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14/02/2024 | FRANCE | N°52400205

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 14 février 2024, 52400205


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


CL6






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 14 février 2024








Rejet




M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président






Arrêt n° 205 F-D


Pourvoi n° T 22-22.920








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
___

______________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 FÉVRIER 2024


M. [G] [V], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° T 22-22.920 contre l'arrêt rendu le 13 juillet 2022 par la cour d'appel de Paris ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CL6

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 14 février 2024

Rejet

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 205 F-D

Pourvoi n° T 22-22.920

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 FÉVRIER 2024

M. [G] [V], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° T 22-22.920 contre l'arrêt rendu le 13 juillet 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 9), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société SNCF voyageurs, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ au Défenseur des droits, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ au Procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, sept moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [V], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société SNCF voyageurs, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [V] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le Procureur général près la cour d'appel de Paris.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 juillet 2022), M. [V], de nationalité marocaine, a été engagé, par la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), en qualité de cheminot, le 11 octobre 1974. Il a été soumis à un régime statutaire particulier résultant du règlement PS 21, puis de l'annexe A1 du règlement PS 25, devenu RH 0254. La relation contractuelle a cessé le 10 octobre 2000 et M. [V] a liquidé ses droits à la retraite le 1er janvier 2008. La loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire a créé un groupe public ferroviaire comprenant notamment l'EPIC SNCF mobilités, anciennement dénommé SNCF.

3. Estimant avoir été victime d'une discrimination en raison de sa nationalité, caractérisée notamment par une différence de traitement par rapport aux agents du cadre permanent relevant du statut de la SNCF, tant en ce qui a trait au déroulement de carrière qu'au régime de retraite qui lui a été appliqué, le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 22 décembre 2017, d'une action en indemnisation des préjudices résultant de la discrimination alléguée dirigée contre les sociétés SNCF, SNCF voyageurs venant aux droits de SNCF mobilités et SNCF réseau.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le deuxième moyen pris en ses première et deuxième branches, le troisième moyen, pris en sa première branche, et le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche, en ce qu'elles visent la violation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et des directives 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail et 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique et le sixième moyen, pris en ses première et deuxième branches

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, le troisième moyen pris en sa première branche, en ce qu'elle vise la violation de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et ses deuxième à sixième branches, le quatrième moyen, pris en ses première branche, deuxième branche en ce qu'elle vise la violation de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, troisième à sixième branches, le cinquième moyen, le sixième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches et le septième moyen, réunis

Enoncé du moyen

5. Par son deuxième moyen, le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable, concernant le préjudice résultant d'une discrimination pendant la carrière, alors :

« 3°/ que les dispositions de l'article L. 1134-5, 1°, du code du travail, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, sont contraires au principe d'interdiction des discriminations ainsi qu'au droit d'accès à un tribunal et au droit à un recours effectif en ce qu'elles ont pour conséquence de fixer le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination continue durant la carrière, à la date de la rupture du contrat de travail, sans égard quant à la connaissance effective, à la date de cette rupture, par la victime de la discrimination, de l'existence et de l'étendue de celle-ci ; qu'en appliquant toutefois cette règle de droit, et en considérant que le point de départ du délai de prescription devait correspondre à la date de la fin du contrat de travail, sans tenir compte de la date à laquelle le salarié aurait été informé de la discrimination dans son existence et toute son étendue et du préjudice en son entier, solution contraire aux articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a violé les articles 14, 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4°/ qu'en toute hypothèse, si les règles de prescription peuvent poursuivre un but légitime, l'application de celles-ci par les juridictions nationales ne doit pas, par une interprétation trop restrictive, être disproportionnée au but poursuivi, sauf à méconnaître le droit d'accès effectif à un tribunal et le droit à un recours effectif du requérant ; qu'en jugeant en l'espèce que "la discrimination alléguée étant continue, le délai de prescription pour le préjudice de carrière a couru à compter du jour où le contrat de travail a été rompu" et que "la différence de traitement dans l'évolution de la carrière s'est poursuivie jusqu'au terme de la relation contractuelle, date à laquelle les faits sur lesquels le salarié se fonde ont cessé de produire effet et la discrimination dans la carrière s'est révélée" à M. [V], pour considérer qu'"il en résulte que le salarié pouvait agir en réparation de son préjudice de retraite et de son préjudice de carrière au plus tard le 19 juin 2013" et dire son action en réparation du préjudice résultant de cette discrimination prescrite, sans s'interroger sur la date à laquelle le salarié a été informé de la discrimination dans son existence et dans toute son étendue et du préjudice en son entier, qui était postérieure à cette date, solution qui a eu pour effet de rendre ineffectif le recours en indemnisation de M. [V], la cour d'appel a violé les articles 14, 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

