LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° T 23-81.459 F-D
N° 00245
SL2
5 MARS 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 MARS 2024
M. [B] [P] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers, chambre correctionnelle, en date du 24 janvier 2023, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef, notamment, de travail dissimulé, a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [B] [P], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 16 avril 2020, le tribunal correctionnel a déclaré M. [B] [P] coupable notamment de travail dissimulé au préjudice de M. [I] [Z], Mme [E] [S] et M. [T] [J] et a prononcé sur les intérêts civils.
3. M. [P] a interjeté appel de ce jugement, déclarant son appel limité aux seuls intérêts civils.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [P] et la société [1] à payer à M. [I] [Z] la somme de 800 euros en réparation de son dommage et 1 000 euros sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale en cause d'appel, à Mme [E] [S] la somme de 2 000 euros en réparation de son dommage et 500 euros sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale en cause d'appel, et à M. [T] [J] la somme de 2 000 euros en réparation de son dommage, alors :
« 1°/ d'une part que de la réparation du préjudice causé par une infraction, dont l'existence et l'étendue son appréciées par les juges du fond dans la limite des conclusions des parties, ne doit résulter ni perte ni profit pour la victime ; qu'en cas de licenciement d'un salarié dont le travail a été dissimulé, ce dernier a droit au versement d'une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire qui ne peut être accordée que par le juge prud'homal ; que cette indemnité a pour objet d'assurer une réparation minimale du préjudice subi par le salarié du fait de la dissimulation du travail, qui conduit, faute de versement de cotisations sociales, à une perte de droits ; qu'il s'ensuit que le juge pénal appelé à se prononcer sur les intérêts civils dans le cadre d'un travail dissimulé ne peut allouer une indemnité ayant le même objet sans méconnaître le principe de la réparation intégrale du préjudice de la partie civile ; qu'en condamnant néanmoins M. [P] à verser une certaine somme aux parties civiles en réparation d'un préjudice financier « du fait de la précarité de la situation et de l'absence de couverture pour maladie et de cotisations pour l'assurance-chômage et la retraite », la cour d'appel, qui a accordé aux parties civiles une indemnité réparant le même préjudice que l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 8223-1 du code du travail, a violé cette disposition, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice et les articles 1240 du Code civil, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part et en tout état de cause que les juges du fond ne peuvent statuer sur les réparations civiles que dans la limite des conclusions dont ils sont saisis ; qu'à considérer même que les demandes tendant à l'indemnisation forfaitaire de l'article L. 8223-1 du Code du travail et les demandes fondées sur l'article 2 du Code de procédure pénale tendant à la réparation du préjudice résultant de l'infraction de travail dissimulé n'ont pas le même objet, il résulte des conclusions de partie civile de Madame [S] et des propres constatations de l'arrêt que celle-ci a uniquement sollicité la condamnation de Monsieur [P] au paiement d'une indemnité forfaitaire en application de l'article L. 8223 1 du Code du travail, sans jamais formuler la moindre demande distincte tendant à la réparation d'un préjudice qu'elle aurait subi et qui résulterait directement de l'infraction commise par Monsieur [P] ; qu'en condamnant néanmoins Monsieur [P] à verser à Madame [S] une certaine somme en réparation du préjudice financier que lui a causé l'infraction, quand elle constatait que les seules prétentions indemnitaires de cette dernière étaient fondées sur l'article L. 8223-1 du code du travail, la Cour d'appel, qui a statué au-delà des limites des conclusions de la partie civile, a excédé ses pouvoirs et violé les articles L. 8223-1 du Code du travail, 1240 du Code civil, préliminaire, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
5. Pour condamner M. [P] à verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts à MM. [Z] et [J], l'arrêt attaqué énonce que ces derniers ont subi un préjudice financier du fait, notamment, de la précarité de leur situation ainsi qu'un préjudice moral résultant de l'absence de toute considération de la part de leur employeur qui les a recrutés sans déclaration et les a employés sans aucune protection sociale, en les rémunérant en espèces.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a souverainement évalué le montant du préjudice subi par les demandeurs et n'a pas condamné les prévenus à verser l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 8223-1 du code du travail, n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
7. Le grief doit donc être écarté.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche
Vu les articles préliminaire, 2 et 3 du code de procédure pénale :
8. Il se déduit de ces textes que le juge doit respecter le principe du contradictoire lorsqu'il statue sur les intérêts civils.
9. Pour octroyer diverses sommes à Mme [S], l'arrêt attaqué énonce que si la demande présentée par cette dernière dans ses conclusions, fondée sur l'article L. 8221-3 du code du travail, ne peut être que rejetée, la demanderesse a toutefois subi un préjudice financier qu'il convient d'indemniser.
10. En statuant ainsi, sans inviter les parties à s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a violé les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
11. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquence de la cassation
12. La cassation ne portera que sur les dispositions condamnant M. [P] à verser diverses sommes à Mme [S], les autres dispositions étant expressément maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions concernant les demandes de Mme [S], l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Poitiers, en date du 24 janvier 2023, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Poitiers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt-quatre.