LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 septembre 2024
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 932 F-D
Pourvoi n° J 23-14.383
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 SEPTEMBRE 2024
M. [J] [R], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 23-14.383 contre l'arrêt rendu le 19 janvier 2023 par la cour d'appel de Caen (1re chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Côté Ouest immobilier, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Rodrigues, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [R], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Côté Ouest immobilier, après débats en l'audience publique du 3 juillet 2024 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Rodrigues, conseiller référendaire rapporteur, Mme Le Quellec, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 19 janvier 2023), M. [R] a été engagé en qualité de voyageur, représentant ou placier (VRP) négociateur immobilier à compter du 1er janvier 2015 par la société Côté Ouest immobilier.
2. Le contrat de travail a pris fin le 21 septembre 2017.
3. Le 13 août 2019, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande principale tendant à la communication par l'employeur des pièces permettant le calcul de ses commissions, et subsidiairement, de diverses demandes relatives à l'exécution et à la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter la somme qui lui a été allouée à titre de rappel de commissions, alors « qu'en refusant d'allouer à M. [R] la commission annuelle de 2 % sur le chiffre d'affaires au motif qu'il ne fournissait aucune explication sur la façon dont il a calculé le chiffre d'affaires dont le montant était contesté par l'employeur, quand il incombait à la société Côté Ouest immobilier de justifier du chiffre d'affaires, la cour d'appel a violé l'article 1315 devenu 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil :
6. Lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire.
7. Pour rejeter la demande en paiement de la commission annuelle sur le chiffre d'affaires du salarié pour l'année 2016, l'arrêt retient qu'aucune explication n'est fournie sur la façon dont a été calculé le chiffre d'affaires allégué qui est contesté.
8. En statuant ainsi, alors qu'il appartenait à l'employeur de justifier du chiffre d'affaires réalisé pendant la période sur laquelle portait la demande, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
9. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter la somme qui lui a été allouée à titre de congés payés afférents au rappel de commissions, alors « qu'en allouant à M. [R] une indemnité de congés payés calculée sur la base d'un solde de commissions qui lui restaient dues par l'employeur, et non pas sur la base de la totalité de sa rémunération et après avoir constaté que les congés payés n'étaient pas inclus dans ladite rémunération, la cour d'appel a violé l'article L. 3141-24 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
10. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
11. Pour condamner l'employeur à payer au salarié une somme de 471,20 euros au titre de l'indemnité de congés payés, l'arrêt limite l'assiette de calcul de cette indemnité au montant du rappel de commissions qu'il alloue.
12. En statuant ainsi, alors que le salarié réclamait aussi l'indemnité de congés payés au regard de la rémunération brute totale qu'il avait perçue au cours de la période de référence, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Et sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
13. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'une indemnité en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral, et ses demandes tendant au constat de l'origine professionnelle de son arrêt de travail, au prononcé de la nullité de son licenciement ou subsidiairement à ce qu'il soit déclaré sans cause réelle et sérieuse, et au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, d'une indemnité légale de licenciement, de son salaire au titre du mois sans rémunération pendant la recherche de reclassement et des congés payés afférents, et de dommages-intérêts, alors « que la cour d'appel n'a pas procédé à une analyse groupée des quatre faits qu'elle a estimé être avérés, à savoir l'attitude virulente de l'employeur, la réorganisation des portefeuilles des salariés, l'absence de paiement de toutes les commissions et l'absence d'organisation d'élections professionnelles avant 2017, pour apprécier si, considérés comme un tout, ces faits pouvaient laisser supposer que M. [R] avait été victime de harcèlement ; qu'en outre, les juges du fond n'ont pas tenu compte de certains des faits matériellement établis, notamment ceux à caractère médical, à savoir les arrêts de travail et les certificats médicaux du pôle de santé mentale et du docteur [F], mais aussi la conclusion d'un contrat d'agent commercial avant celle d'un contrat de travail, le licenciement de Mme [X], les propos violents de l'employeur, la réorganisation des portefeuilles des salariés, la tentative de l'employeur de dissuader certains de ses salariés de voter lors du premier tour des élections professionnelles auxquelles M. [R] était candidat, la menace faite à ce dernier d'un licenciement pour insuffisance de résultats, sa convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire, la dénonciation par celui-ci aux services de police d'injures et menaces ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail :
14. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
15. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, l'arrêt retient qu'il résulte de l'analyse des éléments produits que, hormis un fait unique d'attitude virulente non autrement définie, une réorganisation dont l'impact financier n'est toutefois pas démontré, un paiement incomplet des commissions dues et une absence d'organisation d'élections avant 2017, les faits allégués par le salarié ne sont pas établis.
16. Il en conclut qu'il n'est pas présenté suffisamment d'éléments laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral.
17. En statuant ainsi, en procédant à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par le salarié et sans prendre en considération les documents médicaux produits, alors qu'il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments qu'elle avait retenus comme étant matériellement établis et les certificats médicaux laissaient supposer l'existence d'un harcèlement moral, et, dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les agissements en cause étaient étrangers à tout harcèlement moral, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation prononcée n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par le principe de sa condamnation à paiement, non remis en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la condamnation de la société Côté Ouest immobilier au paiement à M. [R] des sommes de 4 712 euros à titre de rappel de commissions et de 471,20 euros au titre des congés payés afférents, et en ce qu'il déboute M. [R] de sa demande en paiement d'une indemnité en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral, et de ses demandes tendant au constat de l'origine professionnelle de son arrêt de travail, au prononcé de la nullité de son licenciement ou subsidiairement à ce qu'il soit déclaré sans cause réelle et sérieuse, et au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, d'une indemnité légale de licenciement, de son salaire au titre du mois sans rémunération pendant la recherche de reclassement et des congés payés afférents, et de dommages-intérêts pour licenciement nul subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 19 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne la société Côté Ouest immobilier aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Côté Ouest immobilier et la condamne à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit septembre deux mille vingt-quatre.