6. Par son troisième moyen, le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable, en ce qu'elle concerne la réparation du préjudice résultant d'une discrimination pendant la carrière, ainsi que concernant l'accès aux soins, à certaines prestation sociales et aux facilités de circulation durant la carrière et l'inaction dans le traitement du dossier durant la carrière, alors :

« 1°/ que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; qu'il résulte de l'article L. 1134-5, 1°, du code du travail, lu à la lumière des articles 14, 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la révélation s'entend du moment où le salarié dispose d'éléments lui permettant d'apprécier l'existence et l'étendue de cette discrimination et l'entier préjudice en résultant, et non de la simple connaissance, par le salarié, de l'existence d'une différence de traitement ; qu'en considérant que dès lors que le salarié avait été informé de la différence de traitement durant sa carrière, le point de départ du délai de prescription devait correspondre à la date de rupture du contrat de travail, date à laquelle les faits sur lesquels le salarié avaient cessé de produire leurs effets et la discrimination s'était révélée, par principe, au lieu de se fonder sur la date à laquelle le salarié avait disposé d'éléments lui permettant d'apprécier l'existence et l'étendue de la discrimination et de l'entier préjudice en résultant, la cour d'appel a violé les articles 26 II de la loi du 17 juin 2008, L. 1134-5, 1°, du code du travail, lu à la lumière des articles 14, 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; que la révélation s'entend du moment où le salarié dispose d'éléments lui permettant d'apprécier l'existence et l'étendue de cette discrimination et l'entier préjudice en résultant, et non de la simple connaissance, par le salarié, de l'existence d'une différence de traitement ; qu'en considérant que dès lors que le salarié avait été informé de la différence de traitement durant sa carrière, le point de départ du délai de prescription devait correspondre à la date de rupture du contrat de travail, date à laquelle les faits sur lesquels le salarié avaient cessé de produire leurs effets et la discrimination s'était révélée, par principe, au lieu de se fonder sur la date à laquelle le salarié avait disposé d'éléments lui permettant d'apprécier l'existence et l'étendue de la discrimination et de l'entier préjudice en résultant, la cour d'appel a violé les articles 26 II de la loi du 17 juin 2008, L. 1134-5, 1°, du code du travail ;

3°/ que la révélation de la discrimination implique que le salarié dispose d'éléments lui permettant d'apprécier l'étendue de la discrimination et donc l'entier préjudice en résultant, le régime probatoire étant sans incidence sur ce point ; qu'en jugeant que "compte tenu du régime probatoire spécifiquement aménagé en matière de prescription par l'article L 1134-1 du code du travail et du fait que l'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés, la partie appelante soutient vainement que le refus de déférer aux sommations de communiquer de la SNCF a empêché le délai de prescription de courir", sans rechercher si le refus de déférer aux sommations de communiquer de la SNCF n'avait pas fait obstacle à la connaissance par M. [V], au-delà de son existence, de l'étendue de la discrimination qu'il avait subie et de l'entier préjudice en résultant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1134-5, 1°, du code du travail ;

4°/ que la révélation de la discrimination s'entend du moment où le salarié dispose d'éléments lui permettant d'apprécier l'existence et l'étendue de cette discrimination et l'entier préjudice en résultant, et non de la simple connaissance, par le salarié, de l'existence d'une différence de traitement ; qu'en fixant le point de départ du délai de prescription à la date de la rupture du contrat de travail, date à laquelle les faits sur lesquels le salarié avaient cessé de produire leurs effets et la discrimination s'était révélée, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. [V] disposait alors d'éléments lui permettant d'apprécier la réalité de cette discrimination, son étendue et le préjudice en résultant, a privé sa décision de base légale au regard des articles 26 II de la loi du 17 juin 2008, L. 1134-5, 1°, du code du travail ;

