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14/05/2024 | FRANCE | N°C2400583

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 14 mai 2024, C2400583


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° J 23-81.175 F-D


N° 00583




SL2
14 MAI 2024




CASSATION SANS RENVOI




M. BONNAL président,














R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 MAI 2024






M. [G] [F]

a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 2 février 2023, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° J 23-81.175 F-D

N° 00583

SL2
14 MAI 2024

CASSATION SANS RENVOI

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 MAI 2024

M. [G] [F] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 2 février 2023, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [G] [F], les observations de la SCP Le Griel, avocat de M. [K] [S], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. A la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée le 25 juillet 2017 par M. [K] [S], M. [G] [F] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un particulier pour avoir publié sur son compte Twitter les propos suivants : « Je tombe sur ceci au sujet du nouveau président par intérim du FN (Le Temps des Savoirs, La Création, [T] [N],-mars 2005) « sur l'utilisation d'un gaz, par exemple, qu'on appelle le Zyklon B., moi, je considère que d'un point de vue technique il est impossible, je dis bien impossible, de l'utiliser dans des (...) exterminations de masse. Pourquoi ? parce qu'il faut plusieurs jours avant de décontaminer un local (...) où l'on a utilisé du zyklon B » ([K] [S], 14 avril 2000, [Localité 2]) ».

3. Le tribunal a relaxé M. [F] et prononcé sur les intérêts civils.

4. M. [S] a relevé appel de la décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que M. [F] a commis une faute civile fondée sur une diffamation publique envers un particulier, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'écrit poursuivi et des constatations de l'arrêt que, dans le tweet litigieux, monsieur [F] s'est limité à faire état de ce qu'il avait constaté la présence, dans une revue scientifique, d'un article relatant des propos à caractère négationniste recueilli auprès d'un responsable politique devenu président par interim du Front National ; qu'en retenant, en l'état d'un sujet d'intérêt général fondamental, car portant sur les positions révisionnistes du dirigeant par interim du Front National, que cet article scientifique ne constituait pas une base factuelle suffisante et qu'il appartenait au journaliste de se rapprocher de la partie civile ce qui lui aurait permis de constater que si les propos litigieux avaient bien été tenus par l'intéressé ce dernier citait alors des propos de [A] [H], quand un journaliste, qui se limite à reproduire en facsimilé un passage d'une revue scientifique, dispose d'une base factuelle suffisante lui permettant, tant qu'il ne s'en approprie pas les propos, d'en faire état au public sans vérification complémentaire, ce d'autant plus lorsqu'il s'avère en outre, au regard de l'écrit dont le passage poursuivi est extrait, que la citation des propos de [A] [H] par la partie civile s'inscrivait dans un discours consistant à mettre en doute l'existence des chambres à gaz en conférant une dimension scientifique aux thèses de [A] [H], ce qui rendaient cohérent les propos cités avec les positions de la partie civile sur les mêmes questions, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ subsidiairement, qu'il résulte de l'article publié par madame [W] [I] dans la revue scientifique « Le Temps des savoirs », revue interdisciplinaire de l'Institut universitaire de France, que monsieur [K] [S] a tenu, le 14 avril 2000 à [Localité 2], les propos suivants « [?] Le problème des chambres à gaz, mais moi je dis qu'on doit pouvoir discuter même de ce problème. Vous avez des révisionnistes, parce qu'il y a deux sortes de révisionnistes, ou de négationnistes. Il y a les espèces de timbrés et tous les provocateurs en faisant des plaisanteries de corniauds sur le malheur des autres, etc., qui à mon avis sont des gens détestables. Mais, moi il se fait que j'ai été amené à lire, par exemple, des ouvrages de gens qui sont des négationnistes ou des révisionnistes. Bon, ben moi, honnêtement, moi, je ne suis pas négationniste, mais je dis moi, quelque chose qui m'a énormément surpris, dans les travaux d'un négationniste ou d'un révisionniste sérieux, ce qui justement m'a surpris c'est le sérieux et la rigueur, je dirais, de l'argumentation. Bon, même un type comme [H], par exemple, qui est professeur à la faculté à [Localité 1], il est professeur de faculté, il est quand même prof, etc., je veux dire, j'ai lu un certain nombre de trucs soi-disant que l'on m'a recommandé parce que justement ça fait partie du débat, je crois qu'on ne peut pas avoir de position sur le sujet sans avoir lu le pour, le contre. Il dit : Moi je vous demande, je pose un certain nombre de questions sur le plan technique, je vous demande de répondre précisément à ces questions toc, toc, toc, toc. Il n'y a pas du tout de la haine, il n'y a pas du tout de volonté délibérée de nuire à qui que ce soit, je pose concrètement un certain nombre de questions, par exemple, sur l'utilisation chimique, je m'intéresse à un spécialiste de la chimie et je lui demande : sur l'utilisation d'un gaz, par exemple, qu'on appelle le Zykon B. [sic], moi, je considère que d'un point de vue technique il est impossible, je dis bien impossible de l'utiliser dans des [...] exterminations de masse. Pourquoi ? Parce qu'il faut plusieurs jours avant de décontaminer un local qui a été... où l'on a utilisé du Zyklon B » (Le Temps des savoirs, La Création, [T] [N], mars 2005, p. 149 et 150) ; qu'en retenant qu'il aurait suffi au journaliste de se reporter à la page précédente pour constater que les propos figurant dans l'extrait poursuivi étaient une citation par la partie civile des propos tenus par [A] [H] et non des propos qui lui étaient propres, quand il ressort que tant sur la forme ¿ absence de guillemets, style oral identique et emploi constant de la première personne du singulier ¿ que sur le fond ¿ position de la partie civile faisant état d'un « révisionnisme sérieux » et vantant le « le sérieux et la rigueur » des thèses de [A] [H] ¿ rien ne permettait de distinguer les passages où la partie civile faisait état de ses propres positions et ceux où elle citait [A] [H], la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme :

