LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 février 2024
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 123 F-D
Pourvoi n° E 22-22.057
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 29 FÉVRIER 2024
La Ville de [Localité 3], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en l'Hôtel de ville, direction des affaires juridiques, [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 22-22.057 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 2), dans le litige l'opposant à la société Bricampe, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gallet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la Ville de [Localité 3], après débats en l'audience publique du 16 janvier 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Gallet, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 septembre 2022), la Ville de [Localité 3] a assigné la société civile immobilière Bricampe, propriétaire d'un appartement situé à [Localité 3], devant le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, pour obtenir son retour à l'habitation et la condamnation de la défenderesse au paiement de deux amendes civiles, soit une pour en avoir changé l'usage en le louant de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, en contravention avec les dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction, et une autre pour ne pas avoir transmis à la commune, dans le mois suivant sa demande, le nombre de jours au cours desquels il avait été loué, en violation de l'article L. 342-1-1, IV, du code du tourisme.
Examen des moyens
Sur le second moyen
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La Ville de [Localité 3] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en injonction de retour à l'habitation des locaux loués et en paiement d'une amende civile sur le fondement des dispositions des articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, alors :
« 1°/ que tout local est réputé avoir l'usage pour lequel il était affecté au 1er janvier 1970 ; que cette affectation se prouve par tous moyens ; que la date du 1er janvier 1970 a été retenue afin de faciliter la preuve de l'usage dans la mesure où, dans le cadre de la révision quinquennale des évaluations foncières du 1er janvier 1970, des déclarations devaient être souscrites, permettant de démontrer cet usage à la date de référence ; qu'en application du décret n° 69-1076 du 28 novembre 1969, ces déclarations pouvaient être établies jusqu'au 31 mai 1970 pour les communes de moins de 5 000 habitants et jusqu'au 15 octobre 1970 pour les autres communes, sachant que les formulaires réglementaires sont issus d'un arrêté du 6 mars 1970 ; que les déclarations H2 concernent exclusivement les biens à usage d'habitation ; que dans ces conditions, une déclaration modèle H2 remplie postérieurement au 1er janvier 1970 mais avant la date limite de dépôt et mentionnant que le bien est occupé par son propriétaire démontre l'usage d'habitation du bien à la date de référence ; qu'au cas d'espèce, la Ville de [Localité 3] produisait une déclaration modèle H2 établie le 16 septembre 1970 et indiquant que le bien était à usage d'habitation et occupé par le propriétaire ; qu'en retenant que cette déclaration ne permettait pas d'établir que le bien était à usage d'habitation au 1er janvier 1970, la cour d'appel a violé les articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, ensemble les articles 38, 39 et 40 du décret n° 69-1076 du 28 novembre 1969, l'arrêté du 6 mars 1970 et l'article 1353 du code civil ;
2°/ qu'à tout le moins, la production d'une déclaration modèle H2 remplie postérieurement au 1er janvier 1970 mais avant la date limite de dépôt et mentionnant que le bien est occupé par son propriétaire fait présumer un usage d'habitation à la date du 1er janvier 1970 ; qu'en retenant que la déclaration modèle H2 établie le 15 octobre 1970 et indiquant que le bien était à usage d'habitation et occupé par le propriétaire ne permettait pas d'établir que le bien était à usage d'habitation au 1er janvier 1970, quand aucun élément ne démontrait qu'il aurait eu un autre usage à cette date, la cour d'appel a violé les articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, ensemble les articles 38, 39 et 40 du décret n° 69-1076 du 28 novembre 1969, l'arrêté du 6 mars 1970 et les articles 1353 et 1354 du code civil ;
3°/ qu'une déclaration modèle R remplie postérieurement au 1er janvier 1970 mais avant la date limite de dépôt et mentionnant que le bien est à usage d'habitation démontre cet usage à la date de référence ; qu'au cas d'espèce, la Ville de [Localité 3] produisait une déclaration modèle R établie le 12 octobre 1970 et indiquant que le bien était à usage d'habitation et occupé par le propriétaire ; qu'en retenant que cette déclaration ne permettait pas d'établir que le bien était à usage d'habitation au 1er janvier 1970, la cour d'appel a violé les articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, ensemble les articles 37, 38, 39 et 40 du décret n° 69-1076 du 28 novembre 1969 et l'arrêté du 6 mars 1970 ;
4°/ qu'à tout le moins, la production d'une déclaration modèle R remplie postérieurement au 1er janvier 1970 mais avant la date limite de dépôt et mentionnant que le bien est à usage d'habitation fait présumer un tel usage à la date du 1er janvier 1970 ; qu'en retenant que la déclaration modèle R établie le 12 octobre 1970 et indiquant que le bien était à usage d'habitation et occupé par le propriétaire ne permettait pas d'établir que le bien était à usage d'habitation au 1er janvier 1970, quand aucun élément ne démontrait qu'il aurait eu un autre usage à cette date, la cour d'appel a violé les articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, ensemble les articles 37, 38, 39 et 40 du décret n° 69-1076 du 28 novembre 1969 et l'arrêté du 6 mars 1970 et l'article 1354 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, un local est réputé à usage d'habitation au sens de ce texte s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve.
5. Il en résulte que la preuve que le local a été affecté à un usage d'habitation postérieurement à cette date est inopérante (3e Civ., 28 mai 2020, pourvoi n° 18-26.366, publié).
6. Il résulte, en outre, des articles 37 à 40 du décret n° 69-1076 du 28 novembre 1969, que les déclarations souscrites par les redevables de la propriété foncière, établies sur des formules spéciales fournies par l'administration, comportent les renseignements utiles à l'évaluation de chaque propriété ou fraction de propriété à la date de leur souscription, de sorte qu'une déclaration remplie postérieurement au 1er janvier 1970 ne permet pas d'en établir l'usage à cette date, ni de le faire présumer (3e Civ., 7 septembre 2023, pourvoi n° 22-18.101, publié ; 3e Civ., 11 janvier 2024, pourvoi n° 22-21.126, publié), sauf mention de la location du bien et du montant du loyer en vigueur au 1er janvier 1970.
7. La cour d'appel a relevé, à bon droit, que ni la fiche H2, renseignée le 16 septembre 1970 et mentionnant une occupation du local par le propriétaire à cette date, ni la fiche R établie le 12 octobre 1970 et portant mention de l'occupation du logement par le propriétaire, ne permettaient d'en déduire un usage d'habitation au 1er janvier 1970.
8. Appréciant la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, elle a souverainement retenu que les pièces produites par la Ville de [Localité 3] ne permettaient pas d'établir l'usage d'habitation du local litigieux au 1er janvier 1970.
9. Elle en a exactement déduit que la Ville de [Localité 3] ne pouvait se prévaloir d'un changement d'usage illicite au sens de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Ville de [Localité 3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Ville de [Localité 3] ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf février deux mille vingt-quatre.