5°/ que la révélation de la discrimination s'entend du moment où le salarié dispose d'éléments lui permettant d'apprécier l'existence et l'étendue de cette discrimination et l'entier préjudice en résultant, et non de la simple connaissance, par le salarié, de l'existence d'une différence de traitement ; qu'en fixant le point de départ du délai de prescription à la date de la rupture du contrat de travail, date à laquelle les faits sur lesquels le salarié avaient cessé de produire leurs effets et la discrimination s'était révélée, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la révélation ne résultait pas de la diffusion des 821 jugements de la cour d'appel de Paris du 21 septembre 2015, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 26 II de la loi du 17 juin 2008, L. 1134-5, 1°, du code du travail ;

6°/ que ne saurait être prescrite la discrimination s'étant poursuivie tout au long de la carrière du salarié en termes d'évolution professionnelle, qui n'a pas cessé de produire ses effets ; que les contractuels relevant du chapitre 11 du PS 21 devenu l'annexe A1 du règlement PS25 (RH0254) ne relèvent pas du régime spécial et ne sont pas affiliés à ce titre à la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la Société nationale des chemins de fer français ; qu'en jugeant que la discrimination subie par M. [V] durant sa carrière avait cessé de produire ses effets à la rupture du contrat de travail, lors même que le montant de la retraite perçue par M. [V] était affecté, en sa qualité de contractuel, par la discrimination qu'il invoquait, et qu'ainsi, elle continuait à produire ses effets après la date de rupture du contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article L. 1134-5, 1°, du code du travail et l'article 2 du décret n°2007-730 du 7 mai 2007 relatif à la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la Société nationale des chemins de fer français ; »

7. Par son quatrième moyen, le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable, en ce qu'elle concerne la réparation du préjudice résultant d'une discrimination en matière de formation et d'avantages durant la carrière, alors :

« 1°/ que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; qu'en se bornant à juger que "[l]e point de départ du délai de prescription se situe à la date de la rupture du contrat de travail, date à laquelle les faits sur lesquels le salarié fonde sa demande ont cessé de produire effet", pour dire prescrite l'action de M. [V] en réparation du préjudice résultant d'une discrimination en matière de formation et d'avantages durant la carrière, sans se référer à la révélation de la discrimination, quand seule celle-ci pouvait constituer le point de départ du délai de prescription, la cour d'appel a violé l'article L. 1134-5, 1°, du code du travail ;

2°/ que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; qu'il résulte de l'article L. 1134-5, 1°, du code du travail, lu à la lumière des articles 14, 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la révélation s'entend du moment où le salarié dispose d'éléments lui permettant d'apprécier l'existence et l'étendue de cette discrimination et l'entier préjudice en résultant, et non de la simple connaissance, par le salarié, de l'existence d'une différence de traitement ; qu'en se bornant à juger que "[l]e point de départ du délai de prescription se situe à la date de la rupture du contrat de travail, date à laquelle les faits sur lesquels le salarié fonde sa demande ont cessé de produire effet", pour dire prescrite l'action de M. [V] en réparation du préjudice résultant d'une discrimination en matière de formation et d'avantages durant la carrière, au lieu de se fonder sur la date à laquelle le salarié avait disposé d'éléments lui permettant d'apprécier l'existence et l'étendue de la discrimination et de l'entier préjudice en résultant, la cour d'appel a violé les articles 26 II de la loi du 17 juin 2008, L. 1134-5, 1°, du code du travail, lu à la lumière des articles, 14, 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; que la révélation s'entend du moment où le salarié dispose d'éléments lui permettant d'apprécier l'existence et l'étendue de cette discrimination et l'entier préjudice en résultant, et non de la simple connaissance, par le salarié, de l'existence d'une différence de traitement ; qu'en se bornant à juger que "[l]e point de départ du délai de prescription se situe à la date de la rupture du contrat de travail, date à laquelle les faits sur lesquels le salarié fonde sa demande ont cessé de produire effet", pour dire prescrite l'action de M. [V] en réparation du préjudice résultant d'une discrimination en matière de formation et d'avantages durant la carrière, au lieu de se fonder sur la date à laquelle le salarié avait disposé d'éléments lui permettant d'apprécier l'existence et l'étendue de la discrimination et de l'entier préjudice en résultant, la cour d'appel a violé les articles 26 II de la loi du 17 juin 2008, L. 1134-5, 1°, du code du travail ;

4°/ que la révélation de la discrimination implique que le salarié dispose d'éléments lui permettant d'apprécier l'étendue de la discrimination et donc l'entier préjudice en résultant, le régime probatoire étant sans incidence sur ce point ; qu'en jugeant que "compte tenu du régime probatoire spécifiquement aménagé en matière de prescription par l'article L 1134-1 du code du travail et du fait que l'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés, la partie appelante soutient vainement que le refus de déférer aux sommations de communiquer de la SNCF a empêché le délai de prescription de courir", sans rechercher si le refus de déférer aux sommations de communiquer de la SNCF n'a pas fait obstacle à la connaissance par M. [V] de l'étendue de la discrimination subie et de l'entier préjudice en résultant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1134-5, 1°, du code du travail ;

