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12/06/2024 | FRANCE | N°52400581

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 12 juin 2024, 52400581


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


ZB1






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 12 juin 2024








Cassation partielle




Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président






Arrêt n° 581 F-D


Pourvoi n° D 22-19.917








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇ

AIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 JUIN 2024


Mme [B] [T], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 22-19.917 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2022 par la cour d'appel de...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 12 juin 2024

Cassation partielle

Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 581 F-D

Pourvoi n° D 22-19.917

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 JUIN 2024

Mme [B] [T], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 22-19.917 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant à la société La Tradition de [Localité 3], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Cavrois, conseiller, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de Mme [T], après débats en l'audience publique du 7 mai 2024 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Cavrois, conseiller rapporteur, Mme Deltort, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 juin 2022), soutenant avoir été employée par la société La Tradition de [Localité 3], en qualité de vendeuse, par contrat verbal à durée indéterminée à compter du 1er octobre 2017, Mme [T] a, le 19 octobre 2020, saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture de la relation de travail.

2. Le 7 octobre 2020, la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de l'ensemble de ses demandes, alors :

« 1°/ que la signature d'un contrat de travail à durée déterminée par l'employeur a le caractère d'une prescription d'ordre public dont l'omission entraîne, à la demande du salarié, la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée ; qu'en retenant, dès lors, pour débouter Mme [T] de l'ensemble de ses demandes, qu'il n'avait pas existé de contrat de travail à durée indéterminée entre Mme [T] et la société La Tradition de [Localité 3], après avoir constaté que les parties ne contestaient pas l'existence du contrat de travail à durée déterminée conclu par Mme [T] et par la société La Tradition de [Localité 3], pour la période du 13 juin au 30 septembre 2019, sans rechercher, ainsi qu'elle y avait été invitée par Mme [T] à l'appui de sa prétention selon laquelle elle avait été liée à la société La Tradition de [Localité 3] par un contrat de travail à durée indéterminée, si le contrat de travail à durée déterminée produit par la société La Tradition de [Localité 3], pour la période du 13 juin au 30 septembre 2019, n'était pas dépourvu de la signature de la société La Tradition de [Localité 3], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article L. 1242-12 du code du travail ;

2°/ que la signature d'un contrat de travail à durée déterminée par le salarié a le caractère d'une prescription d'ordre public dont l'omission entraîne, à la demande du salarié, la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, sauf dans les seuls cas où le salarié a délibérément refusé de signer le contrat de travail de mauvaise foi ou dans une intention frauduleuse ; qu'en retenant, dès lors, pour débouter Mme [T] de l'ensemble de ses demandes, qu'il n'avait pas existé de contrat de travail à durée indéterminée entre Mme [T] et la société La Tradition de [Localité 3], après avoir constaté que les parties ne contestaient pas l'existence du contrat de travail à durée déterminée conclu par Mme [T] et par la société La Tradition de [Localité 3], pour la période du 13 juin au 30 septembre 2019, sans rechercher, ainsi qu'elle y avait été invitée par Mme [T] à l'appui de sa prétention selon laquelle elle avait été liée à la société La Tradition de [Localité 3] par un contrat de travail à durée indéterminée, si le contrat de travail à durée déterminée produit par la société La Tradition de [Localité 3], pour la période du 13 juin au 30 septembre 2019, n'était pas dépourvu de la signature de Mme [T], ni constater que Mme [T] avait délibérément refusé de signer le contrat de travail à durée déterminée de mauvaise foi ou dans une intention frauduleuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article L. 1242-12 du code du travail ;

3°/ qu'en présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d'en apporter la preuve ; qu'il résulte de la production d'un contrat de travail écrit signé par les parties l'existence d'un contrat de travail apparent entre ces parties ; qu'en énonçant, par conséquent, pour débouter Mme [T] de l'ensemble de ses demandes, que Mme [T] ne démontrait pas que le contrat de travail à durée déterminée signé par les parties le 28 décembre 2019, pour la période du 1er janvier au 31 mars 2020, avait été exécuté, qu'elle n'était notamment pas en mesure de produire des bulletins de paie, ni ne démontrait qu'elle les avait réclamés à date ou ultérieurement, quand, en l'état de la production par Mme [T] du contrat de travail à durée déterminée écrit signé par les parties le 28 décembre 2019, elle était en présence d'un contrat de travail apparent et quand, en conséquence, il appartenait à la société La Tradition de [Localité 3] d'apporter la preuve du caractère fictif de ce contrat de travail, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé les dispositions de l'article 1353 du code civil et de l'article L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. En application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour d'appel ne peut statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions d'appel.

