LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 septembre 2024
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 829 F-D
Pourvoi n° Z 23-16.283
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 SEPTEMBRE 2024
La société Claranor, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Z 23-16.283 contre l'arrêt rendu le 31 janvier 2023 par la cour d'appel de Nîmes (5e chambre sociale PH), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [L] [W], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à Pôle emploi [Localité 4] Joly Jean, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Claranor, de Me Descorps-Declère, avocat de Mme [W],après débats en l'audience publique du 19 juin 2024 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Techer, conseiller référendaire rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Claranor du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Pôle emploi.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 31 janvier 2023), Mme [W] a été engagée en qualité d'ingénieur support et développement, à compter du 22 août 2011, par la société Claranor. Le 6 janvier 2012, les parties ont conclu une convention de forfait en jours.
3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale le 19 avril 2017 à l'effet d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
4. Le 31 août 2017, elle a été licenciée.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité de la convention de forfait en jours conclue le 6 janvier 2012 et de le condamner à verser à la salariée une somme à titre de rémunération des heures supplémentaires, outre les congés payés afférents, alors :
« 3°/ qu'aux termes de l'article L. 3121-39 du code du travail dans sa rédaction, applicable au litige, antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 : "la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions" ; que selon l'article L. 3121-40, "la conclusion d'une convention individuelle de forfait requiert l'accord du salarié. La convention est établie par écrit" ; qu'aucune disposition ne subordonne la validité de cet écrit à la reprise des mentions de l'accord collectif l'instituant ; qu'en retenant, pour annuler la convention de forfait en jours du 6 janvier 2012, que "pour être valable, ce dispositif doit prévoir des modalités de contrôle sur la charge de travail et des moyens d'assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, notamment sous la forme de la tenue d'un entretien annuel portant précisément sur la charge de travail, l'organisation et l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur la rémunération du salarié. A défaut de telles précisions dans le contrat de travail ou la convention individuelle de forfait subséquente, le forfait annuel en jours est nul et en conséquence inopposable au salarié." et que "la cour ne peut que constater la nullité de cette convention de forfait qui ne prévoit aucunement les modalités de contrôle sur la charge de travail et les moyens d'assurer la protection de la sécurité et de la santé de la salariée", subordonnant ainsi la validité de la convention individuelle de forfait à la reprise, dans l'écrit la constatant, des mentions exigées par la loi pour la seule validité de l'accord collectif en prévoyant le recours, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé les articles L. 3121-39 et L. 3121-40 du code du travail ;
4°/ qu'en statuant de la sorte quand il ressortait de ses propres constatations que l'accord national du 28 juillet 1998 dans la métallurgie, expressément visé par l'avenant du 6 janvier 2012, comportait en son article 14.2 les mentions et précisions exigées par la loi pour assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, la cour d'appel a violé derechef les articles L. 3121-39 et L. 3121-40 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3121-39 et L. 3121-40 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, et l'article 14.2 de l'accord national du 28 juillet 1998 sur l'organisation du travail dans la métallurgie, dans sa rédaction issue de l'avenant du 3 mars 2006, étendu par arrêté du 6 juin 2006 :
6. Aux termes du premier de ces textes, la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.
7. Aux termes du deuxième, la conclusion d'une convention individuelle de forfait requiert l'accord du salarié. La convention est établie par écrit.
8. Selon le troisième, le forfait en jours s'accompagne d'un contrôle du nombre de jours travaillés. Afin de décompter le nombre de journées ou de demi-journées travaillées, ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos prises, l'employeur est tenu d'établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail auxquels le salarié n'a pas renoncé dans le cadre de l'avenant à son contrat de travail visé au 2e alinéa ci-dessus. Ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur. Le supérieur hiérarchique du salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours assure le suivi régulier de l'organisation du travail de l'intéressé et de sa charge de travail. En outre, le salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours bénéficie, chaque année, d'un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l'organisation et la charge de travail de l'intéressé et l'amplitude de ses journées d'activité. Cette amplitude et cette charge de travail devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés. A cet effet, l'employeur affichera dans l'entreprise le début et la fin de la période quotidienne du temps de repos minimal obligatoire visé à l'alinéa 7 ci-dessus. Un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir d'autres modalités pour assurer le respect de cette obligation.
