LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
HM1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 mars 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 98 FS-B
Pourvoi n° A 22-22.651
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 MARS 2024
La société Factofrance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 22-22.651 contre l'arrêt n° RG 20/05907 rendu le 23 juin 2022 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant à la société Arrow ECS, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Factofrance, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Arrow ECS, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 16 janvier 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, M. Mollard, conseiller doyen, Mme Poillot-Peruzzetto, M. Riffaud, Mmes Michel-Amsellem, Fèvre, Guillou, MM. Bedouet, Calloch, Mmes Schmidt, Sabotier, de Lacaussade, Tréfigny, conseillers, Mme Brahic-Lambrey, M. Le Masne de Chermont, Mmes Champ, Comte, Bessaud, M. Boutié, Mme Bellino, M. Regis, Mme Coricon, conseillers référendaires, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 421-4-2 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 23 juin 2022), le 9 avril 2008, la société Factofrance GE, devenue la société Factofrance, a conclu avec la société Overlap un contrat d'affacturage par lequel cette dernière transférait à la première, par subrogation, la propriété de ses créances à l'égard de sa clientèle. La société Overlap ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 11 juin 2013 et 11 juin 2014, la société Arrow ECS, son fournisseur de matériel informatique (le fournisseur), a, en application de la clause de réserve de propriété insérée au contrat, revendiqué auprès de l'administrateur judiciaire de la société Overlap divers biens, services et logiciels et, à défaut, leur prix. La demande a été déclarée bien fondée et la société Factofrance a été déclarée irrecevable à intervenir à la procédure en revendication.
2. La société Factofrance ayant obtenu par subrogation le paiement de certaines créances à l'égard de sous-acquéreurs, le fournisseur, se présentant comme le réel titulaire des créances du prix de revente, l'a assignée en restitution de diverses sommes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La société Factofrance fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au fournisseur la somme de 601 001,97 euros, alors :
« 1°/ que la clause de réserve de propriété doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit au plus tard au moment de la livraison ; que la cour d'appel a elle-même relevé que le contrat-cadre signé entre la société Arrow et la société Overlap le 27 décembre 2012 "ne prévoit pas l'application d'une clause de réserve de propriété dans les relations commerciales entre les parties" ; qu'en décidant pourtant que la société Arrow pourrait opposer à la procédure collective de la société Overlap une clause de réserve de propriété, malgré l'absence d'écrit, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article L. 624-16 du code de commerce ensemble l'article 2368 du code civil ;
2°/ que la clause de réserve de propriété doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit au plus tard au moment de la livraison ; que la cour d'appel après avoir relevé que l'article 5 des anciennes conditions générales de vente de la société Arrow contenait une clause de réserve de propriété et que "le contrat-cadre ne contient aucune disposition visant à annuler les accords précédemment conclus entre les parties", en a déduit que "les parties n'ont pas entendu remettre en cause leurs accords antérieurs, notamment l'application des dispositions de l'article 5 des CGV de la société Arrow signées par la société Overlap" ; qu'en statuant de la sorte lorsque le maintien implicite d'une ancienne clause de réserve de propriété lui faisait perdre son caractère écrit, et la rendait donc inopposable à la procédure collective de la société Overlap, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé de plus fort l'article L. 624-16 du code de commerce ensemble l'article 2368 du code civil ;
3°/ qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée, s'il n'y avait pas de doute sur l'existence d'une clause de réserve de propriété écrite portée à la connaissance de la société Overlap au plus tard au jour de la livraison de la marchandise, en l'état des factures produites initialement par la société Arrow, dénuées de conditions générales au verso, et des conditions générales ensuite produites sur une feuille volante, sans signature de la société Overlap, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 624-16 du code de commerce et 2368 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. L'arrêt relève que les conditions générales de vente de la société Arrow ECS contiennent une clause de réserve de propriété en leur article 5, qu'elles figurent systématiquement au verso des factures, ainsi que sur le site internet du fournisseur et, de manière spécifique, que la clause de réserve de propriété figure dans les conditions générales de vente signées par la société Overlap le 2 mai 2012, qui l'a donc acceptée avant la livraison des biens. L'arrêt retient ensuite que si le contrat-cadre signé entre les sociétés Arrow ECS et Overlap le 27 décembre 2012 ne mentionne pas l'application d'une clause de réserve de propriété, l'article 2.4 de son annexe 1 stipule que les achats effectués restent régis par les conditions convenues entre les parties.
