LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
FC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 mai 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 278 FS-B
Pourvoi n° Q 22-22.158
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 MAI 2024
M. [K] [A], domicilié [Adresse 5], a formé le pourvoi n° Q 22-22.158 contre l'arrêt rendu le 2 juin 2022 par la cour d'appel de Rennes (chambre des baux ruraux), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [V] [S] épouse [N], domiciliée [Adresse 4],
2°/ à Mme [J] [S] épouse [W], domiciliée [Adresse 1],
3°/ à M. [O] [S], domicilié [Adresse 3],
4°/ à Mme [C] [S] épouse [P], domiciliée [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [A], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mmes [V], [J], [C] [S] et de M. [O] [S], l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 avril 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, M. David, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Proust, Pic, conseillers, Mme Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 2 juin 2022), par acte du 29 septembre 1993, [J] [S] a donné à bail à ferme à [D] [A] diverses parcelles, qu'il a mises, à compter de 2004, à la disposition de l'exploitation agricole à responsabilité limitée [A] St Maudez (l'EARL), dont il était l'unique associé.
2. [D] [A] est décédé le 14 septembre 2017, laissant pour recueillir sa succession sa conjointe survivante, qui a cantonné ses droits à la résidence principale, et ses quatre enfants, Mme [E] [A] et MM. [L], [F] et [K] [A] (les consorts [A]).
3. Par lettre simple datée du 1er mars 2018 et adressée à l'EARL, [J] [S] a notifié sa décision de résilier le bail.
4. [J] [S] est décédée, laissant pour lui succéder Mmes [V], [J] et [C] [S] et M. [O] [S] (les consorts [S]).
5. Le 19 décembre 2019, M. [K] [A] a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en constat de la continuation du bail à son profit, en rétablissement de l'accès aux parcelles et en indemnisation.
6. Mmes [J] et [C] [S] et M. [O] [S] sont intervenus volontairement à l'instance.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. M. [K] [A] fait grief à l'arrêt de constater la résiliation du bail, de le déclarer occupant sans droit ni titre des parcelles et d'ordonner son expulsion, alors « que la notification de la résiliation du bail par lettre simple équivaut à une absence de demande de résiliation ; qu'en retenant, pour dire que le bail avait été résilié, que le courrier simple adressé le 1er mars 2018 à l'EARL [A] St Maudet constituait une notification régulière de la résiliation du bail, la cour d'appel a violé l'article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime ».
Réponse de la Cour
8. Selon l'article L. 411-34, alinéa 3, du code rural et de la pêche maritime, le bailleur peut demander la résiliation du bail dans les six mois à compter du jour où le décès est porté à sa connaissance lorsque le preneur décédé ne laisse pas de conjoint, de partenaire d'un pacte civil de solidarité ou d'ayant droit participant à l'exploitation ou y ayant participé effectivement au cours des cinq années antérieures au décès.
9. Il résulte de ce texte, qui ne pose aucune condition de forme, que la demande en résiliation peut être faite par tout moyen.
10. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
11. M. [K] [A] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la notification de la demande de résiliation du bail à une personne autre que celle du preneur équivaut à une absence de demande de résiliation ; qu'en considérant, pour dire que le bail avait été résilié, que le bailleur qui allègue avoir demandé la résiliation du bail peut établir par tous moyens que les ayants droit du preneur ont eu connaissance de sa demande de résiliation, de sorte que, dès lors que les ayants droit de [D] [A] ne contestaient pas avoir reçu le courrier du 1er mars 2018 adressé à l'Earl [A] Saint Maudet, ce courrier constituait une notification régulière de la résiliation du bail, la cour d'appel a violé l'article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
12. Les consorts [S] contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il serait contraire aux conclusions de M. [K] [A] devant la cour d'appel.
13. Cependant, celui-ci faisait valoir que, la lettre de résiliation ayant été envoyée à l'EARL, les consorts [S] étaient dans l'incapacité de prouver que la lettre de résiliation du 1er mars 2018 avait été portée à la connaissance des héritiers.
14. Le moyen, qui n'est pas contraire aux conclusions d'appel de M. [K] [A], est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 411-34, alinéa 3, du code rural et de la pêche maritime :
15. Selon ce texte, le bailleur peut demander la résiliation du bail dans les six mois à compter du jour où le décès est porté à sa connaissance lorsque le preneur décédé ne laisse pas de conjoint, de partenaire d'un pacte civil de solidarité ou d'ayant droit participant à l'exploitation ou y ayant participé effectivement au cours des cinq années antérieures au décès.
16. La demande de résiliation adressée par le bailleur à une personne autre que celle des ayants droit du preneur est sans effet à leur égard.
17. Pour constater la résiliation du bail à ferme, l'arrêt retient que, par lettre simple datée du 1er mars 2018, [J] [S] a notifié sa décision de résilier le bail et que les ayants droit de [D] [A] n'ont pas contesté, dans une lettre du 8 juin 2019 adressée aux consorts [S], avoir reçu cette demande.
18. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la lettre du 1er mars 2018 avait été adressée à l'EARL, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il donne acte à Mmes [J] et [C] [S] et à M. [O] [S] de leur intervention volontaire à l'instance, l'arrêt rendu le 2 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne Mmes [V], [J] et [C] [S] et M. [O] [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mmes [V], [J] et [C] [S] et M. [O] [S], et les condamne à payer à M. [K] [A] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente mai deux mille vingt-quatre.