LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 juin 2024
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 282 F-D
Pourvois n°
J 22-24.591
K 23-11.647 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUIN 2024
I- M. [L] [V], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° J 22-24.591 contre un arrêt rendu le 7 septembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4 chambre 5), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société France ouvrages, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à M. [Z] [R], domicilié [Adresse 4],
3°/ à la société BTSG, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [H] [U], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Développement bâtiment amplitude,
défendeurs à la cassation.
II- M. [Z] [R], a formé le pourvoi n° K 23-11.647 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [L] [V],
2°/ à la société France ouvrages, société à responsabilité limitée,
3°/ à la société BTSG, société civile professionnelle, en la personne de M. [H] [U], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Développement bâtiment amplitude,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur au pourvoi n° J 22-24.591 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le demandeur au pourvoi n° K 23-11.647 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de M. [R], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [V], après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° J 22-24.591 et K 23-11.647 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à M. [R] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société France ouvrages.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 septembre 2022) et les productions, M. [R] a, par l'intermédiaire de la société Développement bâtiment amplitude (la société DBA), désormais en liquidation judiciaire, et de M. [V], acquis le 1er août 2015 un château inscrit sur la liste des monuments historiques, afin de le restaurer et de proposer des appartements à la location.
4. La société DBA a établi un devis de réhabilitation et de rénovation et M. [R] lui a payé des factures correspondant aux travaux réalisés sur le chantier.
5. S'inquiétant d'un écart entre les sommes perçues par la société DBA et celles reversées aux entreprises intervenantes, M. [R] a suspendu tout paiement à la société DBA et celle-ci a cessé de régler les entreprises.
6. M. [R] a assigné la société DBA et M. [V], en sa qualité de gérant de fait de cette dernière, en restitution de la totalité des sommes versées.
7. La société France ouvrages, intervenue sur le chantier, a, parallèlement, assigné la société DBA et M. [V] en paiement de factures lui restant dues.
8. Les instances ont été jointes.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° J 22-24.591
Enoncé du moyen
9. M. [V] fait grief à l'arrêt de le condamner, solidairement avec la société DBA, à payer à la société France ouvrages une certaine somme au titre du solde des factures restant dû, et une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ que le contrat ne crée d'obligations qu'entre les parties ; que les tiers ne peuvent se voir contraints de l'exécuter ; que la cour d'appel a constaté que le devis de la société France ouvrages du 10 novembre 2015 pour un montant de 340 000 euros HT, a été accepté par M. [V] « agissant pour le compte de l'entreprise principale » la société Développement bâtiment amplitude ; qu'en condamnant M. [V], en sa qualité de dirigeant de fait, solidairement avec la société Développement bâtiment amplitude, à payer à la société France ouvrages la somme de 108 130,25 euros au titre du solde des factures restant dû, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction applicable, ensemble l'article L. 223-22 du code de commerce ;
2°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que la société France ouvrages invoquait, pour solliciter la condamnation personnelle de M. [V] au paiement de la dette de la société Développement bâtiment amplitude, une faute de M. [V] tenant au défaut de paiement de la dette de la société quand cette dernière disposait des fonds pour son règlement ; qu'en retenant, pour condamner M. [V] en sa qualité de dirigeant de fait de la société Développement bâtiment amplitude, à payer à la société France ouvrages la somme de 108 130,25 euros au titre du solde des factures restant dû, qu'il a commis une faute en étant gérant de fait malgré l'interdiction de gérer dont il était l'objet, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ que la responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers ne peut être retenue que s'il a commis une faute détachable de ses fonctions ; qu'une telle faute suppose un comportement du dirigeant intentionnel et d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales ; qu'en se bornant à énoncer, pour condamner M. [V], en sa qualité de dirigeant de fait, de la société Développement bâtiment amplitude, à payer à la société France ouvrages la somme de 108 130,25 euros au titre du solde des factures restant dû, qu'il a commis une faute en étant gérant de fait malgré l'interdiction de gérer dont il était l'objet, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'une faute détachable de ses fonctions et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 devenu 1240 du code civil et L. 223-22 du code de commerce ;
4°/ que la responsabilité personnelle du gérant à l'égard des tiers suppose une faute détachable des fonctions, un préjudice et un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice ; que la faute détachable doit être la cause directe et immédiate du préjudice ; qu'en se bornant à énoncer, pour condamner M. [V] en sa qualité de dirigeant de fait de la société Développement bâtiment amplitude, à payer à la société France ouvrages la somme de 108 130,25 euros au titre du solde des factures restant dû, qu'il a commis une faute en étant gérant de fait malgré l'interdiction de gérer, sans caractériser le lien de causalité entre la faute ainsi retenu et le préjudice de la société France ouvrages constitué du non-paiement du solde de sa créance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 devenu 1240 du code civil et L. 223-22 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
10. La cour d'appel a retenu que M. [V], qui avait été condamné pénalement pour détournement de fonds et abus de confiance, alors qu'il était le gérant de fait d'une entreprise, s'était comporté, en dépit de l'interdiction de gérer résultant d'une mesure de faillite personnelle d'une durée de trente ans, prononcée contre lui par un jugement du 21 septembre 1995, confirmé en appel, comme gérant de fait de la société DBA.