5°/ que la révélation de la discrimination s'entend du moment où le salarié dispose d'éléments lui permettant d'apprécier l'existence et l'étendue de cette discrimination et l'entier préjudice en résultant, et non de la simple connaissance, par le salarié, de l'existence d'une différence de traitement ; qu'en fixant le point de départ du délai de prescription à la date de la rupture du contrat de travail, date à laquelle les faits sur lesquels le salarié avaient cessé de produire leurs effets et la discrimination s'était révélée, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. [V] disposait alors d'éléments lui permettant d'apprécier la réalité de cette discrimination, son étendue et le préjudice en résultant, a privé sa décision de base légale au regard des articles 26 II de la loi du 17 juin 2008, L. 1134-5, 1°, du code du travail ;

6°/ que la révélation de la discrimination s'entend du moment où le salarié dispose d'éléments lui permettant d'apprécier l'existence et l'étendue de cette discrimination et l'entier préjudice en résultant, et non de la simple connaissance, par le salarié, de l'existence d'une différence de traitement ; qu'en fixant le point de départ du délai de prescription à la date de la rupture du contrat de travail, date à laquelle les faits sur lesquels le salarié avaient cessé de produire leurs effets et la discrimination s'était révélée, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la révélation ne résultait pas de la diffusion des 821 jugements de la cour d'appel de Paris du 21 septembre 2015, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 26 II de la loi du 17 juin 2008, L. 1134-5, 1°, du code du travail. »

8. Par son cinquième moyen, le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable, en ce qu'elle concerne les facilités de circulation, alors « que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; que, dans ses conclusions d'appel, le salarié soutenait qu'il avait notamment fait l'objet d'une discrimination en matière de facilité de circulation, qui lui avait causé un préjudice moral, et que ce n'était qu'en 2004, soit après la liquidation de la retraite du salarié, que la carte de circulation avait été maintenue pour les agents contractuels après leur départ à la retraite ; qu'en énonçant, pour déclarer cette demande prescrite, que "ces demandes se rattachent à celle formulée au titre du préjudice de carrière qui a été déclarée prescrite", sans rechercher la date à laquelle la révélation de cette discrimination spécifique était intervenue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 26 II de la loi du 17 juin 2008 et L. 1134-5, 1°du code du travail. »

9. Par son sixième moyen, le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable, en ce qu'elle concerne les demandes relatives à la discrimination en matière de retraite, alors :

« 3°/ que les dispositions de l'article L. 1134-5, 1°, du code du travail, telles
qu'interprétées par la Cour de cassation, sont contraires au droit d'accès à un tribunal et au droit à un recours effectif en ce qu'elles ont pour conséquence de fixer automatiquement le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination continue dans les droits à la retraite, à la date de la liquidation de ces droits à la retraite, sans égard quant à la connaissance effective par la victime, à la date de cette liquidation, de la discrimination dans ses droits à la retraite, qui doit inclure l'existence de celle ci, de toute son étendue, et du préjudice en résultant ; qu'en appliquant toutefois cette règle de droit, contraire aux articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a violé les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ que si les règles de prescription peuvent poursuivre un but légitime, l'application de celles-ci par les juridictions nationales ne doit pas, par une interprétation trop restrictive, être disproportionnée au but poursuivi, sauf à méconnaître le droit d'accès à un tribunal et le droit à un recours effectif du requérant ; qu'en jugeant que "l]e délai de prescription de la demande en réparation du préjudice consécutif à une discrimination en matière de retraite court à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, date à laquelle il est informé par la caisse de retraite de ses droits et des éléments retenus pour fixer le montant de sa pension" et qu'en l'espèce "l'agent, qui était informé dès son embauche qu'il relevait du régime général de retraite comme tous les agents contractuels et non du régime spécial de retraite des agents statutaires, a procédé à la liquidation de sa retraite le 1er janvier 2008", pour considérer qu'"il en résulte que le salarié pouvait agir en réparation de son préjudice de retraite et de son préjudice de carrière au plus tard le 19 juin 2013" et dire son action en réparation du préjudice résultant de cette discrimination prescrite, sans s'interroger sur la date à laquelle le salarié a été informé de la discrimination dans son existence et dans toute son étendue et du préjudice qui en résultait, qui était postérieure à cette date, solution qui a eu pour effet de rendre ineffectif le recours en indemnisation de M. [V] et son droit d'accès à un tribunal, la cour d'appel a violé les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