5. La cour d'appel, qui a constaté que dans le dispositif des conclusions de la salariée, ne figurait aucune demande subsidiaire attachée à la demande de « requalification du contrat de travail à durée indéterminée du 1er octobre 2017 en un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet », n'était pas tenue de statuer sur des demandes en requalification des contrats à durée déterminée portant sur les périodes du 13 juin au 30 septembre 2019 ou du 1er janvier au 31 mars 2020, dont elle n'était pas saisie, fût-ce à titre subsidiaire.

6. Le moyen, qui pris en ses trois branches est inopérant, n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de l'ensemble de ses demandes, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments et le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences posées par les dispositions des articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du code du travail, qui imposent à l'employeur, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, d'établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés, et de tenir à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ; qu'en énonçant, par conséquent, après avoir constaté que les parties ne contestaient pas l'existence du contrat de travail à durée déterminée conclu par Mme [T] et par la société La Tradition de [Localité 3], pour la période du 13 juin au 30 septembre 2019, pour débouter Mme [T] de ses demandes de rappel de salaires correspondant à des heures supplémentaires pendant la période du 13 juin au 30 septembre 2019 et de ses demandes subséquentes de congés payés et d'indemnité pour travail dissimulé, que Mme [T] ne fournissait pas d'éléments précis, réels et vérifiables sur ses horaires pendant cette période et procédait par calcul forfaitaire dénué de toute réalité et vraisemblance, quand, en se déterminant de la sorte, elle faisait reposer la charge de la preuve uniquement sur Mme [T] et quand la société La Tradition de [Localité 3] ne produisait aucun élément sur la durée du travail de Mme [T] pendant la période du 13 juin au 30 septembre 2019, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

8. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

9. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

10. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

11. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement de rappel de salaire au titre des heures de travail effectuées pendant la période du 13 juin au 30 septembre 2019, l'arrêt retient que la salariée indique qu'elle effectuait 48 heures de travail effectif par semaine et travaillait tous les jours sauf le mercredi de 6 heures à 10 heures et de 16 heures à 21 heures alors qu'un témoin indique qu'elle le servait chaque fois sauf le mardi. L'arrêt ajoute qu'un autre témoin déclare aller tous les jours, deux fois par jour, le matin et le soir à la boulangerie et que c'est la salariée qui le servait à chaque fois, ce qui n'est pas davantage compatible avec l'emploi du temps décrit par cette dernière.

12. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la salariée présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation prononcée au titre du rejet des heures supplémentaires pour la période du 13 juin au 30 septembre 2019 est sans incidence sur les chefs de dispositif de l'arrêt rejetant les demandes au titre de la requalification du contrat à durée indéterminée du 1er octobre 2017 en contrat à durée indéterminée à temps complet et de la rupture de la relation contractuelle, ni sur ceux rejetant les demandes en paiement de l'indemnité de requalification, de rappels de salaire correspondant aux périodes autres que celle du 13 juin au 30 septembre 2019, outre congés payés afférents et d'une indemnité pour défaut de visite d'information et de prévention d'embauche.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [T] de ses demandes en paiement d'un rappel de salaire au titre de la période allant du 13 juin au 30 septembre 2019, outre congés payés afférents, d'une indemnité pour travail dissimulé, de dommages-intérêts pour non-respect de l'amplitude horaire hebdomadaire et pour non-respect du repos hebdomadaire, de sa demande tendant à ce que soit ordonnée la remise de bulletins de salaire pour la période du 13 juin au 30 septembre 2019 conformes et en ce qu'il condamne Mme [T] aux dépens et au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 9 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société La Tradition de [Localité 3] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société La Tradition de [Localité 3] à payer à Mme [T] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52400581
Date de la décision : 12/06/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 09 juin 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 12 jui. 2024, pourvoi n°52400581


Composition du Tribunal
Président : Mme Monge (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Yves et Blaise Capron

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:52400581
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