LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
FC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 juillet 2024
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 424 F-D
Pourvoi n° V 22-23.451
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024
1°/ Mme [M] [U] épouse [V], domiciliée [Adresse 8],
2°/ M. [N] [U], domicilié [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° V 22-23.451 contre l'arrêt rendu le 27 septembre 2022 par la cour d'appel d'Angers (chambre A - civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [H] [K], domicilié [Adresse 10],
2°/ à la société de Lajoanne, exploitation agricole à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 10],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bosse-Platière, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [U], de M. [U], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [K], de la société de Lajoanne, après débats en l'audience publique du 11 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Bosse-Platière, conseiller rapporteur, Mme Grandjean, conseiller faisant fonction de doyen et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 27 septembre 2022), par acte du 22 novembre 1990, à effet au 1er décembre suivant, [C] [U] a donné à bail rural à long terme à M. et Mme [K] des parcelles agricoles, puis il a autorisé la cession de ce bail à leur fils [H] [K] à compter du 1er septembre 2022.
2. Par acte du 24 mai 2016, M. [N] [U] et Mme [M] [U] épouse [V], venant aux droits de [C] [U], ont signifié à M. [H] [K], et à l'exploitation agricole à responsabilité limitée de Lajoanne (l'EARL), au profit de laquelle les biens loués sont mis à disposition, un congé refusant le renouvellement du bail pour le 30 novembre 2017.
3. M. [H] [K] et l'EARL ont saisi un tribunal paritaire des baux ruraux aux fins d'annulation de ce congé.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. [N] [U] et Mme [M] [U] épouse [V] font grief à l'arrêt de prononcer la nullité du congé, alors :
« 1°/ que le bailleur peut s'opposer au renouvellement du bail s'il justifie d'agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds tel qu'il a été loué ; que constituent de tels agissements le fait pour le preneur d'avoir réalisé des travaux - sans l'accord du bailleur - sur des parcelles agricoles cultivables louées en nature de pré ou de terre tendant à accroître leur caractère humide les ayant rendus non cultivables ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que M. [K] a créé deux mares, sur les parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 5], un petit étang sur la parcelle [Cadastre 3] et des merlons permettant une rétention d'eau sur les parcelles [Cadastre 2], [Cadastre 3] et [Cadastre 6] ; qu'en outre, les bailleurs faisaient valoir que M. [K] a mis en oeuvre sans leur accord un projet consistant à accentuer le caractère humide des parcelles louées à l'extrême modifiant leur destination en les rendant inexploitables et donc non valorisables en parcelles agricoles ; qu'en se bornant à retenir, pour annuler le congé litigieux, que si M. [K] a effectivement réalisé des aménagements sans l'accord du bailleur qui ont eu pour effet d'accentuer le caractère humide desdites parcelles, il ressort d'un courrier du 25 juillet 2016 de l'administration en charge des questions relatives à l'eau et à l'environnement que les parcelles litigieuses étaient situées en zone humide avant les travaux entrepris par le preneur sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si lesdits travaux n'avaient pas eu pour effet de rendre les parcelles louées improductives et inaccessibles pour les exploiter dans de bonnes conditions pour tout exploitant agricole, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 411-53 et L. 411-31, I, 2° du code rural et de la pêche maritime ;
2°/ que si le fait que le preneur applique sur les terres prises à bail des pratiques ayant pour objet, notamment, la préservation de la ressource en eau et de la biodiversité ne peut être invoqué à l'appui d'une demande en résiliation lorsqu'elle est formée par le bailleur en application de l'article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime, ce dernier peut, en application de l'article L. 411-31, I, 2° du même code, s'opposer au renouvellement du bail s'il justifie que ces agissements sont de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds tel qu'il a été loué ; qu'en retenant, pour annuler le congé litigieux, que les objectifs poursuivis par les aménagements réalisés par M. [K] qui ont accru le caractère humide des parcelles seraient conformes à ceux énoncés par l'alinéa 2 de l'article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime et ne pourraient par conséquent être invoqués pour justifier une résiliation du bail quand les bailleurs avaient délivré un congé pour non renouvellement fondé sur les articles L. 411-53 et L. 411-31, I, 2° du code rural et de la pêche maritime en soutenant que les travaux réalisés sans leur accord par M. [K] avaient accentué le caractère humide des parcelles louées à l'extrême modifiant leur destination en les rendant inexploitables et donc non valorisables en parcelles agricoles, la cour d'appel, qui a statué par des motifs erronés, a violé les articles L. 411-53 et L. 411-31, I, 2° du code rural et de la pêche maritime ;
