maritime) » (arrêt attaqué, p. 24, § 6) ; qu'en statuant ainsi, quand les textes sur lesquels elle se fondait et les conditions que lesdits textes posent sont étrangers à la définition de déchets susceptible de constituer l'infraction de l'article 414 du code des douanes, la cour d'appel a méconnu ledit texte, ensemble l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement et le principe de légalité des délits et des peines ;
3°/ que si les éléments constitutifs d'une infraction peuvent, en principe, être établis par tout mode de preuve, il en va différemment de l'établissement des conditions préalables à l'infraction qui obéissent, quant à elles, au régime dicté par la loi qui les régit ; que selon l'article 5 de l'arrêté du 13 avril 2016 relatif à la représentation en douane et à l'enregistrement des représentants en douane, « Pour la mise en oeuvre du paragraphe 2 de l'article 19 du code des douanes de l'Union, la preuve de l'habilitation par la personne représentée est une preuve écrite » ; que pour dire que l'exposante avait la qualité d'exportateur et, en conséquence, la déclarer coupable des faits qui lui étaient reprochés ainsi que M. [T], la cour d'appel a énoncé que s'« il est exact qu'aucun mandat écrit préalable à l'exportation en cause n'a été produit par lequel la société SAS [2] autorisait la société [3], à déposer la déclaration en douane en cause pour son propre compte, [E] [T] dans son audition du 15 novembre 2019, a clairement déclaré que dans le cas d'espèce, le rôle de la société [3] était bien celui de représentant en douane » (arrêt attaqué, p. 26, § 2) ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations qu'aucun mandat écrit préalable à l'exportation en cause n'a été produit par lequel la société [2] autorisait la société [3], à déposer la déclaration en douane en sorte que la preuve d'un mandat dans les formes requises n'était pas apportée, la cour d'appel a méconnu les articles 423, alinéa 1er, 1°, 38 §1, § 2, 39, 40 du code des douanes, 1 §1 alinéa 4 de l'arrêté ministériel du 29 juillet 2023, M. 541-1-1 du code de l'environnement, 414, alinéa 1 et 3, 435, 436, 438, 432-BIS, 369 du code des douanes, L. 541-46 §1 11° G), L. 541-40 §1 du code de l'environnement, 34 §1, §3, 36 §1, 39, 40 § 1, § 2 règlement CE du 14 juin 2026 et réprimés par les articles L. 541-46, § 1, alinéa 1, § IV, § V et L. 173-7 du code de l'environnement. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
9. Pour dire établi le délit d'exportation sans déclaration d'une marchandise dangereuse, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte des constatations des agents des douanes que les moteurs découverts dans le conteneur exporté par la société [2] étaient empilés les uns sur les autres, sans conditionnement ni étiquetage, et que des taches d'huile sur le sol étaient visibles.
10. Les juges ajoutent qu'un contrôle documentaire a permis de constater l'absence des documents nécessaires à un tel envoi, notamment la liste de colisage reprenant le contenu spécifique du conteneur.
11. Ils relèvent que la société [2] dispose d'un agrément préfectoral en tant que centre « véhicule hors d'usage » (VHU) l'autorisant à recevoir de tels véhicules, à les démonter et à revendre les pièces détachées réutilisables.
12. Ils énoncent que, cependant, aux termes des dispositions de la Convention de Bâle du 22 mars 1989, de l'article 36 du règlement (CE) n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006, de l'article 50, 4 bis, du même règlement, dans sa version modifiée à compter du 1er janvier 2016, de l'annexe I, 3°, du cahier des charges fixant les obligations applicables aux centres [4], pour ne pas être considérées comme des déchets mais comme des pièces d'automobiles d'occasion pouvant être réemployées, les pièces automobiles provenant de [4] doivent être correctement dépolluées, marquées, étiquetées, reprises dans une liste permettant leur identification et conditionnées dans un conteneur dans des conditions garantissant leur intégrité.
13. Ils en concluent que, dès lors qu'en l'espèce les conditions susmentionnées n'étaient nullement remplies, les moteurs doivent être considérés comme des déchets dangereux dont l'exportation est interdite vers la Tunisie.
