LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 septembre 2024
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 470 F-D
Pourvoi n° J 23-10.749
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 SEPTEMBRE 2024
1°/ Mme [T] [Y], épouse [S], domiciliée [Adresse 3],
2°/ Mme [L] [Y], épouse [J], domiciliée [Adresse 1],
3°/ Mme [P] [Y], épouse [C], domiciliée [Adresse 2],
toutes trois venant aux droits de [M] [U] divorcée [Y],
ont formé le pourvoi n° J 23-10.749 contre l'arrêt rendu le 17 novembre 2022 par la cour d'appel de Rouen (chambre de la proximité), dans le litige les opposant à M. [A] [U], domicilié [Adresse 4], défendeur à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bosse-Platière, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mmes [T], [P] et [L] [Y], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [U], après débats en l'audience publique du 25 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Bosse-Platière, conseiller rapporteur, Mme Grandjean, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 17 novembre 2022), par acte du 18 novembre 1982, [F] [U], ainsi que ses deux enfants, [M] [U] et M. [K] [U], ont donné à bail rural à long terme à M. [A] [U] diverses parcelles agricoles, devenues la propriété de [M] [U]. Le bail a été renouvelé pour neuf ans à compter du 29 septembre 2000.
2. Le 28 mars 2017, [M] [U] a signifié à M. [A] [U] un congé pour reprise à effet au 28 septembre 2018, au profit de son petit-fils M. [J].
3. Le 23 juin 2017, M. [A] [U] a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé.
4. [M] [U] est décédée en cours d'instance, laissant pour lui succéder ses trois filles, Mmes [T], [P] et [L] [Y] (les consorts [Y]), qui ont repris l'instance et ont formé une demande reconventionnelle en annulation de la convention de pâturage consentie par M. [A] [U] à un tiers, résiliation du bail pour cession et sous-location prohibée et expulsion.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Les consorts [Y] font grief à l'arrêt de prononcer la nullité du congé délivré le 28 mars 2017, alors :
« 1°/ que si le bénéficiaire de la reprise d'un bail rural doit disposer d'une habitation située à proximité du fonds et en permettant l'exploitation directe, il n'est pas nécessaire qu'il y soit légalement domicilié, ni qu'il y réside de manière effective avant la date d'effet du congé ; qu'en jugeant l'inverse, la cour d'appel a violé l'article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime ;
2°/ que le bénéficiaire de la reprise doit posséder personnellement le matériel nécessaire à l'exploitation et que la propriété est acquise par le bénéficiaire d'une promesse de vente lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix ; que le bénéficiaire d'une promesse de vente doit donc, dès qu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix, être regardé comme possédant personnellement le matériel nécessaire à l'exploitation ; qu'en décidant, en l'espèce, que si M. [J] produisait une promesse de vente de matériel agricole consenti par le Gaec du Haut Bois, celle-ci ne pouvait constituer la preuve que le candidat à la reprise aurait disposé effectivement à titre personnel du matériel nécessaire à la date d'effet du congé, la cour d'appel a violé l'article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles 1583 et 1589 du code civil ;
3°/ que les juges du fond ont l'obligation de se prononcer sur l'ensemble des pièces versées aux débats par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, pour justifier que [N] [J], bénéficiaire de la reprise, disposait, à la date d'effet du congé, du matériel nécessaire à l'exploitation, les consorts [Y] produisaient une attestation par laquelle le gérant du Gaec des Hauts-Bois attestait que la promesse de vente des outils agricoles remontait à juillet 2018 ; qu'en omettant de se prononcer sur cet élément de preuve déterminant pour l'issue du litige, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que la loi énumère limitativement les conditions d'exercice du droit de reprise ; qu'en l'espèce, pour annuler le congé, la cour d'appel a considéré que « M. [J] ne disposait d'aucun projet abouti d'exploitation » ; qu'en soumettant ainsi l'exercice du droit de reprise au respect d'une condition d' « aboutissement du projet d'exploitation » qui n'est prévue par aucun texte, la cour d'appel a violé l'article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
6. En premier lieu, la cour d'appel a répondu aux conclusions dont elle était saisie en analysant l'attestation du 12 février 2022 pour considérer qu'elle confirmait l'existence d'une promesse de vente du matériel consentie le 21 janvier 2020.
7. En deuxième lieu, la cour d'appel a souverainement retenu, par motifs propres et adoptés, que si M. [J] produisait une promesse de vente de matériel agricole consenti par le Gaec du Haut Bois le 21 janvier 2020, une telle promesse, postérieure de plusieurs mois à la date d'effet du congé, n'établissait pas que le candidat à la reprise aurait disposé effectivement à titre personnel du matériel nécessaire à la date de la reprise.
8. En troisième lieu, elle a constaté que M. [J] ne produisait aucun élément financier personnel justifiant qu'il disposait des moyens financiers nécessaires à son installation.
9. Elle a pu déduire de ces seuls motifs, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les première et quatrième branches, que les conditions de la reprise n'étaient pas réunies et a ainsi légalement justifié sa décision.
Sur le second moyen
10. Les consorts [Y] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'annulation de la convention de pâturage, de résiliation du bail rural, de libération des lieux loués et, à défaut de libération volontaire, d'expulsion, alors :
« 1°/ que le fait pour un tiers d'une part, d'occuper des parcelles agricoles par le pacage de son cheval plusieurs jours par mois depuis plusieurs années, d'autre part, de les entretenir directement par ses soins en cas de maladie du cheval, en vertu d'une convention de pâturage, révèle que cet entretien récurrent des parcelles est la contrepartie au prêt des parcelles, constitutive d'une cession du bail rural, ou à tout le moins de sa sous-location, prohibée ; que dès lors, en l'espèce, en considérant, pour refuser de regarder la convention de pâturage conclue entre [M] [Y], [A] [U] et [I] [W] le 22 août 2016 comme constitutive d'une cession du bail rural, ou à tout le moins d'une sous-location du droit de jouissance attaché à celui-ci, que l'occupation du cheval de [I] [W] sur les parcelles prêtées ne serait qu'occasionnelle et réalisée à titre gratuit, et que l'entretien des parcelles ne serait pas récurrent et ne constituerait pas la contrepartie du prêt des parcelles, la cour d'appel a violé l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 411-31, II, 1° du même code ;
2°/ que la conservation de la maîtrise de l'exploitation des parcelles est sans incidence sur la qualification d'une mise à disposition de parcelles contre un paiement comme constituant une sous-location prohibée ; qu'en retenant, pour rejeter en l'espèce l'existence d'une sous-location prohibée, que le preneur avait conservé la maîtrise de l'exploitation des parcelles litigieuses, la cour d'appel a violé l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 411-31, II, 1° du même code. »
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel a constaté que le petit-neveu de M. [A] [U] laissait, dans un pré loué par ce dernier, paître son cheval quelques jours par mois, y installant chaque année dans un souci de sécurité sa propre clôture électrique et qu'ils avaient, l'année où le cheval avait rencontré des problèmes de santé, récolté l'herbe en enrubannage et réalisé le fauchage, le fanage et l'andainage, avec l'aide d'un ami pour le pressage et que M. [A] [U] taillait la haie du pré tous les ans avec son propre matériel.
12. Elle a pu en déduire qu'il s'agissait d'une occupation occasionnelle à titre gratuit et que M. [A] [U] avait conservé la maîtrise de l'exploitation des parcelles litigieuses, et qu'aucune cession ou sous-location prohibée n'était caractérisée.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mmes [T], [P] et [L] [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mmes [T], [P] et [L] [Y] et les condamne à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze septembre deux mille vingt-quatre.