LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
COUR DE CASSATION
CH9
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QUESTION PRIORITAIRE de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Audience publique du 24 janvier 2024
NON-LIEU A RENVOI
M. SOMMER, président
Arrêt n° 137 FS-B
Pourvoi n° S 23-17.886
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 24 JANVIER 2024
Par mémoire spécial présenté le 30 octobre 2023, Mme [U] [W], domiciliée [Adresse 2], a formulé des questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° S 23-17.886 qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2022 par la cour d'appel de Montpellier (1re chambre sociale), dans une instance l'opposant à la société Réside études seniors, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de Mme [W], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Réside études seniors, et l'avis de M. Juan, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 janvier 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Lacquemant, Salomon, Palle, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, M. Leperchey, conseillers référendaires, M. Juan, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Mme [W] a été engagée en qualité d'agent technique et d'entretien le 14 février 2012 par la société L'Yser, aux droits de laquelle vient la société Réside études seniors. Elle a été affectée dans une résidence pour personnes âgées.
2. L'employeur lui a notifié le 5 octobre 2021 la suspension de son contrat de travail et de sa rémunération à la suite du refus de présentation d'un « passe sanitaire » le même jour.
3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale statuant en référé d'une demande de réintégration et de reprise du paiement des salaires.
Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité
4. A l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2022 par la cour d'appel de Montpellier, Mme [W] a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel onze questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :
« 1°/ L'article 14, II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, en ce qu'il dispose qu'un salarié soumis à vaccination obligatoire qui n'a pas satisfait à cette obligation, à défaut de présenter un certificat médical de contre-indication ou un certificat de rétablissement, se voit interdit d'exercer son emploi et que la suspension de son contrat de travail s'accompagne de l'interruption du versement de sa rémunération, porte-t-il atteinte au principe de sécurité juridique, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? ;
2°/ L'article 14, II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, en ce qu'il dispose qu'un salarié soumis à vaccination obligatoire qui n'a pas satisfait à cette obligation, à défaut de présenter un certificat médical de contre-indication ou un certificat de rétablissement, se voit interdit d'exercer son emploi et que la suspension de son contrat de travail s'accompagne de l'interruption du versement de sa rémunération, porte-t-il atteinte au principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? ;
3°/ L'article 14, II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, en ce qu'il dispose qu'un salarié soumis à vaccination obligatoire qui n'a pas satisfait à cette obligation, à défaut de présenter un certificat médical de contre-indication ou un certificat de rétablissement, se voit interdit d'exercer son emploi et que la suspension de son contrat de travail s'accompagne de l'interruption du versement de sa rémunération, porte-t-il atteinte au droit à l'emploi, garanti par l'alinéa 5 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ? ;
4°/ L'article 14, II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, en ce qu'il dispose qu'un salarié soumis à vaccination obligatoire qui n'a pas satisfait à cette obligation, à défaut de présenter un certificat médical de contre-indication ou un certificat de rétablissement, se voit interdit d'exercer son emploi et que la suspension de son contrat de travail s'accompagne de l'interruption du versement de sa rémunération, porte-t-il atteinte au droit à la dignité de la personne humaine, garanti par l'alinéa 1er du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ? ;
5°/ L'article 14, II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, en ce qu'il dispose qu'un salarié soumis à vaccination obligatoire qui n'a pas satisfait à cette obligation, à défaut de présenter un certificat médical de contre-indication ou un certificat de rétablissement, se voit interdit d'exercer son emploi et que la suspension de son contrat de travail s'accompagne de l'interruption du versement de sa rémunération, porte-t-il atteinte au droit à la protection de la santé, garanti par l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ? ;
6°/ L'article 14, II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, en ce qu'il dispose qu'un salarié soumis à vaccination obligatoire qui n'a pas satisfait à cette obligation, à défaut de présenter un certificat médical de contre-indication ou un certificat de rétablissement, se voit interdit d'exercer son emploi et que la suspension de son contrat de travail s'accompagne de l'interruption du versement de sa rémunération, porte-t-il atteinte à la liberté d'opinion, de conscience et de pensée, garantie par l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'alinéa 5 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ? ;
7°/ L'article 14, II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, en ce qu'il dispose qu'un salarié soumis à vaccination obligatoire qui n'a pas satisfait à cette obligation, à défaut de présenter un certificat médical de contre-indication ou un certificat de rétablissement, se voit interdit d'exercer son emploi et que la suspension de son contrat de travail s'accompagne de l'interruption du versement de sa rémunération, porte-t-il atteinte à la liberté individuelle, garantie par les articles 1, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? ;
8°/ L'article 14, II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, en ce qu'il dispose qu'un salarié soumis à vaccination obligatoire qui n'a pas satisfait à cette obligation, à défaut de présenter un certificat médical de contre-indication ou un certificat de rétablissement, se voit interdit d'exercer son emploi et que la suspension de son contrat de travail s'accompagne de l'interruption du versement de sa rémunération, porte-t-il atteinte au droit de mener une vie familiale normale, garanti par l'alinéa 10 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ? ;
9°/ L'article 14, II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, en ce qu'il dispose qu'un salarié soumis à vaccination obligatoire qui n'a pas satisfait à cette obligation, à défaut de présenter un certificat médical de contre-indication ou un certificat de rétablissement, se voit interdit d'exercer son emploi et que la suspension de son contrat de travail s'accompagne de l'interruption du versement de sa rémunération, porte-t-il atteinte au droit de propriété, garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? ;
10°/ L'article 14, II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, en ce qu'il dispose qu'un salarié soumis à vaccination obligatoire qui n'a pas satisfait à cette obligation, à défaut de présenter un certificat médical de contre-indication ou un certificat de rétablissement, se voit interdit d'exercer son emploi et que la suspension de son contrat de travail s'accompagne de l'interruption du versement de sa rémunération, porte-t-il atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, garanties par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? ;
11°/ L'article 14, II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, en ce qu'il dispose qu'un salarié soumis à vaccination obligatoire qui n'a pas satisfait à cette obligation, à défaut de présenter un certificat médical de contre-indication ou un certificat de rétablissement, se voit interdit d'exercer son emploi et que la suspension de son contrat de travail s'accompagne de l'interruption du versement de sa rémunération, porte-t-il atteinte au principe à valeur constitutionnelle de proportionnalité des peines et des sanctions, garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? »
Examen des questions prioritaires de constitutionnalité
5. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne la suspension d'un contrat de travail d'une salariée travaillant au sein d'un établissement social et médico-social, au sens de l'article L. 312-2, I, 6°, du code de l'action sociale et des familles, n'ayant pas produit un certificat de statut vaccinal ou un certificat médical de contre-indication.
6. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
7. Cependant, d'une part, les questions posées, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.
8. D'autre part, les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux.
9. En effet, en premier lieu, le législateur, en adoptant la disposition contestée, a entendu, au regard de la dynamique de l'épidémie, du rythme prévisible de la campagne de vaccination, du niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains professionnels de santé et de l'apparition de nouveaux variants du virus plus contagieux, en l'état des connaissances scientifiques et techniques, permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 par le recours à la vaccination, et garantir le bon fonctionnement des services hospitaliers publics grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des malades qui y étaient hospitalisés poursuivant ainsi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
10. Si les vaccins en cause ne font l'objet que d'une autorisation conditionnelle de mise sur le marché, en vertu du règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, une telle autorisation ne peut être accordée que si le rapport bénéfice/risque est positif, et l'Agence européenne du médicament procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées. Ils ne peuvent donc être considérés comme ayant le caractère d'une expérimentation médicale.
11. Par ailleurs, l'obligation vaccinale ne s'impose pas, en vertu de l'article 13 de la même loi du 5 août 2021, aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Enfin, l'article 12 donne compétence, en son IV, au pouvoir réglementaire, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques et après avis de la Haute autorité de santé, pour suspendre cette obligation pour tout ou partie des catégories de personnes qu'elle concerne.
12. Ainsi, la disposition contestée, qui est justifiée par une exigence de santé publique et n'est pas manifestement inappropriée à l'objectif qu'elle poursuit, n'opère pas une conciliation manifestement déséquilibrée avec le principe constitutionnel de protection de la santé, la liberté d'entreprendre, la liberté d'opinion, et le droit à mener une vie familiale normale.
13. En deuxième lieu, la suspension du contrat de travail étant la conséquence du non-respect de l'obligation vaccinale prévue à l'article 12 de la même loi, la disposition contestée, qui n'emporte aucune atteinte à l'intégrité physique des personnes, ne méconnaît pas le principe du respect de la dignité de la personne humaine.
14. En troisième lieu, la disposition contestée, qui n'entraîne aucune mesure privative de liberté, n'affecte pas la liberté individuelle, protégée par l'article 66 de la Constitution.
15. En quatrième lieu, la disposition contestée ne porte pas atteinte au principe d'égalité dès lors, d'une part, qu'elle s'applique de manière identique à l'ensemble des personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé et dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux du code de la santé publique, à l'exception de celles y effectuant une tâche ponctuelle, qu'elles fassent ou non partie du personnel soignant, d'autre part, que la circonstance que les dispositions contestées font peser sur les personnes exerçant une activité au sein de ces établissements, une obligation vaccinale qui n'est pas imposée à d'autres personnes, constitue, compte tenu des missions des établissements de santé et de la vulnérabilité des patients qui y sont admis, une différence de traitement en rapport avec cette différence de situation, qui n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
16. En cinquième lieu, cette disposition ne porte pas atteinte au droit à l'emploi, ni à l'interdiction de léser un travailleur dans son emploi en raison de ses opinions, dans la mesure où elle ne prévoit pas la rupture du contrat de travail mais uniquement sa suspension. Cette suspension prend fin dès que le salarié, qui n'est ainsi pas privé d'emploi, remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité et produit les justificatifs requis, conservant, pendant la durée de celle-ci, le bénéfice des garanties de protection complémentaires auxquelles il a souscrit.
17. En sixième lieu, cette disposition poursuivant le but d'intérêt général suffisant, de valeur constitutionnelle, de protection de la santé, est d'une portée strictement définie dès lors que la suspension cesse dès que le salarié remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité, ou dès que le législateur prononce en application du IV de l'article 12 de la loi précitée, la suspension de l'obligation vaccinale pour tout ou partie des catégories de personnels qui en relèvent. Elle opère, au regard des objectifs poursuivis rappelés au paragraphe 10, une atteinte proportionnée à la liberté contractuelle et au principe de sécurité juridique.
18. En septième lieu, l'interruption du versement de la rémunération, qui n'est que la conséquence de l'interdiction d'exercice prévue à l'article 14.I, laquelle obéit à l'objectif constitutionnel de protection de la santé, ne présente pas, compte tenu de son caractère temporaire, un caractère de gravité tel que le sens et la portée du droit de propriété s'en trouveraient dénaturés.
19. En dernier lieu, la disposition contestée, en ce qu'elle n'institue pas une sanction ayant le caractère d'une punition, dès lors que la suspension du contrat s'impose à l'employeur et ne présente aucun caractère disciplinaire, ne porte pas atteinte au principe de proportionnalité des peines.
20. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer les questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille vingt-quatre.