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22/05/2024 | FRANCE | N°52400518

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 22 mai 2024, 52400518


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


CZ






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 22 mai 2024








Cassation partielle




Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président






Arrêt n° 518 F-D


Pourvoi n° Z 22-24.053








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAI

S
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 MAI 2024


La société Sedgwick France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Cunningham Lindsey France, a formé...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CZ

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 mai 2024

Cassation partielle

Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 518 F-D

Pourvoi n° Z 22-24.053

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 MAI 2024

La société Sedgwick France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Cunningham Lindsey France, a formé le pourvoi n° Z 22-24.053 contre l'arrêt rendu le 21 septembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l'opposant à M. [S] [X], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

M. [X] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Sedgwick France, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [X], après débats en l'audience publique du 24 avril 2024 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 septembre 2022), M. [X] a été engagé en qualité de directeur de la région Ouest par la société GAB Robins Francexpert-Accel, aux droits de laquelle vient la société Sedgwick France, à compter du 11 juin 2008.

2. Le 30 juillet 2015, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement d'un solde de primes au titre de plusieurs années et de dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour discrimination syndicale.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de l'employeur

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui, pris en sa première branche, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation et qui, pris en sa seconde branche, est irrecevable.

Mais sur le premier moyen du pourvoi incident du salarié, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors « qu'en application des articles L. 1152-1 et L.1154-1 du code du travail dans leur rédaction alors en vigueur, en cas de litige relatif à un harcèlement moral, il appartient aux juges du fond d'abord, de rechercher, si les faits avancés par le salarié sont établis, ensuite, si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral, et dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le grief tiré de l'absence de paiement des primes sur plusieurs années de même que celui tiré de la mise à l'écart de M. [X] par son installation dans une salle obscure étaient établis et laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral ; qu'en s'abstenant de rechercher si ces éléments, qu'elle a estimés établis et de nature à laisser présumer un harcèlement moral, étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail :

5. Il résulte de ces textes que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

6. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui laissent supposer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

7. Pour rejeter la demande en paiement de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral, l'arrêt retient que, s'agissant des primes retenues pour partie, l'employeur s'est refusé à appliquer le caractère exécutoire du jugement du 14 février 2020, qu'à la suite de l'abandon du projet Oriel, il a été proposé au salarié des postes d'expert et non de directeur de région, qu'il a perdu sa fonction d'encadrement et n'a pas obtenu de nouveau poste de directeur ni bénéficié d'entretiens annuels, qu'est produit le courriel d'un directeur de région dénonçant l'installation du salarié dans la salle obscure de la nouvelle extension du bureau et que le salarié dénonce l'absence d'attribution de dossiers après sa reprise à temps partiel thérapeutique, ce qui a conduit à la perte de sa certification. Il précise que les éléments ainsi établis, pris dans leur ensemble, font présumer une situation de harcèlement moral.

8. L'arrêt relève que si l'employeur répond qu'au regard des enjeux et du temps que devait consacrer le salarié à la négociation du PSE en 2016, il n'était pas possible de lui confier de nouveaux dossiers d'expertise qui l'auraient empêché d'exercer au mieux ses mandats, son agenda de janvier à mars 2017 comportait des journées disponibles en dehors de ses engagements de délégué syndical ne faisant pas obstacle à ce que lui soient confiées des expertises, il ajoute que l'employeur rappelle que la mission du salarié consistait à produire des dossiers d'expertise et à développer le portefeuille de clients et qu'il était tenu en tant qu'expert senior d'apporter des missions et non d'attendre qu'il lui en confie, que des postes d'expert lui ont été proposés en janvier 2016 avec des rémunérations attractives que celui-ci a refusés, que le salarié a bénéficié des formations requises pour conserver sa certification de 2013 à 2017, que le salarié, ayant refusé que son entretien annuel soit conduit par le directeur de la région sud-ouest estimant que celui-ci avait un niveau de classification inférieur au sien, a contribué à l'absence d'entretien annuel, que sa candidature pour un poste de responsable de pôle n'a pas été retenue. Il en conclut que l'employeur apporte des justifications objectives à ses agissements.

9. En statuant ainsi, sans constater que l'employeur prouvait que chacun des agissements invoqués, notamment l'absence de paiement des primes et l'installation du salarié dans un bureau obscur, était justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait grief à l'arrêt attaqué de le débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, alors « qu'en application des articles L. 1132-1 et L.1134-1 du code du travail, dans leur rédaction alors en vigueur, en cas de litige relatif à une discrimination, il appartient au juge de se prononcer sur tous les éléments avancés par le salarié et de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments établis par le salarié laissent présumer l'existence d'une discrimination ; dans l'affirmative, il lui appartient alors de rechercher si l'employeur établit que ses agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que M. [X] avait été privé du paiement de ses primes sur plusieurs années et n'avaient bénéficié d'aucune entretien individuel et que ces faits, qui étaient établis, étaient de nature à laisser présumer une discrimination ; qu'en s'abstenant de rechercher si ces faits étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail :

11. En application des deux textes susvisés, lorsque le salarié présente plusieurs éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

12. Pour débouter le salarié de sa demande, l'arrêt relève d'abord que celui-ci dénonce le défaut de versement d'une partie de la prime de 15 000 euros dépendant du chiffre d'affaires de 2014, l'absence d'entretien individuel depuis 2013 et d'entretien annuel de mi-carrière à compter de l'âge de 45 ans, sa mise à l'écart de la clientèle depuis 2014, l'absence de perception d'indemnités de déplacement et de défraiement forfaitaires, le défaut de paiement en 2015 de la prime due au titre de l'année 2014 concomitant de son élection comme représentant du personnel en décembre 2014 et sa privation de parole sur un sujet lors de la réunion du 5 janvier 2016. Il conclut que ces éléments pris dans leur ensemble font présumer une discrimination syndicale.

13. L'arrêt relève ensuite que l'employeur établit que le salarié, malgré une moindre rémunération variable de 2014 à 2017, a perçu la rémunération globale la plus élevée des salariés de sa catégorie au sein de la société et démontre qu'il a régulièrement pris la parole lors des réunions des instances paritaires de sorte qu'il n'a pas subi d'entrave à l'exercice de ses mandats et a été amené à s'exprimer lors de la réunion du 5 janvier 2016, qu'il a été indemnisé de ses frais de déplacement au-delà de ce qui est versé aux salariés dans le cadre du plan sécheresse et qu'il était destinataire des échanges au sein de l'entreprise. Il en conclut que l'employeur apporte des justifications objectives étrangères à toute discrimination syndicale aux agissements qui lui sont reprochés.

14. En statuant ainsi, sans constater que l'employeur prouvait que toutes ses décisions, notamment celle de ne pas payer certaines primes ni d'organiser un entretien individuel pendant plusieurs années, étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

15. Les cassations prononcées n'emportent pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par des condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de M. [X] en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral et discrimination syndicale, l'arrêt rendu le 21 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Sedgwick France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sedgwick France et la condamne à payer à M. [X] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mai deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52400518
Date de la décision : 22/05/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 21 septembre 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 22 mai. 2024, pourvoi n°52400518


Composition du Tribunal
Président : Mme Monge (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:52400518
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