11. Elle a constaté qu'il avait signé le devis de réhabilitation et de rénovation et plusieurs factures adressées à M. [R], retenu qu'il avait indirectement engagé le maître de l'ouvrage en signant en ses lieu et place des contrats de maîtrise d'oeuvre et relevé que le gérant de la société France ouvrages avait attesté que M. [V] avait déclaré, lors d'une visite sur le chantier le 13 mai 2016, ne pas pouvoir payer l'entreprise pour avoir utilisé, pour ses propres affaires, les fonds qui lui avaient été remis par M. [R], à hauteur d'une somme de 400 000 euros.
12. Ayant ainsi fait ressortir, sans modifier l'objet du litige, la faute personnelle de M. [V], détachable de ses fonctions de dirigeant de fait de la société DBA, et le lien de causalité entre cette faute et la créance de la société France ouvrages, demeurée impayée de ses prestations en dépit des fonds avancés par le maître de l'ouvrage à la société DBA, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
Sur le premier moyen du pourvoi n° K 23-11.647
Enoncé du moyen
13. M. [R] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en restitution des sommes versées à la société DBA, alors :
« 1°/ que dans ses conclusions d'appel, M. [Z] [R] soutenait que le montant des sommes qu'il avait versées « ne pouvait évidemment constituer la preuve de l'existence d'un accord écrit entre les parties ni bien sûr justifier de l'exécution de leurs obligations par M. [V] et la société DB Amplitude », en précisant que « le démarrage des travaux nécessitait le versement de sommes importantes » et qu' « au cours des 6 premiers mois, M. [R] faisait confiance à M. [V] et réglait sans discussion les factures présentées » ; que dès lors, en se contentant d'énoncer, pour débouter M. [R] de sa demande de restitution de la somme de 715 510,70 euros, qu'en payant sans les contester les factures que la société DB Amplitude lui avait adressées entre le 20 septembre et le 28 décembre 2015 qui concernaient l'opération de réhabilitation et de rénovation du château de Drudas et appelaient des paiements selon les lots énumérés dans un devis non signé daté du 28 juillet 2015, M. [R], qui n'était pas profane en matière de construction et de relation d'affaires, avait admis la réalité d'une relation contractuelle avec la société DB Amplitude et reconnu que celle-ci, représentée par M. [V] agissant comme gérant de fait, intervenait sur le chantier en qualité d'entreprise générale ou encore d'entreprise principale sous-traitant les différents lots à diverses entreprises, avec lesquelles il n'avait lui-même aucun lien contractuel, de sorte que ses paiements étaient causés, fondés sur des relations contractuelles au moins verbales entre les parties et répondant à des prestations effectivement exécutées sur le chantier dont il était le maître de l'ouvrage, sans répondre au moyen opérant précité dont elle était saisie tiré de ce que M. [R] avait procédé au paiement des sommes litigieuses dans la croyance qu'elles seraient reversées aux intervenants sur le chantier pour couvrir le démarrage des travaux qui nécessitait des fonds importants, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que les juges du fond ne peuvent statuer sur les demandes dont ils sont saisis sans examiner, fût-ce pour les écarter, l'ensemble des éléments de preuve produits par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en énonçant, pour débouter M. [R] de sa demande de restitution de la somme de 715 510,70 euros, que ce dernier avait payé, sans jamais les contester, les factures que la société DB Amplitude lui avait adressées entre le 20 septembre et le 28 décembre 2015 qui concernaient l'opération de réhabilitation et de rénovation du château de Drudas et appelaient des paiements selon les lots énumérés dans un devis non signé daté du 28 juillet 2015 et qu'en payant ainsi, M. [R] avait admis la réalité d'une relation contractuelle avec la société DB Amplitude et reconnu que celle-ci, représentée par M. [V] agissant comme gérant de fait, intervenait sur le chantier en qualité d'entreprise générale ou encore d'entreprise principale sous-traitant les différents lots à diverses entreprises, avec lesquelles il n'avait lui-même aucun lien contractuel, de sorte que ses paiements étaient causés, fondés sur des relations contractuelles au moins verbales entre les parties et répondant à des prestations effectivement exécutées sur le chantier dont il était le maître de l'ouvrage, sans même examiner, fût-ce pour les écarter, les échanges intervenus entre M. [V] et M. [R], par lesquels ce dernier contestait les paiements effectués et sollicitait la régularisation d'un cadre contractuel clair entre les parties, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