10. Par son septième moyen, le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; qu'en jugeant que "l]e délai de prescription de la demande en réparation du préjudice consécutif à une discrimination en matière de retraite court à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, date à laquelle il est informé par la caisse de retraite de ses droits et des éléments retenus pour fixer le montant de sa pension" et qu'en l'espèce "l'agent, qui était informé dès son embauche qu'il relevait du régime général de retraite comme tous les agents contractuels et non du régime spécial de retraite des agents statutaires, a procédé à la liquidation de sa retraite le 1er janvier 2008", pour considérer qu'"il en résulte que le salarié pouvait agir en réparation de son préjudice de retraite et de son préjudice de carrière au plus tard le 19 juin 2013" et dire son action en réparation du préjudice résultant de cette discrimination prescrite, sans se déterminer au regard du critère tenant à la révélation de cette discrimination, seul critère pertinent, la cour d'appel a violé les articles les articles 26 II de la loi du 17 juin 2008 et L. 1134-5, 1°, du code du travail ;

2°/ que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; qu'aucune règle ni aucun principe ne pose que le délai de prescription de la demande en réparation du préjudice consécutif à une discrimination en matière de retraite courrait à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite ; qu'en considérant que par principe, le délai de prescription de la demande en réparation du préjudice consécutif à une discrimination en matière de retraite courrait à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, la cour d'appel a violé les articles 26 II de la loi du 17 juin 2008 et L. 1134-5, 1°, du code du travail ;

3°/ que la révélation s'entend du moment où le salarié dispose d'éléments lui permettant d'apprécier la réalité de cette discrimination et le préjudice en résultant, et non de la simple connaissance, par le salarié, de l'existence d'une différence de traitement ; qu'en jugeant que "[l]e délai de prescription de la demande en réparation du préjudice consécutif à une discrimination en matière de retraite court à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, date à laquelle il est informé par la caisse de retraite de ses droits et des éléments retenus pour fixer le montant de sa pension" et qu'en l'espèce "l'agent, qui était informé dès son embauche qu'il relevait du régime général de retraite comme tous les agents contractuels et non du régime spécial de retraite des agents statutaires, a procédé à la liquidation de sa retraite le 1er janvier 2008", pour considérer qu'"il en résulte que le salarié pouvait agir en réparation de son préjudice de retraite et de son préjudice de carrière au plus tard le 19 juin 2013" et dire son action en réparation du préjudice résultant de cette discrimination prescrite, au lieu de se fonder sur la date à laquelle le salarié avait disposé d'éléments lui permettant d'apprécier l'existence et l'étendue de la discrimination et de l'entier préjudice en résultant, la cour d'appel a violé les articles 26 II de la loi du 17 juin 2008 et L. 1134-5, 1°, du code du travail ;

4°/ que la révélation de la discrimination s'entend du moment où le salarié dispose d'éléments lui permettant d'apprécier la réalité de cette discrimination et le préjudice en résultant, et non de la simple connaissance, par le salarié, de l'existence d'une différence de traitement ; qu'en jugeant que "[l]e délai de prescription de la demande en réparation du préjudice consécutif à une discrimination en matière de retraite court à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, date à laquelle il est informé par la caisse de retraite de ses droits et des éléments retenus pour fixer le montant de sa pension" et qu'en l'espèce "l'agent, qui était informé dès son embauche qu'il relevait du régime général de retraite comme tous les agents contractuels et non du régime spécial de retraite des agents statutaires, a procédé à la liquidation de sa retraite le 1er janvier 2008", pour considérer qu'"il en résulte que le salarié pouvait agir en réparation de son préjudice de retraite et de son préjudice de carrière au plus tard le 19 juin 2013" et dire son action en réparation du préjudice résultant de cette discrimination prescrite, sans rechercher si M. [V] disposait, à ce moment, d'éléments lui permettant de connaître la réalité de cette discrimination, dans toute son étendue, et le préjudice en résultant, a privé sa décision de base légale au regard des articles 26 II de la loi du 17 juin 2008 et L. 1134-5, 1°, du code du travail ;