3°/ que le bailleur peut s'opposer au renouvellement du bail s'il justifie d'agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds tel qu'il a été loué ; que constituent de tels agissements le fait pour le preneur, cherchant à assouvir sa passion pour la chasse, d'avoir - sans l'accord du bailleur - réalisé sur les parcelles agricoles cultivables louées en nature de pré ou de terre des travaux tendant à accroître leur caractère humide favorisant ainsi l'implantation d'une faune plus diversifiée et de ne pas entretenir ces parcelles pour que s'y développe une végétation propice à attirer des lapins ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé qu'il ressort d'un courrier du 25 juillet 2016 de l'administration en charge des questions relatives à l'eau et à l'environnement que les travaux effectués par M. [K] permettent d'accroître le caractère humide de ce milieu favorisant l'implantation d'une faune et d'une flore plus diversifiées sur ces prairies ; que, par ailleurs, les bailleurs faisaient valoir qu'il ressortait du procès-verbal de constat d'huissier que ces aménagements avaient en réalité pour finalité d'assouvir la passion dévorante de M. [K] pour la chasse, ce dernier ayant déclaré à l'huissier avoir disposé dans la mare créée sur la parcelle [Cadastre 5] des canards en plastique afin de servir de leurres et laissé se développer de larges buissons de ronces sur les parcelles [Cadastre 4], [Cadastre 7] et [Cadastre 2] pour attirer les lapins ; qu'en se bornant à retenir, pour annuler le congé litigieux, que les parcelles litigieuses étaient bien situées en zone humide avant les travaux entrepris par le preneur et que le procès-verbal de constat ne mettrait pas en évidence un défaut d'entretien caractérisé sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ces travaux et les défauts d'entretien constatés, qui rendaient les terres impropres à une activité agricole, n'avaient pas pour finalité de transformer des terres agricoles en espace de chasse pour M. [K], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 411-53 et L. 411-31, I, 2° du code rural et de la pêche maritime ;
4°/ que le bailleur peut s'opposer au renouvellement du bail s'il justifie d'agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds tel qu'il a été loué ; qu'il importe peu que seule une partie du fonds loué soit impactée par ces agissements dès lors que celle-ci n'est pas négligeable ; qu'en retenant, pour annuler le congé litigieux, que les aménagements concernent des parcelles d'une surface d'environ 3 hectares sur les 20 hectares concernés par le bail, la cour d'appel a violé les articles L. 411-53 et L. 411-31, I, 2° du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel a, d'abord, à bon droit, énoncé qu'il résulte de la combinaison des articles L. 411-53 et L. 411-31 du code rural et de la pêche maritime que le bailleur peut s'opposer au renouvellement du bail s'il justifie que le preneur a commis des agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds.
6. Elle a, ensuite, constaté que le preneur avait réalisé des aménagements sur certaines des parcelles faisant l'objet du bail pour y réaliser des retenues d'eau et y planter des arbres, mettant en oeuvre des pratiques ayant pour objet la préservation de la ressource en eau, de la biodiversité, de la qualité des sols et de la lutte contre l'érosion.
7. Elle a, enfin, relevé que ces aménagements portaient sur des parcelles déjà classées en zone humide avant les aménagements du preneur, selon la lettre détaillée du 25 juillet 2016 de la direction départementale des territoires du [Localité 9], que les changements mis en oeuvre concernaient des parcelles d'une surface d'environ trois hectares sur les vingt hectares donnés à bail, et que le constat produit ne révélait que des défauts d'entretien mineurs.
8. Elle a souverainement déduit de ces seuls motifs que les bailleurs n'établissaient pas que ces aménagements étaient de nature à compromettre la bonne exploitation du fond et a ainsi légalement justifié sa décision.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [N] [U] et Mme [M] [U] épouse [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [N] [U] et Mme [M] épouse [V] et les condamne in solidum à payer à M. [H] [K] et l'exploitation agricole à responsabilité limitée de Lajoanne la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.