9. Pour dire la convention de forfait en jours nulle, l'arrêt énonce d'abord que, pour être valable, le dispositif du forfait en jours doit prévoir des modalités de contrôle sur la charge de travail et des moyens d'assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, notamment sous la forme de la tenue d'un entretien annuel portant précisément sur la charge de travail, l'organisation et l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur la rémunération du salarié. Il ajoute qu'à défaut de telles précisions dans le contrat de travail ou la convention individuelle de forfait subséquente, le forfait annuel en jours est nul et en conséquence inopposable au salarié.
10. Il constate ensuite que la salariée a été soumise à une convention de forfait par la voie d'un avenant au contrat de travail en date du 6 janvier 2012 ainsi libellé : « Suivant l'accord national du 28 juillet 1998 sur l'organisation du temps de travail dans la métallurgie, modifié par avenant du 29 janvier 2000, le décompte du temps de travail se fera en jours. Ce nombre est fixé à 218 jours par année civile, donnant droit à un certain nombre de RTT défini chaque année. Pour l'année 2012, ce nombre est fixé à 10 jours. »
11. Il énonce qu'il est de principe que la convention de forfait doit être suffisamment précise pour que le salarié soit mis en mesure de l'accepter de manière éclairée. Il énonce encore que l'article 14.2 de l'accord national du 28 juillet 1998 sur l'organisation du travail dans la métallurgie définit le régime juridique du forfait en jours et détermine les mentions obligatoires de la clause de forfait et les obligations de l'employeur sur le contrôle du temps et de la charge de travail de son salarié. Il précise que ce texte prévoit notamment : « Le contrat de travail définit les caractéristiques de la fonction qui justifient l'autonomie dont dispose le salarié pour l'exécution de cette fonction. Le contrat de travail détermine le nombre de jours sur la base duquel le forfait est défini. Une fois déduits du nombre total des jours de l'année les jours de repos hebdomadaire, les jours de congés légaux et conventionnels auxquels le salarié peut prétendre et les jours de réduction d'horaire, le nombre de jours travaillés sur la base duquel le forfait est défini ne peut excéder, pour une année complète de travail, le plafond visé à l'article L. 212-15-3, III, du code du travail. ».
12. Il retient que la convention de forfait en jours est nulle, en ce qu'elle ne prévoit pas les modalités de contrôle sur la charge de travail et les moyens d'assurer la protection de la sécurité et de la santé de la salariée et en ce que l'avenant ne détermine pas quelles sont les caractéristiques du poste dont la qualification n'est pas précisée et qui justifiaient une autonomie dans l'organisation de son emploi du temps, de sorte que l'employeur n'a pas mis la salariée en mesure d'accepter de manière suffisamment éclairée la clause de forfait jours.
13. En statuant ainsi, alors que l'avenant conclu par les parties le 6 janvier 2012 visait l'accord collectif national sur l'organisation du travail du 28 juillet 1998 conclu dans la branche de la métallurgie dont le respect était de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours et fixait le nombre de jours travaillés, la cour d'appel, qui a ajouté des conditions, sur la régularité de la convention individuelle de forfait en jours, que la loi ne prévoit pas, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif statuant sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, qui sont justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de l'employeur et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit la convention de forfait en jours nulle et condamne la société Claranor à payer à Mme [W] la somme de 18 000 euros brut au titre des heures supplémentaires, outre la somme de 1 800 euros brut pour les congés payés afférents, l'arrêt rendu le 31 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne Mme [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé par le président en son audience publique du quatre septembre deux mille vingt-quatre, signé par lui, par Mme Cavrois conseiller le plus ancien en ayant délibéré, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, et par le greffier de chambre, conformément aux dispositions des articles 452 et 1021 du code de procédure civile.