5°/ qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si la révélation ne résultait pas de la diffusion des 821 jugements de la cour d'appel de Paris du 21 septembre 2015, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 26 II de la loi du 17 juin 2008, L. 1134-5, 1°, du code du travail ;

6°/ que ne saurait être prescrite la discrimination qui n'a pas cessé de produire ses effets ; qu'en fixant le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant de la discrimination en matière de retraite à la date de la liquidation, par M. [V], de ses droits à la retraite, sans rechercher, ainsi qu'il le lui était demandé, si elle n'était pas encore en train de produire ses effets, dès lors que M. [V] continuait à percevoir, chaque mois, une retraite réduite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 26 II de la loi du 17 juin 2008 et l'article L. 1134-5, 1°, du code du travail. »

Réponse de la Cour

11. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, le droit d'accès aux tribunaux n'étant pas absolu, il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'État, laquelle peut varier dans le temps et dans l'espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tel que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l'article 6 , § 1, de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (notamment CEDH Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, n° 28028/95, § 34).

12. Elle juge notamment que les délais légaux de péremption ou de prescription, qui figurent parmi les restrictions légitimes au droit d'accès à un tribunal, ont plusieurs finalités importantes : garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, mettre les défendeurs potentiels à l'abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et empêcher l'injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d'éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé (CEDH Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, n° 22083/93 et 22095/93, § 51-52).

13. En l'espèce, d'abord, s'agissant des demandes au titre d'une discrimination en matière de carrière, de formation et d'avantages durant la carrière, ainsi que de la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral du fait de l'inaction de la SNCF à prendre des mesures pour compenser les disparités entre les deux catégories d'agents, l'arrêt retient, d'une part que le salarié était informé dès la date de son embauche qu'il relevait d'un régime différent de celui des agents statutaires, d'autre part que cette différence de traitement découle d'une série d'actes et de décisions concrets qui se sont étalés dans le temps et se déduit notamment du procès-verbal de la réunion « Table ronde » ayant eu lieu en 1992 en présence des syndicats représentatifs, relatant la différence de règles en matière d'évolution de carrière, de retraite, de prévoyance entre agents contractuels et ceux du cadre permanent, ainsi que des accords collectifs conclus le 1er octobre 1999 et le 1er octobre 2004 intitulés « mesures particulières relatives aux conditions de fin de carrière de certains personnels contractuels » concernant « les agents qui remplissaient les conditions d'âge normal d'accès au cadre permanent au moment de leur entrée à la SNCF mais qui n'ont pas pu réglementairement en bénéficier » et « notamment les agents de nationalité étrangère » et instaurant au profit de ces derniers des conditions de départ à la retraite équivalentes à celles des agents du cadre permanent.

14. Ayant relevé que cette différence de traitement dans l'évolution de la carrière s'était poursuivie jusqu'au terme de la relation contractuelle, date à laquelle les faits sur lesquels le salarié se fonde avaient cessé de produire effet, la cour d'appel, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, procédant à la recherche prétendument omise et appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve produits, a pu retenir que le point de départ du délai de prescription devait être fixé au 10 octobre 2000 et que l'action du salarié qui a saisi la juridiction prud'homale le 22 décembre 2017 était prescrite.

15. Ensuite, s'agissant de la discrimination en matière de retraite, la cour d'appel, qui, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, procédant à la recherche prétendument omise et appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve produits, a relevé que le salarié avait été informé dès son embauche de ce qu'il ne relevait pas du régime spécial de retraite de agents statutaires et que c'est à compter de la date de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite qu'il avait été informé par la caisse de retraite de ses droits et des éléments retenus pour fixer le montant de la pension, a pu retenir que c'est à cette date, soit le 1er janvier 2008, que se situait le point de départ de la prescription et que l'action du salarié qui avait saisi la juridiction prud'homale le 22 décembre 2017 était prescrite.

16. De telles fixations du point de départ du délai de prescription applicable ne méconnaissent pas les exigences de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que le délai de prescription ainsi déterminé a pour finalité de garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions du salarié dûment informé de l'existence de la discrimination et des voies et délais de recours qui lui sont ouverts devant la juridiction prud'homale.

17. Les griefs ne sont, dès lors, pas fondés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [V] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52400205
Date de la décision : 14/02/2024
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 13 juillet 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 14 fév. 2024, pourvoi n°52400205


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Zribi et Texier

Origine de la décision
Date de l'import : 12/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:52400205
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