LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 23-84.323 F-D
N° 00587
SL2
14 MAI 2024
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 MAI 2024
M. [I] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 4e chambre, en date du 4 juillet 2023, qui, pour provocation publique à la haine ou à la violence en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Le Griel, avocat de M. [I] [E], les observations de Me Bouthors, avocat de M. [N] [J], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [I] [E] a été poursuivi pour avoir, le 27 mars 2020, posté sur son compte Twitter un message dans lequel il avait écrit « Le premier islamiste a participé à l'attentat du 13 novembre à [Localité 2], le deuxième a lancé un appel à la prière du haut de son minaret à [Localité 1]. C'est [N] [J]. Tous les deux ont un même rêve : imposer l'islam à tous les Européens. #LyonSansIslamistes » et apposé, côte à côte, les photographies de MM. [T] [G] et [N] [J].
3. Par jugement du 21 février 2023, le tribunal correctionnel a déclaré M. [E] coupable de provocation publique à la haine ou à la violence en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion et l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
4. M. [E] a relevé appel de cette décision et le ministère public appel incident.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 21 février 2023 en ce qu'il a déclaré M. [E] coupable de provocation publique à la haine ou à la violence en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion à l'égard de M. [J] et l'a condamné à un emprisonnement de quatre mois avec sursis et à une amende de 5 000 euros, alors :
« 1°/ que les restrictions à la liberté d'expression imposées par la loi sont d'interprétation stricte ; que selon l'article 24, alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881, le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence qu'il prévoit n'est caractérisé que si la provocation est faite à raison de l'origine ou de l'appartenance ou de la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée de la personne ou du groupe de personnes visé ; qu'en l'espèce, le tweet incriminé, qui fait un rapprochement entre [T] [G], ayant participé à l'attentat du 13 novembre 2015 à [Localité 2], et [N] [J], imam ayant lancé un appel à la prière du haut de son minaret le 25 mars 2020 à [Localité 1], tous deux qualifiés d' « islamiste(s) » et présentés comme ayant « un même rêve : imposer l'islam à tous les Européens », vise M. [J] non pas à raison de son appartenance à la religion musulmane mais à raison de son adhésion et de sa participation alléguée au projet islamiste ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a dénaturé le sens et la portée des propos et photos incriminés et violé le texte susvisé ;
Réponse de la Cour
Vu l'article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :
6. Il résulte de ce texte que, pour être incriminée, la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence doit viser une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
7. Pour déclarer le prévenu coupable de ce délit, l'arrêt attaqué énonce que le message, dont le prévenu est l'auteur, vise à susciter un effet de choc et à marquer les esprits en mettant côte à côte et sur le même plan les photographies, de mêmes dimensions, de deux personnes vivantes et identifiables, l'une de M. [G], et l'autre de M. [J].
8. Les juges précisent que tous deux sont décrits comme des « islamistes » et comme poursuivant le « même rêve » d'imposer l'islam à tous les européens, le premier par le terrorisme, son implication dans des crimes terroristes étant mentionnée, le second pour avoir lancé un appel à la prière du haut du minaret de la mosquée de [Localité 1].
9. Ils indiquent que, par cette présentation qui pose une égalité entre une personne condamnée définitivement pour des faits de terrorisme unanimement réprouvés, dont les victimes se comptent par milliers, et M. [J], responsable religieux musulman, ce message n'exprime pas une opinion s'inscrivant dans un débat d'idées tendant éventuellement à obtenir ou influencer une décision publique mais constitue, en dehors de toute argumentation, une provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard de ce dernier à raison de sa seule religion, l'islam, en ce qu'il incite nécessairement les internautes à nourrir à son égard un sentiment d'hostilité et de rejet.
10. En se déterminant ainsi, alors que le fait de qualifier M. [J] « d'islamiste » vise l'intéressé, non pas à raison de son appartenance à la religion musulmane, mais du fait allégué de son adhésion et de sa participation supposées à l'islamisme radical, de sorte que l'un des éléments constitutifs du délit fait défaut, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquence de la cassation
12. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 4 juillet 2023 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
RAPPELLE que, du fait de la présente décision, le jugement de première instance perd toute force exécutoire ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mai deux mille vingt-quatre.