6. Selon ce texte, la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard de son paragraphe 2.

7. Pour infirmer le jugement et retenir l'existence d'une faute civile à l'encontre du prévenu, l'arrêt attaqué énonce, en substance, après avoir retenu que les propos poursuivis s'inscrivent dans un débat d'intérêt général, que le prévenu, journaliste, ne disposait, au moment de la publication, d'aucun élément lui permettant d'affirmer que la partie civile était l'auteur des propos qui lui étaient prêtés.

8. Les juges relèvent, sur ce point, que si lesdits propos sont extraits d'une interview de M. [S] figurant page 150 de la revue « Le Temps des savoirs », de mars 2005, il suffit de se reporter à la page précédente pour constater qu'il s'agit de propos de [A] [H], cités par la partie civile, sur la question des chambres à gaz pour mettre en avant les travaux d'un « négationiste ou d'un révisionniste sérieux ».

9. Ils ajoutent qu'il appartenait au prévenu, en sa qualité de journaliste, de vérifier ses sources et de prendre attache avec la partie civile pour recueillir sa position.

10. Ils en concluent que le seul extrait de la revue « Le Temps des savoirs » ne peut constituer une base factuelle suffisante.

11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

12. En effet, elle ne pouvait affirmer qu'il suffisait de se reporter à la page précédant celle dont les propos litigieux étaient extraits pour constater qu'il s'agissait d'une citation de propos tenus par [A] [H], alors que ceux-ci n'étaient pas précisément identifiés comme tels, notamment au moyen de guillemets, afin de les différencier des propos de la partie civile, à la seule exception d'une phrase, page 149 de la revue, précédée des mots « il dit » permettant de s'assurer que la partie civile citait alors [A] [H].

13. Dans ces circonstances, caractérisant une base factuelle suffisante, il ne pouvait être exigé du journaliste qu'il prenne ses distances à l'égard des propos qu'il rapportait, dès lors que leur diffusion participant d'un débat d'intérêt général portant, en l'espèce, sur le négationnisme allégué d'un responsable politique devenu président par interim du Front National, contribuait à la légitime information du public et ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d'expression.

14. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

N'impliquant pas qu'il soit à nouveau jugé sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L.411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 2 février 2023 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mai deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2400583
Date de la décision : 14/05/2024
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 02 février 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 14 mai. 2024, pourvoi n°C2400583


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SCP Le Griel, SCP Sevaux et Mathonnet

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2400583
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