LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
HM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 juin 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 391 F-D
Pourvoi n° A 23-14.306
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 JUIN 2024
La société Fonderie et mécanique générale castelbriantaise, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 23-14.306 contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société ADP Europe, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Fonderie et mécanique générale castelbriantaise, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société ADP Europe, après débats en l'audience publique du 14 mai 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 janvier 2023), par contrat du 28 septembre 2009, la société Fonderie mécanique générale castelbriantaise (la société FMGC) a convenu avec la société ADP Europe (la société ADP), spécialiste de la paie, de l'administration du personnel, de la gestion des ressources humaines et de la gestion des temps, que celle-ci lui fournirait un logiciel en vue du traitement informatique de la paie et de la gestion administrative de son personnel.
2. En décembre 2016, la société FMGC a découvert que la valeur horaire de la prime d'ancienneté sur les bulletins de salaire de ses salariés était calculée sur une base de 39 heures au lieu de 35 heures depuis septembre 2015.
3. Par lettre du 12 décembre 2016, la société FMGC a réclamé à la société ADP la prise en charge du surcoût des primes qu'elle avait versées à ses salariés.
4. Faute d'accord entre les parties, la société FMGC a assigné la société ADP en paiement de la somme de 95 179,82 euros représentative des salaires, des charges sociales et des indemnités de congés indûment acquittés au titre des primes d'ancienneté.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La société FMGC fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société ADP à lui payer la somme de 14 652 euros avec intérêts à compter de la date de l'arrêt, alors « que le juge doit observer et faire observer le principe de la contradiction ; qu'en retenant que les tensions sociales "constituent une probabilité raisonnable de renoncement [au recouvrement du trop-versé] que la cour estimera à 30%", quand aucune partie n'a plaidé une approche probabiliste, la cour d'appel a fondé son arrêt sur un moyen relevé d'office et non-soumis au contradictoire des parties ; que, ce faisant, elle a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
6. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
7. Pour condamner la société ADP à payer à la société FMGC la somme de 14 652 euros, l'arrêt retient que celle-ci disposait de la faculté, de droit, de répéter auprès de ses salariés la part de la prime qui leur avait été indûment versée, que les tensions sociales existant au sein de l'entreprise, dont la société FMGC établit la preuve qu'elles l'ont dissuadée de récupérer ces primes, constituent cependant une probabilité raisonnable de renoncement à ce recouvrement estimée à 30 % et que, le préjudice étant évalué à 48 840 euros après application du partage de responsabilité par moitié, la société ADP doit donc être condamnée à verser à la société FMGC la somme représentative de cette perte de chance.
8. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen, qu'elle avait relevé d'office, tiré de ce que le préjudice subi par la société FMGC consistait en une perte de chance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
9. La société FMGC fait le même grief à l'arrêt, alors « que la faute lourde, assimilable au dol, empêche le contractant auquel elle est imputable de limiter la réparation du préjudice qu'il a causé aux dommages prévus ou prévisibles lors du contrat et de s'en affranchir par une clause de non-responsabilité ; qu'en décidant que la faute de la société ADP n'était pas lourde, pour ne pas résulter d'un "refus délibéré" d'exécuter ses obligations, la cour d'appel a érigé le caractère intentionnel de la faute en condition de la qualification de faute lourde, quand le caractère intentionnel est un critère étranger à la loi ; que ce faisant, les juges du fond ont violé l'article 1150 devenu 1231-3 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1150 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
10. Il résulte de ce texte que la faute lourde, assimilable au dol, empêche le contractant auquel elle est imputable de limiter la réparation du préjudice qu'il a causé aux dommages prévus ou prévisibles lors du contrat et de s'en affranchir par une clause de non-responsabilité.
11. Constitue une faute lourde le comportement d'une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur de l'obligation à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il avait acceptée.
12. Pour dire que la clause limitative de responsabilité prévue à l'article 7.2 du contrat est applicable, l'arrêt, après avoir retenu que la société ADP avait manqué à ses obligations contractuelles, retient qu'il ne se déduit pas de cette faute, à laquelle la société ADP a remédié dès qu'elle a été identifiée, la preuve d'un refus délibéré de l'exécution de l'obligation contractuelle, au sens de l'article 1150 du code civil, de sorte que le dol et les conséquences dont la société FMGC se prévaut doivent être écartés et que la clause limitative de responsabilité stipulée à l'article 7.2 du contrat doit être retenue pour plafonner le préjudice réparable.
13. En statuant ainsi, alors que l'existence d'une faute lourde n'exige pas la preuve de son caractère intentionnel, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société ADP Europe aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société ADP Europe et la condamne à payer à la société Fonderie mécanique générale castelbriantaise la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six juin deux mille vingt-quatre.