LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 septembre 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 469 F-D
Pourvoi n° U 23-11.333
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 SEPTEMBRE 2024
L'exploitation de la Planchette, exploitation agricole à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 23-11.333 contre l'arrêt rendu le 24 novembre 2022 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 1), dans le litige l'opposant à M. [Y] [J], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Coricon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de l'exploitation de la Planchette, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [J], et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 juin 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Coricon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 24 novembre 2022), l'EARL de la Planchette a commandé en 2007 à M. [J], artisan, une salle de traite qui a été livrée, après paiement intégral du prix, le 22 septembre 2011.
2. M. [J] ayant été mis en redressement judiciaire le 13 décembre 2010, son plan de redressement a été arrêté le 21 novembre 2011.
3. Le 5 mars 2013, constatant des dysfonctionnements, l'EARL de la Planchette a assigné devant le tribunal de grande instance M. [J] en indemnisation des préjudices subis. Le 19 juillet 2016, une expertise avant-dire droit a été ordonnée, ayant abouti, après une réunion du 17 novembre 2016, au dépôt d'un pré-rapport le 21 mars 2017.
4. Un jugement du 28 novembre 2016 a prononcé la résolution du plan et la liquidation judiciaire de M. [J], désignant Mme [C] en qualité de liquidateur.
5. Le 7 juillet 2017, l'EARL de la Planchette, qui n'avait pas déclaré sa créance, a présenté une requête en relevé de forclusion devant le juge-commissaire, qui l'a rejetée par ordonnance du 18 septembre 2017.
6. Le 25 mars 2019, la procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif.
7. Le 20 mai 2020, l'EARL de la Planchette a assigné M. [J] et Mme [C], ès qualités, devant le tribunal de commerce de Valenciennes afin d'être autorisée à reprendre son action individuelle contre M. [J]. Par jugement du 12 octobre 2020, le tribunal a mis hors de cause Mme [C] et autorisé l'EARL de la Planchette à reprendre son action à l'encontre de M. [J].
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. l'EARL de la Planchette fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à être autorisée à reprendre les poursuites contre M. [J], alors « que la fraude du débiteur placé en procédure de liquidation judiciaire est caractérisée lorsque ce dernier a à la fois dissimulé l'existence de la procédure collective au créancier ayant agi en responsabilité à son encontre et à la fois dissimulé au liquidateur judiciaire l'existence d'une procédure en cours et d'une dette potentielle ; qu'en retenant que la fraude n'était pas établie, après avoir pourtant constaté qu'il n'était pas contesté que M. [J] n'avait pas informé l'EARL de la Planchette de la procédure collective dont il faisait l'objet et que rien ne venait démontrer qu'il aurait informé le liquidateur de la procédure introduite par l'EARL de la Planchette, comme il en était tenu en application des articles L. 641-1 et L. 621-6 du code de commerce, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il résultait pourtant qu'en dissimulant à la fois au créancier l'existence de la procédure de liquidation judiciaire et au liquidateur l'existence d'une procédure en cours engagée par l'EARL de la Planchette et d'une dette potentielle, le débiteur avait commis une fraude autorisant la reprise des actions individuelles de tout créancier ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article L. 643-11 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
9. Vu l'article L. 643-11, IV, du code de commerce :
10. Il résulte de ce texte qu'en cas de clôture pour insuffisance d'actif d'une liquidation judiciaire, par exception au principe du non-recouvrement par les créanciers de l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur, en cas de fraude de ce dernier à l'égard d'un ou de plusieurs créanciers, le tribunal autorise la reprise des actions individuelles de tout créancier contre le débiteur.
11. Pour infirmer le jugement et rejeter la demande de l'EARL de la Planchette de reprise de son action individuelle à l'encontre de M. [J], l'arrêt constate, d'abord, qu'il existait une instance en cours au jour du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de M. [J] le 28 novembre 2016. Il relève, ensuite, que M. [J] ne conteste pas ne pas avoir informé l'EARL de la Planchette de la liquidation judiciaire dont il faisait l'objet et n'établit pas avoir informé le liquidateur judiciaire de l'existence d'une instance en cours. Il retient, enfin, que, même si M. [J] était assisté du même conseil dans les deux procédures et qu'il a repris l'exercice d'une activité dans le même secteur dès décembre 2016 en étant salarié d'une société qu'il avait constitué avec son épouse et sa fille, l'ensemble de ces éléments ne permet pas d'établir le caractère intentionnel de l'omission de déclaration de cette procédure au liquidateur judiciaire, et, partant, la fraude.
12. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que M. [J], qui avait poursuivi sous une autre forme, après la clôture de sa liquidation judiciaire, la même activité que celle qui était à l'origine du litige et qui avait assisté le 17 novembre 2016, soit onze jours avant l'ouverture de sa liquidation judiciaire, à une réunion d'expertise relative au litige l'opposant à L'EARL de la Planchette, avait intentionnellement dissimulé au liquidateur la créance de l'EARL et l'existence de l'instance en cours initiée à son encontre, en méconnaissance des obligations qui lui étaient faites par l'article L. 622-6, alinéa 2, du code de commerce et qu'il s'était de même abstenu, au mépris des dispositions de l'article L. 622-22, alinéa 2 du même code, d'informer le créancier qui l'avait assigné en responsabilité, de l'ouverture de sa liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne M. [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze septembre deux mille vingt-quatre.