14. La cour d'appel, appréciant souverainement les éléments de preuve soumis à son examen, et qui n'était pas tenue de s'expliquer sur ceux qu'elle décidait d'écarter, a relevé que M. [R], qui n'était pas profane en matière de construction ni de relations d'affaires, avait réglé, sans jamais les contester, les factures émises par la société DBA entre le 21 mai et le 28 décembre 2015, à hauteur d'une somme supérieure à deux millions d'euros, et retenu qu'il avait, ce faisant, admis la relation contractuelle avec cette société, qui intervenait sur le chantier en qualité d'entreprise générale ou d'entreprise principale ayant recours, pour les différents lots, à des sous-traitants avec lesquels il n'avait lui-même aucun lien contractuel, les sommes versées à celle-ci étant destinées à payer ces sous-traitants et à la rémunérer elle-même.
15. Elle en a déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que, ces paiements étant fondés sur la relation contractuelle, au moins verbale, existant entre les parties et correspondant aux prestations effectivement exécutées sur le chantier, la demande de M. [R] tendant à la restitution de ces sommes ne pouvait pas être accueillie.
16. Elle a, ainsi, légalement, justifié sa décision.
Sur le second moyen du pourvoi n° K 23-11.647
Enoncé du moyen
17. M. [R] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société DBA une certaine somme pour solde de tout compte, alors « que dans ses conclusions d'appel, M. [Z] [R] soutenait que la société DB Amplitude ne craignait pas « de solliciter [sa] condamnation à [lui] régler la somme de 510 335,10 euros TTC ¿pour solde tout compte au titre de travaux réalisés au visa des factures impayées de l'année 2016' sans fournir la moindre explication sur ce montant dans leurs écritures ni donc évidemment la preuve de la réalisation d'une quelconque prestation en contrepartie » et faisait valoir que M. [V] n'avait fourni aucune réponse à ses questions « sur l'état d'avancement du chantier » ; qu'en retenant, pour condamner M. [R] à payer à la société DB Amplitude la somme de 510 335 euros pour solde de tout compte, que si M. [R] avait cessé tout paiement au profit de la société DB Amplitude fin 2015, le chantier s'était poursuivi en 2016, ce que M. [R] ne contestait pas, et que la créance dont se prévalait la société DB Amplitude s'appuyait sur la poursuite des relations contractuelles en place dans le cadre de la restauration du château de Drudas, ainsi que le rappelaient les factures adressées à M. [R], et sur la poursuite par les sous-traitants de leurs prestations dont il avaient eux-mêmes exigé le paiement, de sorte qu'elle était certaine, liquide et exigible, sans répondre au moyen opérant précité dont elle était saisie tiré de ce que la société DB Amplitude ne justifiait pas le quantum de sa créance, au regard de l'état d'avancement effectif du chantier, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
18. La cour d'appel a relevé que, si M. [R] avait cessé tout paiement au profit de la société DBA fin décembre 2015, toutes les entreprises avaient poursuivi leurs prestations et continué à adresser à celle-ci leurs situations et les factures correspondantes jusqu'au mois d'avril 2016 et que la société DBA avait été condamnée à paiement en faveur de trois d'entre elles.
19. Ayant retenu, répondant en les écartant aux conclusions prétendument délaissées, que M. [R] ne contestait ni la poursuite des travaux ni la réalité de leur avancée, elle a pu le condamner à payer à la société DBA une somme, dont elle a souverainement apprécié le montant, à titre de solde de tout compte.
20. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juin deux mille vingt-quatre.