5. De ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui n'avait pas à se livrer à la recherche invoquée à la troisième branche, que ses constatations rendaient inopérante, a déduit à bon droit l'existence d'une clause de réserve de propriété opposable à la société Factofrance.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. La société Factofrance fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que peuvent être revendiqués, s'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété, ainsi que le prix ou la partie du prix de ces biens qui n'a été ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé entre le débiteur et l'acheteur à la date du jugement ouvrant la procédure ; que l'octroi de licences portant sur les logiciels ne relève pas de la vente, car il n'y a pas de transfert de propriété sur celui-ci, mais du contrat de louage de choses ; qu'en décidant au contraire, pour faire droit à la demande de revendication de la société Arrow sur les sommes de 324 180,04 euros et 11 289,35 euros, que "la mise à disposition d'une copie d'un logiciel par téléchargement et la conclusion d'un contrat de licence d'utilisation y afférente visant à rendre ladite copie utilisable par le client, de manière permanente, et moyennant le paiement du prix destiné à permettre au titulaire du droit d'auteur d'obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l'oeuvre dont il est propriétaire, impliquent le transfert du droit de propriété de cette copie", la cour d'appel a violé les articles L. 624- 16 et L. 624-18 du code de commerce ensemble les articles 1709 et 1713 du code civil à la lumière des directives n° 2019/770 et n° 2019/771 du 20 mai 2019 ;
2°/ que la cour d'appel a elle-même relevé que selon les propres termes des conditions générales de vente invoquées par la société Arrow, "la clause de réserve de propriété exclut le transfert de la propriété des logiciels" ; qu'en décidant au contraire qu'il y aurait un transfert de la propriété de la copie des logiciels et que la clause de réserve de propriété serait ainsi applicable aux licences de logiciels, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
7. Selon l'article L. 122-6, 3°, du code de la propriété intellectuelle, sous réserve des dispositions de l'article L. 122-6-1, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur d'un logiciel comprend le droit d'effectuer et d'autoriser la mise sur le marché à titre onéreux ou gratuit, y compris la location, du ou des exemplaires d'un logiciel par tout procédé. Toutefois, la première vente d'un exemplaire d'un logiciel dans le territoire d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen par l'auteur ou avec son consentement épuise le droit de mise sur le marché de cet exemplaire dans tous les Etats membres à l'exception du droit d'autoriser la location ultérieure d'un exemplaire.
8. Ces dispositions assurant la transposition de l'article 4, paragraphe 2 de la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur, il y a lieu de les interpréter à la lumière de cet article.
9. Interprétant l'article 4 de la directive 2009/24/CE, la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 3 juillet 2012, Usedsoft, C - 128/11) juge que, selon une définition communément admise, la vente est une convention par laquelle une personne cède, moyennant le paiement d'un prix, à une autre personne ses droits de propriété sur un bien corporel ou incorporel lui appartenant (point 42), et que, dans le cas particulier de la vente d'une copie d'un logiciel informatique, le téléchargement d'une copie d'un programme d'ordinateur et la conclusion d'un contrat de licence d'utilisation se rapportant à celle-ci forment un tout indivisible car le téléchargement d'une copie d'un tel programme est dépourvu d'utilité si ladite copie ne peut pas être utilisée par son détenteur. Ces deux opérations doivent, dès lors, être examinées dans leur ensemble aux fins de leur qualification juridique (point 44). Elle retient que la mise à disposition d'une copie d'un logiciel informatique, au moyen d'un téléchargement, et la conclusion d'un contrat de licence d'utilisation y afférent, visant à rendre ladite copie utilisable par les clients, de manière permanente, et moyennant le paiement d'un prix destiné à permettre au titulaire du droit d'auteur d'obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l'oeuvre dont il est propriétaire, impliquent le transfert du droit de propriété de cette copie (points 45 et 46). La Cour de justice a confirmé sa jurisprudence dans les arrêts du 12 octobre 2016 (Ranks et al.c./ Microsoft corp. et al., C-166/15) et du 16 septembre 2021 (Software incubator, C-410/19).
10. Il en résulte que l'article L. 122-6, 3°, du code de la propriété intellectuelle doit être interprété en ce sens que la mise à disposition d'une copie d'un logiciel par téléchargement et la conclusion d'un contrat de licence d'utilisation y afférente visant à rendre ladite copie utilisable par le client de manière permanente moyennant le paiement d'un prix implique le transfert du droit de propriété de cette copie.
11. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Factofrance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Factofrance et la condamne à payer à la société Arrow ECS la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du six mars deux mille vingt-quatre et signé par lui et Mme Labat, greffier présent lors du prononcé.