14. En prononçant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
15. En premier lieu, d'une part, le troisième alinéa de l'article 414 du code des douanes punit le fait d'exporter sans déclaration des marchandises dangereuses pour la santé, la moralité ou la sécurité publiques, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé des douanes. Cet arrêté prévoit que constituent des marchandises dangereuses les déchets définis à l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement régis par les articles L. 541-40 à L. 541-42-2 du même code et les dispositions réglementaires prises pour leur application ainsi que par le règlement n° 1013/2006 et les règlements et décisions européens pris pour son application.
16. D'autre part, selon cet article L. 541-1-1, qui transpose la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008, constitue un déchet toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 4 juillet 2019, Tronex, C-624/17) a jugé que l'existence d'un « déchet », au sens de la directive précitée, doit être vérifiée au regard de l'ensemble des circonstances, en tenant compte de l'objectif de cette directive et en veillant à ce qu'il ne soit pas porté atteinte à l'efficacité de celle-ci. Elle a également jugé que s'il n'y a lieu de soumettre aux exigences de cette directive des biens que le détenteur entend exploiter ou commercialiser dans des conditions avantageuses, indépendamment d'une quelconque opération de valorisation, eu égard à l'obligation de procéder à une interprétation large de la notion de déchet, il convient de considérer que seules sont ainsi visées les situations dans lesquelles la réutilisation du bien ou de la substance en question est non pas seulement éventuelle, mais certaine.
17. Enfin, l'arrêté du 2 mai 2012 relatif aux agréments des exploitants des centres [4] et aux agréments des exploitants des installations de broyage de VHU prévoit, dans son annexe I, un cahier des charges qui indique dans son 3° les conditions devant être respectées par l'exploitant d'un centre VHU pour que soient remis sur le marché en vue de leur réutilisation les éléments démontés.
18. Il résulte de ce qui précède que, dès lors que la cour d'appel devait, pour apprécier si les moteurs constituaient des déchets, déterminer si la réutilisation de ceux-ci était certaine, ce qui supposait que les conditions de cette réutilisation soient respectées, c'est à bon droit qu'elle s'est fondée, pour caractériser l'infraction prévue par l'article 414 du code des douanes, sur l'arrêté précité et qu'elle a examiné le respect des conditions posées par celui-ci.
19. En second lieu, en application de l'article 50, 4 bis, du règlement n° 1013/2006, afin de vérifier qu'une substance ou un objet transporté par voie maritime ne constitue pas un déchet, les autorités impliquées dans les inspections peuvent exiger de la personne physique ou morale qui se trouve en possession de la substance ou de l'objet concerné, ou qui organise son transport, qu'elle soumette des preuves documentaires concernant l'origine et la destination de la substance ou de l'objet et établissant qu'il ne s'agit pas d'un déchet. En outre, la protection de la substance ou de l'objet contre les dommages au cours du transport, du chargement et du déchargement, au moyen par exemple d'un emballage suffisant et d'un empilement approprié, est également vérifiée.
20. Selon le 4 ter du même article, les autorités impliquées dans les inspections peuvent conclure que la substance ou l'objet est un déchet si la preuve visée au paragraphe 4 bis n'a pas été soumise dans le délai fixé par elles ou si elles considèrent que la protection contre les dommages visée au paragraphe 4 bis est insuffisante.
21. Il en résulte que la cour d'appel s'est, à bon droit, fondée sur l'article 50, 4 bis, du règlement n° 1013/2006 pour déterminer la qualité de déchet des moteurs transportés.
22. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
23. Pour dire établi le délit d'exportation sans déclaration d'une marchandise dangereuse, l'arrêt attaqué énonce que si aucun mandat écrit n'a été produit par lequel la société [2] avait autorisé la société [3] à déposer pour son compte la déclaration en douane relative à la livraison litigieuse, il résulte d'un certain nombre d'éléments que la société [2] avait bien la qualité d'exportateur et que la société [3] était bien son représentant en douane.
24. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
25. En effet, la règle édicté par l'article 5 de l'arrêté relatif à la représentation en douane et à l'enregistrement des représentants en douane pris le 13 avril 2016 par le ministre des finances et des comptes publics selon laquelle la preuve de l'habilitation du représentant en douane par la personne représentée est une preuve écrite ne constitue pas une dérogation au principe de la liberté de la preuve en matière pénale dès lors qu'elle s'applique seulement aux relations entre l'administration et les opérateurs professionnels en douane à des fins de contrôle.
26. Ainsi, le moyen doit être écarté.
27. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit septembre deux mille vingt-quatre.